Le peuple algérien face à la barbarie islamiste et à la dictature des militaires : les responsabilités de l'impérialisme français12/12/19971997Cercle Léon Trotsky/medias/cltnumero/images/1997/12/76.jpg.484x700_q85_box-6%2C0%2C589%2C842_crop_detail.jpg

Le peuple algérien face à la barbarie islamiste et à la dictature des militaires : les responsabilités de l'impérialisme français

Au sommaire de cet exposé

Sommaire

La réalité algérienne nous concerne tous

Aujourd'hui, un peu moins de six ans après l'annulation des élections législatives dont le premier tour venait de montrer que le FIS (Front Islamique du Salut) serait majoritaire, l'affrontement entre le pouvoir militaire et les courants islamistes qui ont choisi la lutte armée n'est pas terminé.

La guerre civile a déjà fait plus de soixante mille morts. La multiplication des attentats, des assassinats, des massacres collectifs les plus barbares, entretient un climat de terreur dans les quartiers pauvres, les villages, les hameaux, les petites villes de certaines régions du pays.

Au cours de l'année écoulée, des centaines d'hommes, de femmes, d'enfants, de vieillards, ont été égorgés, au couteau ou à la hache.

Qui sont ces groupes armés responsables de ces assassinats ? On nous dit tout et son contraire à ce propos.

Qui les commanditerait ? Des chefs du GIA, des maffias locales, des hommes liés à certaines coteries proches du pouvoir, des provocateurs ? Les informations les plus contradictoires circulent.

Mais depuis six ans que dure cette ignoble guerre civile à sens unique, la population a aussi appris que si les coups tombent toujours sur elle, ils pouvaient venir de partout. La terreur aveugle n'est pas du seul côté des commandos islamiques. Elle est aussi du côté du pouvoir.

Depuis six ans que les militaires algériens prétendent réduire le terrorisme islamique par des mesures barbares, ils ont eux aussi semé la peur.

Depuis six ans, ils mobilisent en permanence quelques 60 000 hommes dans les forces armées spéciales chargées de démanteler les groupes islamiques et de liquider les maquis.

Expéditions punitives, razzias dans les quartiers liés à l'ex-FIS, bombardements au napalm dans certaines zones de maquis, climat de terreur dans les villes ou les villages accusés de servir de base de ravitaillement aux groupes armés islamiques, recours systématique à la torture, aux camps de détention : ce sont des dizaines de milliers d'Algériens, jeunes islamistes ou non, qui sont morts, victimes de cette barbarie officielle.

Il n'est donc pas étonnant que les communiqués rassurants du pouvoir, ses promesses concernant un retour à des pratiques politiques démocratiques, ses élections truquées, ses affirmations disant que le terrorisme islamique est vaincu ne rassurent aujourd'hui plus personne. Si dans certaines zones, comme en Kabylie, le terrorisme semble en régression, des témoignages montrent que certaines régions, jusque-là épargnées, sont désormais touchées.

Alors d'où vient cette persistance dramatique de la barbarie ? Comment l'expliquer ?

Il ne suffit pas d'accuser l'obscurantisme et le fanatisme de dirigeants islamistes et leur volonté de mettre au pas toute la société algérienne. Il ne suffit pas d'invoquer les responsabilités de la dictature militaire qui s'est fait haïr par des couches de plus en plus larges de la population et, en particulier, par l'immense majorité de la jeunesse pauvre qui fournirait ainsi des troupes désespérées aux islamistes.

Il ne suffit pas non plus de renvoyer simplement dos à dos les deux camps en se disant que tout ce drame, c'est l'Algérie, un pays qui a décidément du mal à s'en sortir et où la pauvreté, le manque de culture continuent à peser sur toute la société.

Eh bien, non ! Cette réalité algérienne, bouleversante et révoltante, ce n'est pas là-bas, ce n'est pas ailleurs, au loin, qu'elle a toutes ses racines.

La réalité algérienne, les crimes qui se commettent tantôt au nom d'Allah, tantôt au nom de la lutte contre le danger islamiste, a de lointaines racines ici, en France, dans la politique de l'impérialisme français, depuis plus de 160 ans.

Elle a ses racines dans les comptes des grandes sociétés agro-alimentaires qui ont exploité les terres algériennes, dans les coffres-forts d'Elf, dans les caisses de la BNP, du Crédit Lyonnais, qui ont profité de la colonisation, de la guerre, de la décolonisation, de la dépendance économique qu'ils ont imposée à l'Algérie et de son endettement qu'ils perpétuent et aggravent.

En Algérie, comme dans d'autres pays d'ailleurs, la montée de l'islamisme est un produit du désespoir, une réponse irrationnelle, mais une réponse quand même à l'aggravation de la pauvreté.

Et dans cette pauvreté, l'impérialisme français a une responsabilité majeure, quasiment exclusive.

Nous ne pouvons pas retracer toute l'histoire des relations entre l'impérialisme français et le peuple algérien.

Mais si nous en reprenons les grandes lignes, c'est pour en souligner les aspects qui montrent que cette histoire est aussi la nôtre. La barbarie qui gangrène la société algérienne nous concerne.

C'est pour rappeler que si les islamistes ont fait des dizaines de milliers de morts, si les victimes de l'armée algérienne se chiffrent aussi par dizaines de milliers, l'armée française, l'armée de notre impérialisme, constituée de jeunes hommes du contingent envoyés là-bas malgré eux, il y a plus de 40 ans les a surpassés, et de loin, dans cette sinistre comptabilité, car ses victimes, rien que pendant la dernière guerre d'Algérie, se chiffrent par centaines de milliers.

Car la bourgeoisie française n'a jamais réglé les problèmes avec le peuple algérien autrement que par la violence. Elle a imposé pendant 130 ans aux Algériens d'être des parias dans leur propre pays, les privant même de tout droit politique. Et c'est dans le sang, la répression, la terreur qu'elle a tenté d'écraser toutes les révoltes.

Pendant 130 ans, le pillage colonial

Une conquête barbare

En 1830, au moment de la conquête de l'Algérie, celle-ci faisait partie de l'Empire ottoman en pleine décadence. Et ce pays d'outre-méditerranée était convoité par toute une partie des détenteurs des grandes fortunes qui s'édifiaient alors en France grâce au développement de l'industrie.

Ces fortunes reposaient sur l'exploitation éhontée de la classe ouvrière, une exploitation qui provoqua des révoltes en France, comme celle des canuts à Lyon en 1830. Elle alla de pair avec l'exploitation des pays coloniaux.

Lorsqu'en juillet 1830 les troupes françaises débarquèrent sur le sol algérien, les soyeux de Lyon, les armateurs et les négociants de Marseille étaient les premiers à applaudir aux succès militaires.

Dans la Revue Encyclopédique, Simon de Sismondi expliquait :

« Le Royaume d'Alger ne sera pas seulement une conquête, ce sera une colonie, ce sera un pays neuf sur lequel le surplus de la population, de l'activité française pourront se répandre... Que l'Afrique soit ouverte à la France, qu'à deux ou trois journées de ses côtes, un pays immense dont les neuf dixièmes sont sans propriétaire, un pays qui offre, au choix, les plus beaux climats de la Provence, de l'Italie, de l'Espagne ainsi que le climat et le ciel des Antilles appelle l'industrie française et elle s'y transportera avec empressement. Elle créera dans peu d'années l'abondance, la sécurité et le bonheur. L'Afrique a surtout besoin d'hommes qui pensent au profit de l'industrie et d'hommes qui la garantissent ».

Le ministre de la Guerre de Charles X, le roi de France d'alors, faisait la part moins belle au progrès. Plus réaliste, il expliquait :

« La conquête repose sur des impératifs les plus importants, les plus intimement liés au maintien de l'ordre public en France et en Europe : l'ouverture d'un vaste débouché pour le superflu de notre population et pour l'écoulement des produits de nos manufactures en échange d'autres produits étrangers à notre sol et notre climat » .

Mais pour masquer cela, les conquérants prétendaient aussi faire oeuvre civilisatrice. Ne venaient-ils pas, disaient-ils, en libérateurs pour délivrer les populations d'Algérie de la domination turque ? Sauf que, loin d'apporter la civilisation, les troupes françaises apportaient la mort, la misère et la barbarie.

A peine débarquées, en effet, les troupes des prétendus civilisateurs détruisaient des villages, spoliaient les tribus, les sociétés villageoises et les associations religieuses.

Voici comment Savary, l'ancien préfet de police de Napoléon Premier, promu Duc de Rovigo, parlait à ses subordonnés :

« Des têtes ! », « Apportez des têtes, des têtes, bouchez les conduites d'eau crevées avec la tête du premier bédouin que vous rencontrerez » .

Dans la nuit du 6 avril 1832, un détachement sous ses ordres surprit une tribu qui dormait sous les tentes. Il ordonna le massacre et 12 000 personnes, hommes, femmes et enfants furent tués. Les troupeaux, épargnés, furent vendus au consul du Danemark à Alger. Le produit de la vente de bracelets, encore attachés aux poignets coupés des femmes, fut partagé entre les égorgeurs.

Et l'on n'en finirait pas de décrire de semblables hauts faits d'armes.

Saint-Arnaud détruisit une partie de Blida en 1842.

Cavaignac inaugura les « enfumades » asphyxiant des insoumis dans des grottes et Pélissier y enfuma mille hommes en une fois.

Ces actes feront dire à un membre d'une commission d'enquête : « Nous avons dépassé en barbarie les Barbares que nous venions civiliser » .

Quand Abd el Kader constitua des troupes régulières avec différentes tribus arabes et un État organisé fondé sur le respect des lois coraniques, l'affrontement déboucha sur une guerre généralisée qui dura sept ans. Les effectifs militaires engagés par la France passèrent de 60 000 en 1840 à 107 000 en 1847, pour conquérir le territoire d'une population de 3 millions d'habitants environ. Il fallut cependant dix ans de plus pour éteindre la révolte. C'est-à-dire que cette conquête dura 27 ans.

D'autres révoltes eurent lieu qui furent réprimées de façon tout aussi cruelle et barbare.

Le peuple algérien spolié par les « civilisateurs »

Mais la civilisation française, ce n'était pas seulement la guerre. Ce fut aussi une terrible dégradation des conditions de vie des populations rurales.

Avant l'arrivée des colons, l'Algérie ignorait la propriété privée. Elle connaissait des hiérarchies compliquées de droits d'usage, ceux du dey, ceux des tribus et ceux des fondations religieuses.

