Leur Europe est celle des financiers il faut construire l'Europe des peuples

Des institutions non démocratiques

Il a bien fallu, le 16 mars, la démission du Président et des 19 autres membres de la Commission européenne pour donner un peu de piquant à la campagne des élections européennes. C'est qu'il a bien fallu cette crise "sans précédent", ainsi qu'on peut résumer tous les gros titres de la presse, pour rappeler l'existence de cette commission ainsi que son véritable nom, puisqu'elle est beaucoup plus connue du grand public sous un pseudonyme, à savoir la "Commission de Bruxelles" ou "Bruxelles" tout court pour tous ceux qui protestent, à juste titre ou pas, contre ses décisions ou ses "diktats", selon qu'on est pour ou contre.

Les politiciens hostiles à l'Europe font des gorges chaudes de cette affaire, qui déconsidère l'exécutif européen. Quant aux défenseurs de l'Europe, ils ont fait contre mauvaise fortune bon coeur et ont salué cet événement comme une "crise salutaire" et même une "victoire de la démocratie".

Pourquoi une victoire de la démocratie ? Eh bien, parce que cette démission serait intervenue sous la pression du "Parlement de Strasbourg". Pardon ! Du "Parlement européen".

Ce Parlement européen aurait ainsi démontré qu'il n'est pas, quoi qu'on en ait dit, privé de tout pouvoir.

Pierre Zarka, dans L'Humanité, trouve même "réconfortant de voir que ce sont des élus des peuples ceux qu'on appelle souvent la classe politique qui ont réagi", "ce sont eux qui ont mis en lumière, fraudes, mauvaise gestion et népotisme, entraînant la démission en bloc de la Commission. Comme quoi il y a davantage de sagesse quand on est lié au suffrage universel. Les citoyens ne perdent jamais tout à fait leur temps en votant".

Pourtant, si l'on salue cet événement comme étant extraordinaire, c'est bien parce que ce parlement ne s'était pas beaucoup manifesté depuis les quelques dizaines d'années qu'il existe.

Pierre Zarka et tous ceux qui parlent de la victoire de la démocratie se contentent évidemment de peu, car qu'a donc fait le Parlement européen pour manifester sa puissance ? Est-ce qu'il est intervenu dans la répartition des milliards que la Commission européenne, celle de Bruxelles, gère et distribue aux capitalistes de toute l'Europe ? Est-ce qu'il est intervenu dans la politique agricole commune qui fait grossir les gros agriculteurs et disparaître les petits, en même temps qu'il désertifie les campagnes ? Est-ce qu'il est intervenu dans les problèmes de vache folle ou d'utilisation des aliments à base de viande interdits pour les bovins mais encore autorisés pour les porcs dans un certain nombre de pays, dont la France, ce qui permet à pas mal de malheureuses vaches de bénéficier dans les élevages du régime de leurs compagnons porcins et de mourir de l'encéphalite bovine encore aujourd'hui ?

Bien sûr que non ! Le Parlement européen n'a aucun pouvoir dans tous ces domaines !

Il a fait tomber la Commission européenne parce que certains de ses membres, sinon tous, utilisaient une petite partie de l'argent destiné au fonctionnement de leur administration à favoriser des amis ou des fournisseurs amis des amis. C'est-à-dire, en fait, vu tout ce qu'on a pu voir ailleurs, sur un détail.

Oui, bien sûr, c'est la malhonnêteté au pouvoir, mais c'est une malhonnêteté bien partagée dans toutes les allées de tous les pouvoirs et les députés européens n'en sont pas à l'abri, mais cela n'a rien à voir avec les interventions de la Commission européenne dans la vie quotidienne de plusieurs centaines de millions d'Européens. Car là, ce n'est pas un petit dentiste qui peut être favorisé mais les énormes dents, mâchoires et estomacs de très gros requins et pour des sommes infiniment plus grosses.

Nous ne défendons pas les commissaires européens mais leurs pratiques sont très voisines de celles du Comité Olympique international, de notre propre gouvernement, voire des municipalités de nos grandes villes. Ce sont, somme toute, des pratiques malheureusement bien fréquentes. Mais ne nous laissons pas abuser : pour si écoeurantes que soient ces pratiques, elles sont pourtant modestes à côtés des subventions énormes au grand capital qui ont un impact bien plus important sur les masses populaires. Elles ne sont jamais que le pourboire que s'octroient eux-mêmes les larbins du capital.