Les colonisateurs s'emparèrent des terres, les divisèrent, en donnèrent aux colons venus de France qui purent en acheter ou en vendre, favorisant ainsi les concentrations.

Quelques droits furent bien reconnus aux Algériens et à diverses autorités locales. Mais, globalement, l'application des lois françaises sur la propriété privée acquise par la violence s'accompagna d'une destruction de toutes les structures existantes. Les grandes tribus furent spoliées, démembrées, les populations furent transférées. Des douars furent constitués à partir de familles issues de différentes tribus.

Tout cela faisait voler en éclat des situations féodales, certes.

Mais ce qui aurait pu être un progrès se traduisit par une régression car tous les comportements de solidarité, qui assuraient la survie des populations en période de crise ou de famine, furent détruits. Il n'était plus question de procéder à des distributions de réserves de grains provenant des dons des plus riches. Une loi de 1863 interdit même les distributions de bienfaisance des loges religieuses.

Mais cela n'empêchait pas l'armée française, puis l'administration, de chercher à s'appuyer sur d'anciens chefs locaux, des juges locaux, pour encadrer la population musulmane et lui imposer de se soumettre aux lois coloniales.

La misère s'aggrava pour le peuple algérien. Des famines décimèrent les populations. Celle qui sévit en 1867-1869 fit 500 000 victimes. Elle provoqua une révolte qui, partie de Kabylie, gagna de vastes régions.

La propriété des colons européens se développa et se concentra. Alors que, dans les premières décennies de la colonisation, les autorités françaises distribuaient aux colons des parcelles de quelques dix hectares, on assista à un mouvement de concentration des terres entre les mains des plus riches, surtout dans les régions où le sol était le plus productif.

De 1871 à 1919, 870 000 hectares furent ainsi livrés aux colons. En 1919, les Algériens avaient perdu 7,5 millions d'hectares partagés entre -l'État français, les particuliers et les grandes sociétés capitalistes. Et bien sûr, c'est dans le secteur le plus fertile du pays, le Tell, qu'eurent lieu 98 % des spoliations.

La population paysanne fut dispersée. Une partie continua d'exploiter sans moyens les terres pauvres, une autre partie se transforma en prolétariat agricole surexploité, artificiellement regroupé sur de grands domaines où l'on cultivait la terre, non pas pour procurer aux populations des moyens de subsistance, mais pour réaliser des profits et produire en fonction des besoins de la métropole.

Un ordre colonial au service d'une minorité de riches colons

Pour l'essentiel, les plaines littorales devinrent la propriété de grands propriétaires. Certaines étaient consacrées aux céréales, mais la plus grande partie devinrent des vignobles qui allaient constituer la principale source d'enrichissement pour les colons européens avant que le pétrole ne soit découvert au Sahara.

La culture de la vigne s'était développée à partir de 1878, après la crise du vignoble français frappé par le phylloxéra. Dans les dix années qui suivirent, les hectares de vignobles algériens sont passés de 20 000 environ à 103 000, aux dépens des cultures de céréales qui servaient à l'alimentation.

Ce n'était qu'un début, la vigne continua de progresser dans les décennies suivantes. Elle couvrait 226 000 ha en 1929, puis 400 000 ha en 1935. Elle chassa le blé, le mouton, la forêt, le palmier nain, elle pollua les rivières.

La production et la distribution de vin exigeait de gros moyens, ce qui favorisa les colons les plus riches. Une oligarchie formée de marchands de vin, de transporteurs, de négociants et de banquiers devint de plus en plus puissante.

Liés à l'ensemble de la bourgeoisie française, ces richissimes colons, exploiteurs sans scrupules, concentraient entre leurs mains la quasi-totalité des terres les plus rentables.

En 1954, 6 400 propriétaires européens possédaient des terres de plus de 100 hectares. Mais les plus riches, les Borgeaud, Blachette, Gratien Faure, possédaient de 8 000 à 10 000 hectares.

Et au-dessus d'eux, il y avait encore les grandes propriétés appartenant à des sociétés. La Compagnie Genevoise possédait 15 000 hectares dans les meilleures terres de la région de Sétif. Quant à la Compagnie Algérienne, elle possédait 100 000 ha de terres parmi les plus riches.

Et tous ces gens-là ne s'enrichissaient pas des seules activités agricoles. Un exemple : la famille Borgeaud avait la haute main sur les phosphates, les tabacs Bastos et les Ciments Lafarge.

Tous ces grands capitalistes de l'Algérie coloniale avaient leur place dans de grandes sociétés dont le siège était à Paris. Ils ont forgé leur puissance sur l'exploitation, non seulement de l'Algérie, mais de tout l'empire colonial : Banque de l'Union Parisienne Mirabaud, Société des Mines de l'Ouenza qui contrôlaient 75 % du fer algérien, Société des Lièges des Hamendas et de Petite Kabylie qui était le plus gros producteur de liège du monde. Quant au groupe Rothschild, représenté par René Mayer, député de Constantine et qui fut un temps président du Conseil, il participait à l'exploitation des mines de zinc et de plomb.

Ces gens-là ne voulaient surtout pas perdre le contrôle exclusif de la vie économique et politique de l'Algérie.

Les Algériens musulmans : des parias dans leur propre pays

Alors avec tant de pillages, tant de violences, tant de richesses accumulées, les colonisateurs ont-ils au moins consacré un peu de leurs richesses à construire des routes, des écoles, des hôpitaux comme ils s'en sont vantés ?

Eh bien non, en tout cas pas pour la population musulmane. L'État français a construit des routes, des lignes de chemins de fer en fonction des besoins des grands propriétaires et des négociants.

Il a bien construit des écoles, comme en France, oui. Mais pour les Européens seulement. Car les enfants musulmans dans leur immense majorité n'ont pas été scolarisés dans les écoles françaises.

La barbarie, même sur ce plan-là, n'était pas dans le camp que l'on croyait. Bugeaud lui-même était étonné, au temps de la conquête de l'Algérie, de ce que : « presque tous les hommes savaient lire et compter », alors qu'en France plus de 40 % de la population étaient encore analphabète.

Mais après cent trente ans de civilisation française, il n'y avait plus qu'une infime partie de la population musulmane scolarisée dans les écoles de langue française qui était, partout, la langue indispensable pour l'administration et les échanges commerciaux, voire pour suivre des études secondaires.

Voilà le mépris de l'administration coloniale française, pour qui les musulmans n'étaient que des hommes et des femmes de deuxième ordre.

C'est ainsi que les colons les plus réactionnaires ont pesé de tout leur poids contre le développement de l'enseignement dans la population musulmane d'Algérie. Cet enseignement qui aurait pu permettre de faire reculer le poids de la religion, l'oppression des femmes, a été repoussé sous le prétexte qu'il faisait courir à l'Algérie un « véritable péril » , celui de donner aux enfants une culture et surtout des idées de liberté.

En 1945, sur 1 250 000 enfants algériens d'âge scolaire, 100 000 seulement recevaient une instruction primaire dans moins de 700 écoles. En moyenne, moins d'un Algérien sur dix allait à l'école, ce qui voulait dire un garçon sur cinq et une fille sur seize. Pire, en 1957, on comptait 94 % d'hommes et 98 % de femmes qui n'avaient pas été scolarisés dans les écoles publiques.

Les soi-disants civilisateurs ont, du même coup, laissé aux religieux musulmans le soin de former les enfants musulmans.

Pendant toute la période de la domination française, des générations de jeunes n'ont été éduqués que dans les écoles coraniques où, s'ils ont heureusement appris à lire, ils n'ont, en fait de connaissances, qu'appris et répété le Coran.

Par ailleurs, plusieurs générations de bourgeois et petits bourgeois algériens, commerçants, petits entrepreneurs, ont suivi leurs études dans les écoles d'enseignement supérieur musulmanes, les medersas, tissant entre eux des liens qu'ils allaient conserver pendant la colonisation et après. Et l'on ne peut sans doute pas comprendre la place occupée aujourd'hui par les enseignants musulmans dans la bourgeoisie et la petite bourgeoisie algérienne, si l'on ne tient pas compte du rôle politique et social que ceux-ci ont joué dans la période coloniale, du fait même de la politique ségrégationniste de l'État français.

Car il n'est pas abusif de parler de ségrégation.

Le code de l'indigénat mis en place en 1881, établissait que tout musulman qui voulait garder son « statut » de musulman devenait un « indigène » privé de tout droit politique et soumis à une série d'obligations dont le non-respect pouvait entraîner des sanctions réservées aux seuls indigènes.

Au moment de la Première Guerre mondiale, les autorités françaises promirent le statut de citoyen français à ceux qui iraient au front. Mais ceux qui en revinrent purent se rendre compte que cette promesse n'avait pas été faite pour être tenue.

A l'époque du Front Populaire, le projet Blum-Violette visait à accorder l'égalité politique à une minorité de la population algérienne, en tout et pour tout 21 000 personnes, titulaires de diplômes ou de grades militaires. Ce projet était très modéré. Mais devant le tollé qu'il souleva parmi la droite coloniale, le gouvernement de Front Populaire y renonça.

A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, après avoir été mobilisé, le peuple algérien ne vit pas davantage venir l'indépendance.

La lutte pour l'indépendance : une guerre sans merci imposée par l'impérialisme français

Pendant plus de 130 ans, les musulmans d'Algérie n'étaient même pas considérés comme des Algériens. Car l'Algérie c'était la France, disait-on. Alors comment être algérien si l'on n'était pas d'abord français, ou européen, car les colons originaires d'Espagne, d'Italie, étaient, eux, immédiatement naturalisés et jouissaient des droits politiques.

Eh bien, il fallut une guerre sans merci pour que les Algériens soient des citoyens à part entière dans leur pays.

Les massacres de Sétif, annonciateurs de la guerre

Cette lutte commença à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

C'était le 8 mai 1945, jour de la signature de l'armistice qui marquait la fin de la Deuxième Guerre mondiale. A Sétif, ville de la région de Constantine, comme dans bien d'autres villes d'Algérie, la population musulmane défila dans les rues avec des banderoles « A bas le fascisme et le colonialisme » . Mais à Sétif, la police en tirant sur les manifestants déclencha une émeute. Il y eut 103 tués et 110 blessés parmi les Européens. Un véritable soulèvement s'ensuivit dans les villes et les campagnes. Les autorités répondirent par un bain de sang. Fusillades, ratissages, exécutions se multiplièrent sous les ordres d'un certain général Duval. Les villages furent bombardés par l'aviation. La marine tira sur les côtes. Les nationalistes algériens parlent de 45 000 morts en quelques jours.

La guerre d'Algérie était commencée, même si elle n'éclata vraiment que 9 ans plus tard.

Le même général Duval avait prévenu les colons : « Je vous ai donné la paix pour dix ans. Mais, il ne faut pas se leurrer, tout doit changer en Algérie » .

Or rien ne changeait. Ou presque. La constitution de 1946 accorda une représentation des Algériens au Parlement qui ne changeait rien. Et de toute façon, les colons réclamaient qu'on s'en tienne à la politique du bâton car, expliquait l'un d'eux, Gabriel Abbo, à Paris-Presse en mai 1947 : « Plus on donne aux arabes et plus ils en réclament » .

Quant aux représentants politiques de la bourgeoisie française, ils s'en tenaient unanimement à une politique visant à imposer le statu quo colonial. Unanimement oui, de la droite gaulliste au Parti communiste en passant par le Parti socialiste, les Démocrates chrétiens, tous étaient pour utiliser la manière forte devant les soulèvements qui se produisaient en Syrie, au Vietnam, à Madagascar, au Maroc.

Alors, malgré les avertissements du général Duval, rien ne changea en Algérie et la guerre annoncée eut lieu.

De Mendès-France à de Gaulle : les assassins du peuple algérien

Lors des premiers affrontements, en novembre 1954, Mendès-France et Mitterrand, à qui revint la responsabilité de répondre à la rébellion par une escalade de violence, prétendaient qu'une riposte rapide ramènerait l'ordre. Mais un an plus tard, la rébellion continuait de s'étendre. Une vague d'émeutes souleva la région de Constantine. La répression de ces émeutes, selon les nationalistes, fit 12 000 morts. La torture devint une pratique courante dont les autorités françaises niaient pourtant l'existence.

Ce que les pouvoirs publics appelaient hypocritement des « opérations de maintien de l'ordre » était devenu une véritable guerre dont les dirigeants de l'impérialisme français savaient qu'ils ne la gagneraient sans doute jamais.

Les socialistes se firent élire en 1956 en promettant la paix. Mais quand, une fois élu, Guy Mollet demanda les pleins pouvoirs pour aggraver la guerre, il eut l'appui de toute la gauche, y compris du Parti Communiste Français qui avait renoncé, depuis la période du Front Populaire, à se ranger du côté des peuples qui voulaient s'émanciper du joug colonial.

Les réservistes furent rappelés, l'action militaire renforcée.

L'Algérie fut divisée en trois zones, les zones d'opérations où l'objectif était l'écrasement des rebelles, les zones de pacification où était prévue la protection des populations européennes et musulmanes et les zones interdites qui devaient être évacuées et dont les populations étaient rassemblées dans des camps d'hébergement sous l'autorité de l'armée. La violence contre la population algérienne fut constante. Et partout, l'armée française exacerba les antagonismes entre les tribus, les potentats locaux, les fondations religieuses.

A la fin de 1956, 350 000 militaires français se trouvaient sur le sol algérien.

A partir de janvier 1957, pour porter la guerre dans Alger même, le Front de Libération Nationale commença à y commettre une série d'attentats dans des lieux publics.

Le socialiste Lacoste, ministre résidant à Alger confia la « pacification » d'Alger à Massu, commandant de la 10e division de parachutistes. Et le 7 janvier 1957, 8 000 paras pénétrèrent dans la ville. La « bataille d'Alger » avait commencé. Ce fut « le sang et la merde » comme dira plus tard Bigeard. On arrêtait, on fichait, on torturait dans les centres de transit et de triage. C'était la « gégène », la baignoire, les coups. Le 28 mars, le général Paris de la Bollardière fut relevé de ses fonctions car il n'admettait pas le recours à la torture.

Il fallut des mois, neuf, pour terminer cet épisode de la guerre. Le FLN était démantelé à Alger. On parlait de 3 000 disparus. L'armée française avait montré, une fois de plus, comment elle concevait son oeuvre civilisatrice. Mais elle n'avait pas gagné une partie décisive. Et le « dernier quart d'heure » de la guerre n'était pas proche.

Incapables de gagner la guerre, mais incapables aussi d'imposer la paix, ni à l'armée, ni à la population européenne d'Algérie, les socialistes durent quitter honteusement le pouvoir et déroulèrent le tapis rouge devant de Gaulle, qu'ils allèrent chercher à Colombey.

Et c'est de Gaulle, cet homme de droite, qui allait faire cette paix en Algérie que les socialistes avec le soutien du PCF n'avaient pas osé faire.

Mais la guerre d'Algérie allait encore durer quatre ans après l'arrivée au pouvoir de de Gaulle.

De Gaulle avait beau être convaincu, dès son arrivée au pouvoir, que l'intérêt bien compris de la bourgeoisie française était de mettre fin à la guerre, encore fallait-il qu'il parvienne à en convaincre l'Armée et l'appareil d'État. Aussi, dans un premier temps, l'arrivée au pouvoir de de Gaulle s'est traduite par une intensification de la guerre et un accroissement des moyens mis en oeuvre afin de faire la démonstration que, malgré tous ces moyens, la guerre ne pouvait pas être gagnée et qu'il n'y avait pas d'autre solution que de traiter avec le FLN et lui imposer les solutions les plus favorables à l'impérialisme français.

Le 19 décembre 1958, les 500 000 hommes qui se trouvaient sous les ordres du général Challe furent lancés dans des opérations d'envergure contre l'Armée de Libération Nationale.

Un dernier quart d'heure long de quatre ans

Lorsque de Gaulle commença à parler du droit à l'autodétermination pour le peuple algérien, il s'est heurté à des réactions violentes.

D'abord, le 24 janvier 1960, des ultras de l'Algérie française qui se soulevèrent, érigèrent des barricades qui tinrent une semaine avant de se solder par un échec.

La réaction des organisations ultras des Pieds-Noirs était dans l'ordre des choses. Mais plus grave était le putsch organisé le 22 avril 1961 par un groupe de généraux qui se sont emparés, pendant quatre jours, du pouvoir à Alger.

Mais justement, le putsch a échoué parce que ces généraux Challe, Salan, Zeller et Jouhaux n'ont pas été suivis par le gros de l'Armée. Mais le peuple algérien a dû payer par des dizaines de morts supplémentaires la leçon ainsi administrée à l'armée française pour qu'elle n'éclate pas et que, dans sa grande majorité, elle reste derrière de Gaulle et sa politique.

Mais ces actions politiques ainsi que le développement, à partir de 1961, de la politique terroriste de l'OAS, le climat de racisme, l'embrigadement de la population européenne d'Algérie, ont contribué objectivement, d'une certaine façon, à faire pression sur les représentants du peuple algérien pour les contraindre à accepter, dans les négociations qui s'ouvraient à Evian, les conditions de l'impérialisme français.

Lorsque, le 19 mars 1962, le cessez-le-feu fut signé, la guerre avait duré sept ans et demi. Le « dernier quart d'heure » venait de durer plus de quatre ans. Le pays était exsangue. Certains historiens parlent de 500 000 morts. Les nationalistes parlent d'un million. Si l'on compte le million d'Européens que la politique de la terre brûlée de l'OAS poussa à quitter l'Algérie, c'est en réalité près d'un habitant sur cinq qui n'était plus là.

En 1962, l'Algérie a payé le prix fort pour son indépendance politique

Les dirigeants de l'impérialisme français avaient fini par accorder l'indépendance. C'était une véritable victoire pour le peuple algérien qui avait fini par faire reculer l'impérialisme français. Mais ils ne l'avaient accordé qu'une fois ce peuple saigné. Afin que les autres peuples voient aussi que la liberté ne se paie pas seulement par la guerre, mais aussi par la pauvreté, les destructions.

Le terrible bilan ne pouvait s'évaluer seulement en nombre de morts, de disparus. Il y avait aussi l'appauvrissement de centaines de milliers d'hommes, de femmes, d'enfant issus des classes paysannes qui avaient été chassés de leur village. Car ce sont 3 millions de paysans qui avaient été dispersés et dont beaucoup tentaient de trouver un refuge dans les bidonvilles des villes où l'activité reprenait difficilement.

Et puis, il y a aussi eu le coût politique de cette guerre impitoyable. Elle a laissé des marques dans toute la classe politique algérienne qui reste marquée dans ses relations, ses habitudes, ses méthodes par ce passé finalement récent.

Les dirigeants nationalistes qui ont conduit la lutte du peuple algérien pour son indépendance voulaient construire un État indépendant pour permettre le développement d'une bourgeoisie capable de profiter pleinement de la mise en valeur des richesses du pays et de l'exploitation des masses populaires.

C'est ce qui explique que les dirigeants nationalistes n'aient jamais pu régler démocratiquement leurs relations avec la population, ni les divergences, les conflits et les rivalités qui les opposaient les uns aux autres.

Ce fut vrai avant l'indépendance. Pour éviter les affrontements, le PCA préféra se dissoudre pratiquement. Mais le MNA, pour avoir résisté, a été liquidé. Des militants des maquis du FLN ont été liquidés eux aussi.

Le choix de l'impérialisme français d'imposer, jusqu'au bout, une guerre sans merci au peuple algérien rendit automatique, en face, la création d'un appareil militaire centralisé et capable de tenir tête à l'armée française. La dureté de la lutte armée servait même à justifier aux yeux des masses les méthodes terroristes des dirigeants FLN.

Ce sont encore les aléas de cette guerre qui ont contribué à la constitution de l'armée appelée « armée des frontières » parce qu'elle était basée en Tunisie et au Maroc, de l'autre côté de la ligne Morice, ligne de défense électrifiée constituée par l'armée française pour empêcher toute infiltration des combattants venus de l'extérieur.

Coupée de l'Algérie par la ligne Morice et surtout par une forte présence militaire française, cette armée numériquement importante, bien organisée et armée n'a pas participé aux combats qui se déroulaient en Algérie même.

Mais du coup, elle était là, susceptible de constituer une force capable d'éviter tout vide de pouvoir en Algérie, ce qui correspondait évidemment aux intérêts de la nouvelle direction algérienne, mais tout autant et plus encore à ceux de l'impérialisme français lui-même.

Les accords d'Evian signés, cette armée s'est imposée à l'Algérie, non sans mal ni sans combats.

La lutte pour le pouvoir qui opposa l'ancien gouvernement provisoire aux groupes de militaires dirigés par Ben Bella et Boumediene entraîna une guerre fratricide qui fit de 2000 à 3000 morts, au terme de laquelle il était clair que le pouvoir en Algérie était entre les mains d'un appareil militaire incontrôlé par la population, qui, depuis, n'a jamais cessé d'imposer ses choix et ses décisions par la force et la violence.

Puis Ben Bella, appuyé par l'armée, élimina ses rivaux jusqu'à ce que Boumediene décide de se passer de lui, trois ans plus tard, et concentre le pouvoir entre ses mains.

Mais à ce niveau aussi, l'impérialisme français, dont les représentants ont périodiquement fait mine de regretter l'absence de démocratie en Algérie, ont largement contribué à l'établissement de ces dictatures successives. Car l'impérialisme français exigeait sa dîme sur les richesses agricoles, minières et sur le pétrole de l'Algérie, même si l'indépendance permettait aux classes privilégiées algériennes, proches du pouvoir, de s'enrichir.

L'Algérie, après 1962 : le maintien de la dépendance économique au profit de l'impérialisme français

Après 7 ans et demi de guerre et 132 ans de colonialisme, l'Algérie accéda à l'indépendance le 5 juillet 1962. Mais il était bien sûr illusoire de parler d'indépendance au niveau économique. L'Algérie dépendait du marché mondial et elle était marquée par un siècle et demi de colonialisme.

Des relations économiques aux conditions de la France

Les Accords d'Evian consacraient la dépendance économique de l'Algérie vis-à-vis de l'impérialisme français.

Il est significatif, à ce titre, qu'ils aient été largement inspirés des orientations du plan de Constantine, élaboré par de Gaulle en 1959, trois ans avant la fin de la guerre, qui prévoyait un développement de l'économie algérienne en fonction des besoins de la métropole.

Il était établi, dans les Accords d'Evian, que les sociétés françaises restaient en place si elles le voulaient. Et la majorité des industries, des mines, du pétrole, du gaz restaient sous contrôle français.

La politique de terre brûlée de l'OAS fit que le million de Pieds-Noirs quitta l'Algérie. Et ce départ contribua à désorganiser gravement l'économie.

L'impérialisme français était sans doute le mieux placé pour occuper, selon d'autres modalités, la place qu'il venait de quitter. Les autres puissances impérialistes lui laissèrent le champ libre.

Oh, bien sûr, en 1962, le vocabulaire s'était décolonisé. On parlait de coopération. Mais la dépendance était entretenue, comme l'avaient expliqué des dirigeants algériens, dès juin 1962 :

« La coopération telle qu'elle ressort des accords implique un maintien des liens de dépendance dans les domaines économique et culturel (...) phénomène de reconversion, par lequel le néocolonialisme tente de se substituer au colonialisme classique » .

Les liens de dépendance se reconstituèrent dans tous les domaines.

L'État algérien manquait cruellement de capitaux. Les banques françaises, liées aux banques restées en place en Algérie, débloquèrent des crédits, garantis par l'État français. Mais les contreparties étaient énormes. Car non seulement l'État algérien devait rembourser, avec usure, mais la plupart du temps l'octroi de ces crédits était lié à d'autres engagements concernant les importations et les exportations.

C'est ainsi que furent définis des quotas de production de pétrole, de gaz, de vin, d'agrumes que l'Algérie s'engageait à fournir à la France, à des tarifs définis d'avance. Cela assurait sans doute des rentrées de devises à l'Algérie, mais aux conditions de la France, en fonction de ses besoins, pas de ceux du peuple algérien.

Parallèlement, l'État algérien s'engagea à acheter de façon durable des produits, souvent directement nécessaires à l'alimentation de la population, comme le blé, le sucre, le lait. Les contrats étaient consentis - disaient les autorités françaises - à des tarifs préférentiels. Mais les exportateurs français furent les premiers à y gagner car ils se réservaient là un marché garanti à la fois par l'État algérien et l'État français. De plus, les prêts français servaient ainsi à payer ses exportations et l'Algérie n'avait donc pas la possibilité de les utiliser à sa convenance en recherchant, par exemple, le meilleur prix sur le marché mondial.

Alors aujourd'hui, 36 ans après, quand la presse accuse les dirigeants algériens d'avoir été incapables de mettre en place une agriculture capable de nourrir les populations, c'est une hypocrisie cynique car c'est un reproche que le peuple algérien aurait le droit de faire à ses anciens dirigeants, mais pas ceux qui ont profité des nouvelles formes du pillage de l'Algérie.

Face aux exigences de l'impérialisme français...

Le départ des Européens avait fait que des entreprises agricoles et industrielles étaient passées aux mains des Algériens.

Un important secteur autogéré et contrôlé par l'État se mit en place, contribuant à la popularité du nouveau régime. Les paysans, les ouvriers firent tout pour produire, dans l'espoir de vivre mieux demain, si ce n'était pas possible dès aujourd'hui.

On continua à produire du vin, à cause des liens avec la France, mais si, pendant quelques années, l'État français imposa ses quotas, il diminua ses importations quand il estima qu'elles entraient trop en concurrence avec les producteurs de vins du midi de la France dont la production était devenue excédentaire.

C'est ainsi qu'en dépit des accords signés en 1964, la France réduisit ses achats de vin en Algérie pour soutenir les cours en métropole. Le chantage aux achats de vin, le non-respect des quotas décidés, devinrent un moyen de pression de l'État français sur l'État algérien quand celui-ci se faisait un peu exigeant sur d'autres terrains.

Mais le conflit entre le nouvel État algérien et les dirigeants de l'impérialisme français devint encore plus âpre dans le domaine des hydrocarbures.

L'impérialisme français, dans les accords d'Evian, avait imposé un contrat léonin. Il exigeait de conserver la haute main sur l'exploitation des ressources pétrolières et minières du Sahara, privant ainsi le nouvel État de sa principale source de revenus. Cela avait même été l'enjeu de la prolongation de la guerre. Dans un premier temps, de Gaulle voulait la sécession du Sahara. Il avait fini par le laisser à l'Algérie, mais en exigeant des garanties.

Il imposa donc le maintien en place des sociétés pétrolières françaises, l'assurance qu'elles disposeraient de toutes les libertés économiques voulues et l'engagement qu'elles ne seraient pas expropriées.

L'injustice était flagrante. En 1963, les compagnies pétrolières françaises empochaient quatre fois plus de bénéfices que l'Algérie. Après cela, la France pouvait bien dire sur tous les tons qu'elle « aidait » l'Algérie, en réalité elle continuait tout simplement à la piller !

... les dirigeants algériens tentent de résister

Les dirigeants de l'État algérien n'étaient pas des révolutionnaires socialistes inscrivant leur combat dans la perspective du renversement du capitalisme.

Mais le régime qu'ils avaient mis en place était le résultat d'une révolution populaire qui avait mobilisé des millions d'hommes, qui avait soulevé d'immenses espoirs et ils se servirent, à leur façon, de cette force-là pour tenir tête à l'État français.

C'est pour tenir un peu mieux tête aux sociétés françaises qu'ils créèrent, avec les moyens que leur donnait l'intervention d'un État centralisé, la compagnie nationale algérienne Sonatrach qui gérait les intérêts algériens dans les hydrocarbures. Et en 1964, les dirigeants algériens qui n'avaient pas eu le choix au moment des Accords d'Evian, réclamèrent la révision de ces accords.

De nouveaux accords furent signés en 1965 qui visaient à établir une gestion paritaire des richesses pétrolières.

Il fut notamment créé une société commune qui associait la compagnie nationale algérienne Sonatrach aux compagnies françaises Elf-ERAP et CFP. Ces dernières apportaient crédits et technique pour effectuer de nouvelles recherches, mais conservaient en échange leurs concessions. Et le prix d'achat du baril, bien qu'augmenté, restait à un taux très préférentiel pour les pétroliers français.

Ces accords étaient en réalité très bénéfiques pour le capitalisme français puisqu'ils lui assuraient un pétrole de qualité, très bon marché et payable en francs.

Néanmoins pour obtenir cette simple révision, les dirigeants algériens avaient dû résister.

Après le coup d'État de Boumediene, en 1965, le gouvernement algérien chercha à avoir une meilleure maîtrise de l'économie algérienne.

Il fut décidé la nationalisation progressive des sociétés étrangères. Il s'agissait d'une politique où l'État algérien, n'ayant pas les moyens d'une épreuve de force armée, cherchait à obtenir ce qu'ils pouvaient par la négociation.

Les banques, les assurances, diverses sociétés furent ainsi nationalisées avec rachat. Et ces rachats contribuèrent à endetter l'État algérien.

Les capitalistes français n'avaient rien à y perdre. Les gouvernements français multiplièrent les pressions de toutes sortes pour arracher les conditions les plus avantageuses possibles. Il y eut toute une série de crises entre l'Algérie et la France à la fin des années 60, dont la plus tendue concerna la fixation du prix du pétrole.

La crise du pétrole

A la fin des années 1960, quand les conditions devinrent plus favorables à l'échelle mondiale pour les producteurs de pétrole, les dirigeants algériens tentèrent de renégocier leurs contrats à la hausse. C'est ainsi qu'en octobre 1968, la Sonatrach signa un accord avec la société pétrolière américaine Getty, qui lui cédait 51 % de ses parts contre des livraisons de pétrole à tarif préférentiel et s'engageait à payer des taxes plus importantes tout en promettant de nouveaux investissements par l'État algérien.

Les dirigeants algériens tentèrent la même démarche vis-à-vis des compagnies françaises CFP et ERAP, mais ils se heurtèrent à un refus brutal de ces compagnies et de l'État français qui s'opposaient à la renégociation des prix servant de référence au calcul des taxes, jusque-là extrêmement favorables aux compagnies françaises, ainsi qu'à une prise de contrôle des gisements par l'État algérien.

Le gouvernement algérien demandait aussi que les compagnies françaises paient leurs taxes à l'État algérien (une dette qui s'élevait à 25 milliards de francs) et qu'elles consacrent plus d'efforts à la recherche.

Après plusieurs années de tensions importantes, le gouvernement algérien décida, le 24 février 1971, la nationalisation du gaz et des moyens de transports, ainsi que la prise de contrôle de 51 % des actifs des compagnies pétrolières françaises.

Les compagnies françaises stoppèrent leurs prélèvements et appelèrent au boycott, annonçant des sanctions contre ceux qui violeraient ce boycott. Les enchères montèrent. Finalement, fin 1971, la CFP reçut en dédommagement 60 milliards de dollars payables en 7 ans, ERAP reçu peu d'argent frais, mais ses dettes importantes envers l'État algérien furent épongées. Ces sociétés pétrolières restèrent actionnaires minoritaires des sociétés mixtes, mais recevaient leur approvisionnement à prix coûtant.

La crise avait aussi entraîné d'autres mesures de rétorsion.

La France bloqua, puis limita, l'attribution de permis de travail aux ressortissants algériens en France. Ce qui était une autre façon de tourner le dos aux accords d'Evian. L'État français réagissait, une fois de plus, privant ainsi de ressources bien des familles algériennes.

La France bouda un temps le pétrole algérien. Et ce fut l'impérialisme américain qui prit la première place.

La France, premier client, premier fournisseur et premier usurier de l'Algérie

Ce retrait au niveau du pétrole ne voulait pas dire que les capitalistes français renonçaient à leur mainmise sur l'économie algérienne.

Les banques et les sociétés françaises se transformèrent en usuriers de leur ancienne colonie.

C'était l'époque où l'on pouvait croire que l'économie mondiale était en expansion. Les dirigeants algériens misèrent sur un développement industriel tourné vers l'exportation. Et ce fut l'époque des programmes d'industrialisation accélérée qui, de 1971 à 1977, débouchèrent sur la construction de grandes unités industrielles tournées vers le marché mondial.

Le gouvernement algérien vivait sur ce qu'on a appelé la manne pétrolière. Une partie des privilégiés en profita en Algérie même. Ceux qui s'enrichirent cependant le plus et le plus vite, ce furent les grandes sociétés françaises qui équipaient l'Algérie en l'endettant.

Les bénéfices pétroliers doublèrent presque de 1970 à 1971. Entre 1972 et 1977, en cinq ans, ils furent encore multipliés par sept et demi. Les trusts français en récupérèrent une bonne partie.

De 1967 à 1977, les trois plans qui furent mis en chantier donnaient la priorité absolue à l'industrialisation avec la constitution de grands complexes : à Arzew (gaz), à El Hadjar (sidérurgie), à Skikda et à Annaba. En dix ans, un puissant secteur industriel fut créé, avec 17 sociétés nationales employant 350 000 personnes.

Pour financer tout cela, on ne prit pas seulement sur les revenus pétroliers. On emprunta.

Et cela offrit d'énormes marchés aux trusts français et aux autres.

Creusot-Loire construisit une usine d'ammoniac, Alsthom une centrale thermique, Five-Cail et Creusot-Loire des cimenteries...

Dans la sidérurgie, des sociétés - souvent liées aux grands groupes - se spécialisèrent dans la vente de brevets, de techniques et d'installations d'usines « clé en main ». Elle participa ainsi, entre autres fournisseurs, à la construction du complexe d'El Hadjar auquel participa Sacilor. Usinor, Jeumont-Schneider et Creusot-Loire fournirent des usines de construction métallique, Berliet participa au montage des poids lourds, Air-Liquide ainsi qu'une filiale de GDF construisirent des usines de traitement de gaz, tandis que Spie-Batignolles construisait un oléoduc.

L'État français disait toujours qu'il « aidait », mais les aides, sous forme de prêts, consenties par la France étaient pour la plupart négociées avec des banques. Leur obtention était liée à la signature de contrats avec des entreprises françaises qui, bien que de plus en plus concurrencées par celles des autres pays impérialistes, se taillaient quand même la part du lion.

En 1975, 37 % du total des contrats conclus par l'Algérie avec l'étranger le furent avec la France, qui venait ainsi au premier rang des fournisseurs.

Et parallèlement, bien sûr, l'Algérie restait dépendante de la France pour ses approvisionnements en vivres, la construction de logements, l'équipement du pays.

Or, dans ce domaine, c'est encore avec la France que furent établis la majorité des contrats.

Là aussi, les banques ouvraient des « lignes de crédit » comme elles disent. Le Crédit Lyonnais, par exemple, ou la BNP, ouvraient un crédit de tant de millions, mais sous réserve qu'il soit utilisé à l'achat de tel produit ou de tel équipement, à telle société. Là encore, les profits furent empochés par les capitalistes français.

L'État algérien était là pour servir d'intermédiaire et pour orienter la manne pétrolière vers les coffres de Bouygues, Dumez, chargés des programmes de construction d'habitations populaires, vers Rhône-Poulenc et Roussel-Uclaf qui n'en finissaient pas de se féliciter du système de soins algérien. Pris en charge par l'État, il constituait un marché protégé et bien plus important qu'il n'aurait été si la population avait eu ses seules ressources pour se soigner.

L'Algérie était l'Eldorado de toute une bourgeoisie affairiste française qui utilisait tous les canaux de relations et d'échanges que la décolonisation n'avait pas détruits.

Les pots de vin étaient encore moins exceptionnels là-bas qu'ils ne le sont ici.

Et il y a eu bien sûr la corruption du régime algérien, que les Algériens ont raison de ne pas pardonner au régime. Une corruption à la française, née de toutes ces relations avec l'impérialisme, de toute la spéculation financière qui a accompagné ce système d'endettement.

Mais malgré tout, le gâchis dû à la corruption du régime est sans commune mesure avec le pillage impérialiste lui-même.

On parle d'une surfacturation de nombreux équipements.

Et, nous en savons quelque chose, c'est sûrement vrai mais ce n'est pas propre à l'Algérie.

On dit que le complexe d'Arzew, construit essentiellement par le groupe américain UOP, aurait coûté quatre fois plus que le projet initial (ce n'étaient pas les Français qui étaient dans le coup, certes, sinon le surcoût eut peut-être été encore plus important !).

On parle de surfacturation permanente dans la fourniture des équipements, des pièces détachées, des matières premières. Les privilégiés algériens en ont largement profité, mais plus encore les fournisseurs.

Toujours est-il que l'endettement a pris, en quelques années, des proportions gigantesques.

Le problème de la dette

Ce qu'on appelle « le problème de la dette », c'est-à-dire des emprunts faits par un État à ses propres capitalistes nationaux ou aux financiers du reste du monde, n'est pas propre à l'Algérie. Bien des États de par le monde sont ainsi endettés, l'État français lui aussi, et le plus endetté du monde est l'État américain.

Le problème principal de ces dettes, ce n'est pas tant le remboursement des sommes empruntées car, après tout, il s'agit là de rendre de l'argent qu'on a reçu, mais c'est celui des intérêts qui finissent, cumulés, par représenter des sommes énormes.

Les intérêts de la dette des USA sont colossaux.

Mais pour les pays pauvres, « en voie de développement » selon l'euphémisme en vigueur pour dire qu'ils ne se développent pas, c'est que ces emprunts servent, avant tout, à enrichir d'une part, les exploiteurs étrangers et, d'autre part, les capitalistes nationaux, quand ce ne sont pas les mafias proches du pouvoir.

C'est-à-dire que les peuples sont saignés à blanc pour payer l'intérêt et le capital, mais ne profitent pas des emprunts.

Et quand un État se révèle insolvable et demande à reporter sa dette, ce qu'on appelle le « rééchelonnement de la dette », l'huissier, le garant du capital impérialiste mondial qu'est le Fond Monétaire International, impose à l'État demandeur des économies budgétaires qui portent sur tout ce qui concerne les dépenses intéressant la population, comme par exemple les subventions aux produits alimentaires de base, ou la santé publique, ou l'éducation, ou les infrastructures nécessaires à la collectivité, mais jamais sur les commandes ou les subventions aux capitalismes locaux ou internationaux.

C'est la façon dont le capital international peut exploiter, indirectement, n'importe quel peuple et dont les capitalistes nationaux ou les appareils politiques nationaux prennent leur dîme, au passage, pour services rendus dans le maintien de l'ordre.

Malgré la forte progression des exportations d'hydrocarbures, le déséquilibre de la balance commerciale s'est dramatiquement accru : il a été multiplié par quatre entre 1970 et 1975.

En 1975, on exportait pour 5 000 millions de dinars, mais on importait pour 24 200 millions de dinars (41 % en biens d'équipements, 26 % en matières premières, 26 % en biens alimentaires).

Pendant que l'Algérie restait, pour ses rentrées, dépendante des cours mondiaux des hydrocarbures, elle dépendait aussi des cours mondiaux pour toutes ses importations les plus vitales. Car pendant qu'on industrialisait dans l'espoir d'importer, on arrivait à un moment où les grands marchés industriels se rétrécissaient.

L'État algérien ne parvenait pas à s'opposer à la soif de profits des compagnies pétrolières et des trusts, il était là au contraire pour garantir la solvabilité de l'Algérie. Une solvabilité qui n'existait que par l'exploitation de la population.

Et c'est ainsi que l'Algérie s'est enfoncée dans la crise catastrophique dont elle est victime aujourd'hui.

Cette crise, qui s'est développée dans les années 1980 et a secoué toute l'économie algérienne, fut provoquée, au départ, par la crise des prix des hydrocarbures, le symbole de la richesse et de la dépendance de l'Algérie.

Une crise provoquée par la soif de profits des puissances impérialistes

L'Algérie des années 1980

Au milieu des années 1980, quand éclata la crise qui allait conduire à la situation d'aujourd'hui, l'Algérie ne ressemblait plus tout-à-fait à celle des années 1960.

De près de 18 millions d'habitants en 1969, elle était passée à près de 25 millions en 1980, dont près de la moitié avaient moins de 20 ans. Elle en compte près de 30 millions aujourd'hui.

Parmi cette population, s'était développée une classe bourgeoise de commerçants, de négociants vivant en grande partie des relations commerciales internationales. Il existait une petite-bourgeoisie nombreuse. Et il y avait aussi, bien sûr, une couche de super-privilégiés qui tiraient leurs avantages et leur fortune de leur rôle dans l'État et l'administration.

A la campagne vivait, d'un côté, une paysannerie nombreuse de petits et moyens propriétaires, tandis que dans les domaines d'État, gérés par des représentants de l'État algérien, on retrouvait une minorité de gestionnaires privilégiés qui encadraient un prolétariat agricole nombreux et misérable.

Mais la transformation la plus remarquable venait du développement récent d'une classe ouvrière, minoritaire mais importante, dont une partie travaillait dans de petites entreprises mais dont une fraction importante travaillait dans de grandes entreprises, parfois de taille importante.

Enfin il y avait, dans les villes, des millions de personnes sans emploi dont la majorité était des jeunes à qui la société n'offrait aucun avenir.

Les écarts sociaux s'étaient creusés au sein de la société algérienne. Et la grande majorité de la population des classes pauvres n'arrivait à se nourrir à peu près normalement que parce les prix des produits de première nécessité étaient soutenus par l'État qui y consacrait un quart de son budget de fonctionnement en 1975.

Cette aide alla en diminuant : l'État n'y consacrait plus que 5 % quelques années plus tard. Et cette baisse se traduisit par une dégradation du niveau de vie des couches les plus pauvres.

Et si, grâce au pétrole, l'État pouvait se permettre de consacrer des sommes relativement importantes au logement, à la santé, à l'enseignement, c'était moins, beaucoup moins qu'il ne l'aurait fallu. Certes, cela contribua néanmoins à faire que le régime algérien conserve longtemps un certain crédit parmi les masses populaires.

La chute catastrophique des rentrées pétrolières

Mais dans ce pays, où les hydrocarbures constituaient 95 % des exportations, la chute des prix du pétrole, conjuguée à la baisse du cours du dollar, fit basculer, en quelques années, entre 1982 et 1988, le pays dans la crise.

Le pays fut privé de 40 % de ses recettes en devises. L'État limita ses investissements, comprima ses propres dépenses. Mais c'est bien sûr aux classes pauvres qu'il demanda les plus grands sacrifices.

C'est ainsi qu'il diminua les importations de produits alimentaires de 40 %, ce qui provoqua non seulement une hausse générale des prix, mais le développement du marché noir. Le gouvernement maintint pour un temps encore ses mesures de soutien aux prix des produits de première nécessité. Mais celles-ci devenaient dérisoires. Le niveau de vie de l'immense majorité de la population diminua. Et ce fut d'autant plus dramatique que des économies furent faites dans les services publics, dans le secteur de la santé, du logement social.

Avec beaucoup moins de rentrées en devises et des importations très importantes, le déficit ne pouvait que s'accroître. La dette devint une charge démesurée. La part de capital et d'intérêt que l'État devait rembourser à ses créanciers, atteignait bientôt 55 % de la valeur de ses revenus d'exportation. Puis davantage encore. Pour rembourser, il fallut alors multiplier les emprunts à court terme, d'un coût élevé, ce qui aggrava encore les choses.

Les dirigeants de l'État algérien avaient choisi de tenir leurs engagements vis-à-vis des États impérialistes, des banquiers, des industriels. Ils diminuèrent encore le niveau de vie des plus pauvres, provoquant une série d'explosions de colère et de désespoir.

Il y eut des révoltes. Celles de Sétif et de Constantine en 1986, violemment réprimées par les forces de l'ordre. Il y eut celle de la jeunesse à Alger en octobre 1988.

C'est dans cette crise que s'est développé le mouvement islamiste intégriste, le FIS, qui est devenu en quatre ans la première force politique d'Algérie. Mais cela n'avait rien d'automatique.

L'absence de parti défendant les intérêts des classes pauvres...

Au début, même, l'histoire sembla prendre un autre tour. Dans la révolte d'Alger, en octobre 1988, les islamistes n'étaient pas à la pointe du combat. Mais comme personne ne dirigeait le mouvement, ils eurent le champ libre pour intervenir en médiateurs et en modérateurs.

Par ailleurs, il y eut en 1988-1989 une relative montée des mouvements de gauche, un développement du syndicalisme et surtout une vague de mouvements de grève.

Celle-ci avait précédé la révolte des jeunes et elle continua pendant plus d'un an.

Il y avait là une place pour le développement d'une force politique défendant les intérêts des classes pauvres de la population.

Il y avait une place pour un parti dénonçant la politique anti-ouvrière et, plus largement, anti-populaire du régime. Une politique dénonçant, un à un, tous les choix du gouvernement, choix qui contribuaient à garantir les privilèges des riches, dans la crise, pendant qu'une partie grandissante de la population et l'immense majorité de la jeunesse, étaient rejetées de toute activité économique et sociale.

Une force politique qui ose dire que la dette contractée auprès de l'impérialisme français, ou américain, était payée et remboursée depuis longtemps et qu'il était temps que les classes pauvres prennent en mains toutes les richesses de la société, les exploitent, les contrôlent.

Une force politique qui dise qu'il était temps que les milliards du pétrole soient consacrés au logement, aux infrastructures, à l'alimentation des villes en eau et notamment en eau potable.

Il n'y avait pas de parti en Algérie qui défende les intérêts historiques de la classe ouvrière.

La classe ouvrière était là, mobilisée. Mais personne ne lui offrait de perspectives. Pas le FLN, bien sûr, qui était au pouvoir. Pas Ben Bella non plus, ni Aït Ahmed qui, l'un et l'autre, ne s'étaient jamais situés sur le terrain de la lutte des exploités. Pas davantage le Parti communiste qui s'est contenté de dénoncer la répression, tout en se prononçant contre les grèves. Les idées, les façons de penser, de voir l'avenir dont nous parlons, n'ont été défendues par personne.

Le pouvoir tenta de neutraliser cette contestation en accordant une certaine libéralisation politique, en particulier le retour au multipartisme et l'instauration du parlementarisme, tout en continuant d'imposer des sacrifices aux plus pauvres. Et l'ensemble des partis dont nous avons parlé ont joué le jeu, acceptant aussi de donner une allure plus démocratique à la dictature. Ils cautionnèrent l'illusion que le régime pouvait donner plus de liberté à la population, oubliant que pour les pauvres, la liberté, c'est se nourrir, se loger et se soigner.

... laisse le champ libre au Front Islamique du Salut

C'est le mouvement islamiste religieux, réactionnaire et fascisant qui s'est trouvé en situation d'occuper le terrain laissé libre auprès des exploités d'Algérie car ils prenaient en considération, au moins en parole, la misère et les souffrances de la population.

Les cadres de leur parti étaient des bourgeois, des petits-bourgeois, mais ils ont su, par un langage démagogique, offrir aux jeunes la conscience de leur dignité, voire l'espoir d'un avenir non corrompu. Leur populisme, leur démagogie étaient la caricature de la politique qu'il aurait fallu mener, mais l'absence de parti se situant honnêtement sur le terrain des exploités leur a ouvert la voie.

Bien sûr, le gouvernement algérien est responsable de la misère et des répressions. Les partis politiques algériens, qui ont cherché à profiter de la période de libéralisation politique qui a suivi, sont responsables de n'avoir offert aucune perspective aux classes populaires.

Mais nous tenons à dire, là encore, que dans l'évolution de cette crise qui dure depuis dix ans, l'impérialisme français est fondamentalement responsable de la dégradation de la situation.

Les pressions de l'impérialisme français et international pour accroître leur mainmise sur l'économie algérienne

Car les puissances impérialistes n'ont pas réagi devant la crise algérienne en desserrant l'étau dans lequel ils encerclaient l'État algérien. Non ! Leur seule optique a été de profiter de cette crise, qui ébranlait le pouvoir et tirait en arrière la société algérienne, pour soutirer plus de profits et exploiter davantage le peuple algérien.

C'est ainsi que la France se refusait, par exemple, à attribuer les moindres crédits lorsqu'ils n'étaient pas assortis d'un de ces contrats d'importation juteux pour les sociétés françaises. Toute la politique des gouvernements français successifs a été de contribuer à endetter un peu plus l'Algérie, en lui liant les mains. Et en faisant que l'argent prêté, non seulement rapporte des intérêts usuraires, non seulement soit remboursé à terme, mais qu'en plus, il rentre immédiatement dans les coffres des capitalistes français.

Et puis, la pression du capitalisme international s'est aussi exercée en vue d'autres objectifs. Comme par exemple récupérer une mainmise plus directe encore sur l'économie algérienne et, en particulier, sur l'exploitation du pétrole et du gaz naturel.

C'est dans ce sens que vont leurs pressions visant à privatiser le plus de secteurs possibles de l'économie algérienne.

En 1986 puis en 1991, a été mise en place, sous la pression des milieux financiers internationaux, une nouvelle législation qui permettait aux sociétés étrangères d'être associées à l'exploitation des hydrocarbures moyennant des investissements technologiques et des avances financières. Les Américains étaient les pionniers de l'affaire, suivis par les Allemands, les Espagnols et les Français.

En 1995, après les accords de rééchelonnement de la dette, ce type de contrat a été étendu à toutes les sociétés. La législation mise en place en 1995 a même donné la possibilité de constituer en Algérie des sociétés composées jusqu'à 100 % de capitaux étrangers.

L'État algérien qui n'est pas en situation, loin s'en faut, de résister aux pressions des magnats internationaux de la finance, a accepté d'organiser lui-même le démantèlement des entreprises nationales dont la mise sur pied a été si chèrement payée par la population algérienne.

La privatisation des entreprises et des terres : les classes populaires sont visées

Depuis plus d'un an, on parlait en Algérie de privatisations. Un peu dans le secret.

On disait qu'il fallait que les entreprises agricoles et industrielles soient rentables. Alors on diminuait les salaires, on licenciait et on préparait les privatisations.

A moitié dans le secret. Histoire de bien montrer que les entreprises nationales n'étaient pas rentables, l'État cessait de verser ce qu'il devait à ces entreprises qui devenaient, ô honte ! déficitaires.

On multiplia les pressions sur les travailleurs pour leur montrer qu'il n'y avait pas d'autre solution. Au nom de la rentabilité, on ne paya plus les salaires. Bien plus, on a même imposé une taxe spéciale sur tous les salaires pour verser aux travailleurs du secteur du bâtiment leur arriéré de salaires.

Et partout, bien sûr, dans tous les secteurs, on annonce depuis plusieurs mois des plans de licenciements. Enormes. Infiniment plus vastes et plus dramatiques que les plans que nous connaissons ici.

Si nous en croyons la presse algérienne, dans les mois qui viennent, dans l'industrie, ce sont plus de 250 000 travailleurs qui doivent être licenciés parce qu'on ferme des entreprises d'État et des entreprises publiques locales et pour les brader aux capitalistes des pays riches, sans même savoir s'il y aura des acheteurs.

Aujourd'hui, des milliers de travailleurs résistent le dos au mur, se battent en ordre dispersé, refusent des licenciements, demandent le paiement des salaires.

Il est possible que, demain, des capitaux français, allemands, américains, s'investissent en Algérie. Y créeront-ils des emplois ? C'est moins sûr. S'ils le font, ce sera avec des salaires encore plus bas, en faisant jouer la concurrence entre pauvres. Et tous les travailleurs algériens le savent, les investissements, s'il y en a, créeront moins d'emplois qu'on en aura supprimés pour privatiser.

Ce qui est vrai des villes l'est aussi, bien sûr, des campagnes algériennes où la privatisation des terres intégrées dans les grands domaines nationalisés, déjà disloqués depuis dix ans, a été décidée.

Cela concernerait 3 millions d'hectares sur les 8 millions de terres utiles sur le plan agricole que compte l'Algérie. Ces terres privatisables se trouvent en grande partie dans la grande plaine fertile de la Mitidja. Eh bien, sur ces domaines riches et fertiles, il est question de vendre la terre à qui est capable de l'acheter.

Il s'agirait, dit-on, de permettre au petit paysan qui peut payer, d'acheter son lopin de terre (il pourrait rester locataire pour trente ans s'il ne peut acheter). Mais surtout, cela permettrait aux sociétés capitalistes, aux trusts internationaux, de racheter les terres les plus fertiles, de les concentrer, de les exploiter.

Et comment ne pas être sûr que les plus riches se rendront maîtres de toutes les terres, tant il est vrai qu'il sera impossible au paysan pauvre de payer l'emprunt pour acheter la terre, pour payer les travaux d'irrigation, les semences et les engrais ?

Aujourd'hui, là aussi, des réactions ont lieu dans les régions menacées. Certains paysans s'insurgent en disant qu'ils ne veulent pas revenir au temps du colonialisme français et qu'on va bientôt voir revenir les Pieds-Noirs dans leurs anciens domaines.

Un « sauvetage » coûteux pour le peuple algérien et juteux pour les capitalistes français entre autres

Aujourd'hui, la presse économique dit que l'Algérie, qui depuis les années 1980 était au bord du marasme économique et de la banqueroute, aurait redressé la situation. En pressurant la population pour payer ses dettes, l'Algérie serait redevenue un partenaire modèle. On nous raconte aussi qu'elle aurait sorti la tête de l'eau grâce à une aide française qui ne se serait pas démentie et qui se chiffrerait à plusieurs milliards.

Enfin, grâce à la découverte par des sociétés étrangères de nouvelles ressources en pétrole et en gaz naturel, l'avenir s'annoncerait sous de meilleurs auspices.

Voyons ce qu'il en est des différents aspects de cette politique.

L'État français, c'est vrai, est intervenu directement auprès des grandes banques françaises pour qu'elles ouvrent de nouveaux crédits à l'Algérie. Le Crédit Lyonnais et la BNP ont été sur les rangs. Entre 1990 et 1995, l'Algérie a obtenu ainsi 6 milliards de francs de crédits annuels à des conditions, en principe, privilégiées. Des crédits destinés à l'achat de céréales, de biens de consommation et à la réalisation de grands projets.

En réalité ils ont surtout contribué à procurer de bonnes affaires aux capitalistes français petits et grands. L' Expansion fait état de témoignages de patrons de PME ravis de leurs actuelles affaires en Algérie. D'après ces gens-là, il faut se réjouir de ce que la situation se soit encore améliorée. Ce journal signale qu'aujourd'hui les acheteurs algériens paient cash ou par lettre de crédit confirmée et irrévocable. La Lyonnaise des Eaux va construire un réseau d'eau potable à Alger. Renault, les trusts pharmaceutiques, sont pleins d'espoir. Des cabinets de conseil français décrochent des contrats pour aider les entreprises publiques algériennes à se restructurer en vue des privatisations.

De récents crédits consentis par le FMI dopent eux aussi les importations et les profits de tous ceux qui exportent vers l'Algérie. Mais ces crédits augmentent dramatiquement l'endettement, et les intérêts à verser chaque année.

Et la Banque Mondiale prévoit donc que dès l'horizon 2000 un nouveau réaménagement de la dette sera nécessaire même si les cours des hydrocarbures se maintiennent.

Mais les grandes sociétés capitalistes internationales se moquent de cela du moment qu'elles peuvent, dans l'immédiat, profiter au maximum.

Le coréen Daewoo a annoncé un programme d'investissements de 2 milliards de dollars en Algérie. La firme vise l'assemblage automobile, les téléviseurs et l'hôtellerie. Aviations Systems International (USA) négocie actuellement un « joint venture » avec Air Algérie.

Rhône-Poulenc envisage le développement d'une industrie pharmaceutique qui associerait Rhône-Poulenc, avec des firmes britannique et autrichienne.

Mais c'est, bien sûr, dans le secteur des hydrocarbures que les divers pays impérialistes tentent de s'accaparer une part maximum de la principale richesse de l'Algérie. C'est de là que l'État algérien tire 95 % de ses recettes à l'exportation. Mais c'est aussi, et peut être de plus en plus, une manne pour un nombre croissant de trusts pétroliers qui s'affrontent d'ailleurs pour dominer ce secteur qui apparaît en plein développement puisque la production de pétrole devrait augmenter de 40 % et celle de gaz de 70 %.

Fin décembre 1995, British Petroleum a conclu un accord de 3 milliards de dollars portant sur la recherche, la production et la commercialisation de gaz à In Salah, pour une durée de 30 ans.

Total (35 %) et l'espagnol Repsol (30 %) ont signé en janvier 1997 un contrat plus modeste de 850 millions de dollars pour le développement des réserves et le partage de production du champ de gaz naturel de Tin Fouye Tabankort au sud-est.

L'américain ARCO s'octroiera 49 % de la production annuelle du gisement de pétrole de Rhourd Le Baguel, pendant 25 ans.

L'italien AGIP est sur les rangs.

A l'horizon 2000, la part de la production d'hydrocarbures aux mains de trusts étrangers serait d'un tiers.

La population algérienne prise dans l'étau de la dictature et de l'islamisme intégriste

C'est dans ce contexte d'exploitation impérialiste que la population algérienne a été prise dans l'étau de deux forces réactionnaires, aussi prêtes l'une que l'autre à imposer, par la force, des sacrifices à la population.

La misère, le chômage, le désespoir d'une fraction importante de la population et en particulier de la jeunesse, ont servi de base à l'islamisme et lui ont permis de recruter des milliers de combattants et de soutiens. Une fois l'ex-FIS écarté de la vie politique légale, les islamistes qui se voyaient proches d'accéder au pouvoir ont eu recours, après 1992, à la lutte terroriste comme politique de rechange.

Et le caractère implacable de la répression n'a pas pu venir à bout de leur existence.

Issus de la mouvance de l'ex-FIS, les chefs de maquis et de groupes armés recrutent leurs troupes dans les quartiers pauvres des villes, mais aussi dans les régions rurales où ils installent un temps leurs maquis jusqu'à ce que l'armée vienne les en chasser.

Ils se reconstituent au fur et à mesure de leur démantèlement, en puisant dans l'immense vivier que constitue la jeunesse désoeuvrée et désespérée à qui la société algérienne n'offre aucun avenir et même aucun présent.

C'est parmi ce lumpen prolétariat que les chefs du GIA ou de l'AIS enrôlent une grande partie de leurs recrues pour qui, d'ailleurs, les convictions religieuses servent bien souvent de prétexte pour s'imposer et justifier le recours à la force, en tant que gardiens de la morale.

Il semble qu'une partie importante des populations qui appuyaient l'ex-FIS ne sont pas partie prenante de l'escalade actuelle de violence. Mais les massacres se multiplient.

Le développement du terrorisme sanglant des groupes armés

Il est plus vraisemblable que les groupes armés qui se livrent à des massacres envers des populations civiles et, le plus souvent, dans les villages, sont vraiment des islamistes, malgré les bruits contradictoires.

Bien sûr, certains prétendent que c'est le gouvernement algérien lui-même, ou l'armée, qui organiserait ces massacres pour déconsidérer les islamistes. Cela peut paraître vraisemblable. Mais cela a peu de chances d'être la réalité car cela déconsidère encore plus l'État algérien en le montrant, ou bien incapable de s'opposer aux groupes armés, ou bien complice, ou bien complètement pourri de l'intérieur. Evidemment, tout cela est vrai.

C'est pourquoi le calcul profite plus aux islamistes. Ce sont eux qui ont le plus intérêt à faire penser que l'État et l'armée sont complètement noyautés par eux. Ce sont eux qui ont intérêt à laisser croire que l'armée est leur complice et qu'elle ne protégera aucune population qui s'opposerait à eux.

En fait, comme toutes les activités terroristes, il s'agit de se faire craindre, de faire régner la démoralisation et d'empêcher toute réaction populaire.

Le simple soldat n'agira pas de lui-même, ne montrera aucune spontanéité et n'aura aucune initiative pour s'opposer aux incursions de ces groupes car il pensera, à tort ou à raison, avoir à côté de lui un indicateur islamiste et il aura peur de mesures de rétorsion contre lui-même et sa famille. Même chose pour les sous-officiers et officiers du rang.

Quant à l'état-major, sa compétence se limite à exercer la dictature contre la population. Il est capable de monter des opérations aussi spectaculaires qu'inefficaces contre les maquis, mais incapable de mener la politique qui permettrait de désarmer moralement le FIS.

Car c'est toute une politique sociale différente qu'il faudrait mener.

L'état-major est lié avec tous ceux qui profitent de la situation économique de l'Algérie et il ne peut vouloir changer quoi que ce soit à cet état de choses.

La répression aveugle, oui, ils connaissent, comme l'état-major français en son temps. Mais la protection de leur propre population, ils ne connaissent pas, et c'est le moindre de leurs soucis.

Il est évident que cette politique d'assassinats collectifs, soit par des bombes dans les villes, soit par des massacres à l'arme blanche dans les villages, ne renforce pas la liaison des islamistes avec l'ensemble de la population. Mais cela les fait craindre et puis cela ne coupe pas la population que d'eux, cela la sépare aussi du gouvernement.

La population est désorientée et démoralisée, et c'est ce qu'ils recherchent.

Cela dit, leur force propre est certainement moins grande qu'elle n'a été. Car lorsqu'on en est réduit à de tels massacres terroristes, c'est qu'on est faible.

Mais dans un contexte où l'État serait affaibli et la population démoralisée, le pouvoir peut tomber aux mains de n'importe qui, et c'est ce qu'ils espèrent.

C'est ce qu'il faut craindre pour l'Algérie et avant tout pour les travailleurs et la jeunesse algérienne.

La fraction de la jeunesse qui soutient ou participe à ces groupes, si même elle est volontaire, croit peut-être y trouver une raison d'être, un sentiment d'exister. C'est alors l'erreur la plus terrible qu'elle puisse commettre.

Si les islamistes prennent le pouvoir, elle se retrouvera embrigadée et toujours aussi pauvre. De plus, elle servira de troupes contre tout le reste de la population. De tels nervis, l'histoire en a connus bien d'autres, des fascistes italiens aux SA et SS allemands ou à la phalange franquiste.

Et si l'on peut dire qu'un peuple qui en opprime un autre n'est pas un peuple libre, on peut encore plus dire qu'une fraction pauvre de la population qui opprime le reste n'est pas libre.

On dit que la foi déplace les montagnes mais, même lorsqu'elle est sincère, elle ne peut déplacer les réalités sociales.

Le développement d'un terrorisme sanglant paraît dirigé avant tout, à l'heure actuelle, contre les plus humbles après l'avoir été contre les intellectuels et celles des femmes qui voulaient s'émanciper et faire des études. Et il est d'ailleurs significatif que, même si les leaders politiques de l'ex-Front Islamique de Salut, les Madani, les Hachani se démarquent des Groupes Islamistes Armés, ils les cautionnent par démagogie. Ils pensent aussi que si demain les circonstances rendent le pouvoir fragile, c'est sur de telles forces qu'ils pourront peut-être s'appuyer pour y accéder.

Le terrorisme actuel ne répond plus au prétexte de riposter à la répression et de survivre en tant que force politique. Il est destiné à faire pression sur la population, à la terroriser, à la soumettre.

En ce sens, il est aussi une façon pour les islamistes de faire des offres de service, non seulement à la bourgeoisie algérienne, mais aussi aux représentants de l'impérialisme, trusts et multinationales diverses qui peuvent avoir, demain, besoin d'un pouvoir fort de remplacement si l'actuel s'effondre. Par exemple, pour chasser les travailleurs des terres nationalisées, pour garder les champs de pétrole, pour mater des grévistes et faire des bidonvilles, des ghettos immenses, quadrillés par ces bandes armées.

Entre l'État algérien et les États impérialistes : des liens de complicité sur le dos du peuple algérien

Et pourtant, est-on tenté de dire, les militaires en place en Algérie n'ont-ils pas déjà montré qu'ils avaient su préserver les intérêts des capitalistes ?

L'intervention même de l'État dans l'économie, initialement destinée à protéger les intérêts algériens a montré qu'elle pouvait aussi largement servir les intérêts des impérialistes en garantissant le remboursement de la dette, la fiabilité des marchés, le respect des contrats d'importation et d'exportation.

Les militaires ont aussi montré leur capacité à imposer des sacrifices à la population.

Et puis, les dirigeants du monde capitaliste savent qui sont ces hommes politiques.

Au long des années, des liens étroits se sont tissés entre les milieux politiques et militaires dirigeants de l'Algérie et les milieux dirigeants français.

Si, malgré le passé et malgré surtout la guerre d'indépendance, l'Algérie est restée néanmoins, essentiellement, dans la sphère d'influence française, ce n'est pas uniquement par la force de l'économie française, mais aussi à cause de ces liens de complicité.

Et si, de temps en temps, très rarement, on entendait un chef d'État français ou un Premier ministre faire discrètement allusion aux Droits de l'Homme en Algérie, s'il y a un domaine où les dirigeants politiques de l'impérialisme français a laissé les dirigeants algériens mener leur politique, fut-ce la pire, c'est le domaine de l'oppression de leur propre peuple.

Alors, si on a toutes les raisons d'être choqués lorsque l'État français rend difficile la venue de réfugiés algériens, au fur et à mesure que la situation s'aggrave, l'aspect le plus criminel de son attitude n'est même pas là.

Car, de toute façon, tout un peuple ne peut pas émigrer pour échapper à la répression.

Non, le pire de ces crimes, c'est cette complicité fondamentale, ce soutien accordé aux dirigeants algériens qui permettent aux capitalistes français de tirer leur part de profit de l'exploitation des masses populaires algériennes.

Mais les dirigeants de l'impérialisme français savent aussi que les gouvernants algériens peuvent, demain, être débordés par des mouvements populaires et qu'il faut des forces supplétives et des dictateurs de rechange.

Aujourd'hui, la guerre larvée qui oppose le pouvoir aux islamistes est, en réalité, un facteur d'ordre social. Elle contribue à terroriser et démoraliser la population. Ce peut être plus décisif demain.

Et rien ne dit que ce qui était apparu, en 1992, comme une épreuve de force entre deux adversaires dont l'un devrait l'emporter, ne s'éternise et ne s'enlise sous le regard complice des puissances impérialistes qui peuvent s'appuyer, en fonction des besoins et des situations, sur l'une ou d'autre force.

En tout cas, le drame que vivent les populations d'Algérie ne toucherait les capitalistes européens, américains ou japonais, que s'il mettait leurs profits en danger.

Le personnel dirigeant des investisseurs étrangers renonce peut-être parfois à se déplacer physiquement pour ne pas prendre de risques, mais il trouve des intermédiaires algériens qui, payés grassement ou pas, règlent les problèmes. Et puis des relais existent au Maroc et en Tunisie. Et puisque l'aéroport d'Alger n'est pas de toute sécurité, on rend visite au pétrole et au gaz du Sahara en passant par Tunis et Rabat.

Les gisements de pétrole, les champs de gaz naturel que les grandes sociétés exploitent ou prospectent sont des sortes de zones franches. Et l'on peut y continuer les affaires sans que les hauts cadres ne risquent leur vie. De fait, il se crée, à partir de l'exploitation des hydrocarbures, une sorte de ségrégation territoriale du Sud peu peuplé, épargné par ce qui se passe au Nord, où est concentrée 95 % de la population, et les hommes d'affaires algériens ou étrangers ne s'y sentent pas menacés.

Mais pendant ce temps-là, le chômage a touché 25 % de la population active et le pouvoir d'achat a été divisé par deux en moins de quatre années.

Les prix des produits alimentaires sont montés de 40 % en moyenne en 1994-1995 ; avec des pics de 223 % pour le café, 110 % pour les laitages. Et cela a continué de monter.

Au début de l'année 1997, ce sont les loyers dépendant de l'État et des collectivités locales qui ont augmenté de 20 %. Ainsi que les transports : relèvement de 36 % des prix pratiqués sur les grandes lignes. Le prix de l'électricité augmente d'environ 4,5 % par trimestre soit près de 19 % pour l'année.

Depuis janvier 1997, il y a eu des augmentations aussi sur le gaz, le pain, le lait, l'alcool, le tabac et tous les carburants.

Pour payer des ouvriers du bâtiment qui n'ont pas été payés, l'État a imposé à tous les autres salariés et aux retraités une contribution temporaire de six mois.

Maigre compensation, 2,3 milliards de francs ont été attribués pour venir en aide aux plus défavorisés, principales victimes de l'arrêt, sauf pour les céréales, des subventions aux produits de première nécessité.

Le kilo de viande coûte 54 F, le dixième du SMIC algérien.

Se soigner est hors de prix. Alcool, coton, sparadrap ont disparu du grand commerce, soi-disant pour empêcher les commandos islamistes d'accéder aux soins d'urgence. Les anesthésiques sont considérés comme arme stratégique, alors on opère souvent à vif car on en manque dans les hôpitaux et on n'en trouve pas dans les souks. Car c'est dans les souks qu'on arrive à trouver des films pour les radiographies, du coton, du fil.

Et l'on n'en finirait de décrire cette réalité révoltante des Dumez, des Rhône-Poulenc et autres Hoechst-Roussel.

Il faut, en Algérie comme en France, un parti qui défende les intérêts historiques du prolétariat

On ne sait pas, dans ce contexte, comment évoluera la situation politique en Algérie, comment évoluera le rapport de forces entre le pouvoir et les islamistes.

Mais ce qui est certain, c'est que les classes populaires algériennes n'ont rien à attendre ni des uns, ni des autres. Comme elles n'ont rien à attendre des partis d'opposition qui, dans cette jungle, en sont à réclamer le retour au multipartisme.

Mais ce qui est sûr, c'est que les masses populaires en général, les paysans, les ouvriers, les sans-emplois, la jeunesse qui n'a jamais trouvé de travail, ont tous le même intérêt.

La classe ouvrière est encore une force sociale. Les centaines de milliers de travailleurs qui la composent sont plus nombreux que les militaires, plus nombreux que les commandos islamistes. Les travailleurs peuvent être une force politique vers laquelle se tournent tous les exploités et tous les pauvres.

Mais pour cela, il faut que se constitue, au sein de cette classe ouvrière dont une partie vit avec nous, en France, un parti qui défende les intérêts historiques du prolétariat.

Si la classe ouvrière, les travailleurs français, ne sont pas responsables de la situation dramatique dans laquelle se trouve aujourd'hui plongé le peuple algérien, il ne faut pas oublier que nous sommes cependant tous un peu responsables de l'absence d'un parti révolutionnaire prolétarien en Algérie.

Responsables, oui ! Parce que nous n'avons pas pu, ou pas su, nous-mêmes, en créer un ici.

Un parti qui ait été capable de s'opposer, de l'intérieur, à notre propre impérialisme et de l'empêcher d'étrangler la révolution algérienne naissante et de l'affamer par la suite.

Un parti qui ait existé au moment de la guerre d'Algérie et qui ait pu offrir au prolétariat algérien un autre choix que le choix nationaliste.

Un parti qui puisse être un soutien pour que se constitue, aujourd'hui, un tel parti en Algérie.

Alors, il est bien tard pour cela disent peut-être certains. Oui !

Mais il n'est jamais trop tard. Et dans les soubresauts de la crise algérienne, comme dans ceux que nous allons vivre ici et où nous allons voir un gouvernement de la gauche dite «plurielle» tenter de lier les mains des travailleurs tandis que le patronat se prépare à l'offensive sans doute la plus violente que nous ayons jamais connue, eh bien, il n'est pas dit qu'un tel parti ne commencera pas à se construire.

Et c'est pour cela que nous étudions toutes les révolutions et leur histoire, et c'est pour cela que nous sommes ici ce soir.

Partager