Cela dit, cette affaire tombe bien parce que, en cette période pré-électorale, chacun va s'efforcer de s'en servir pour redonner un peu d'intérêt à l'élection pour le Parlement européen en faisant croire que les parlementaires européens ont plus d'importance et plus de pouvoirs qu'ils n'en ont.

Les partis politiques bourgeois ont un programme commun pour l'Europe : celui de la bourgeoisie et du patronat des pays européens

Pourtant, la compétition à laquelle nous assistons depuis déjà quelques mois avec la préparation des listes de candidats à ces européennes et qui va de plus en plus s'accélérer, ne concerne pas vraiment l'Europe.

D'abord, parce qu'aucun des partis politiques français n'a réellement de projet pour l'Europe bien différent de celui des autres. Évidemment, chacun, dans les semaines qui viennent, va se dire partisan d'une réforme des institutions européennes et de ce qu'ils appelleront un "contrôle démocratique" sur ces institutions. Cela dit, l'aspect démocratique de ce contrôle, il faudra le chercher à la loupe.

En fait, la compétition, au moins en ce qui concerne la France, sera franco-française.

D'abord, ne négligeons pas le fait que les postes de députés européens sont lucratifs et que tous ne versent pas leur indemnité à leur parti, loin de là. Beaucoup, comme certains Verts, espèrent que ce sera un marchepied pour des postes plus importants.

Au-delà, il s'agit essentiellement, pour le personnel politique des différentes factions en présence sur l'échiquier politique français - on ne peut plus guère parler de partis de gauche et de droite - de se placer pour les compétitions à venir. Surtout, on ne sait jamais, en cas de démission anticipée du Président de la République et, bien sûr, de l'éventuelle dissolution de l'Assemblée Nationale qui pourrait s'ensuivre.

Chacun veut jouer sa carte indépendamment des autres en espérant faire le meilleur score possible pour se trouver en bonne place pour négocier les arrangements les plus favorables. De là, l'éclatement des grands assemblages, aussi bien à gauche qu'à droite et, qui l'eut cru, à l'extrême droite.

Le RPR se présentera sans l'UDF et il y aura ainsi une liste RPR-Démocratie Libérale emmenée par Philippe Séguin et Alain Madelin, en compétition avec une liste UDF, conduite par François Bayrou ; plus une de de Villiers, une de Pasqua et deux du Front national.

Quant à la gauche plurielle, elle est plus plurielle que jamais. PS, PC et Verts sont séparés, le PC réussissant, lui, le tour de force d'être pluriel à l'intérieur même de sa propre liste.

Le Front national avait beaucoup profité rappelons-le des résultats des élections européennes de 1984, où ses 11 % de suffrages démontrèrent pour la première fois son implantation nationale en même temps qu'une progression sensible dans l'opinion.

Aujourd'hui, l'une comme l'autre des deux branches pourries du Front national, comme Philippe de Villiers et Charles Pasqua, continuent d'exploiter le thème de la "souveraineté nationale" qui serait "menacée par la construction de l'Europe", comme par l'immigration.

Mais ailleurs, on a assisté à quelques retournements spectaculaires.

A droite, Philippe Séguin qui, avec Pasqua lors du référendum de septembre 1992, avait fait campagne pour le "non" à Maastricht, a choisi aujourd'hui de jouer la carte inverse, en tant que responsable du RPR.

Du côté de la gauche "plurielle", Chevènement, qui avait sauté sur le créneau nationaliste en appelant à voter "non" lors du référendum sur Maastricht et qui avait quitté le PS pour créer sur cette base le Mouvement des citoyens en 1993, ressuscite aujourd'hui en pro-européen allié au Parti socialiste... Nouveau "miracle de la République" !

De leur côté, les Verts sont devenus un parti de gouvernement, avec tout ce que cela implique comme opportunisme et finalement comme conservatisme social, pour ne pas dire pire. Leur fonds de commerce, c'est théoriquement l'environnement, mais à vrai dire leurs objectifs sont des places au gouvernement et dans les institutions. Ils veulent bien sûr ignorer que les principaux dégâts sur l'environnement sont essentiellement des conséquences directes du fonctionnement du capitalisme, de la recherche du profit maximum à court terme, quand aujourd'hui les principaux pollueurs ne recherchent pas des bénéfices supplémentaires dans la dépollution, comme le font la Générale ou la Lyonnaise des Eaux. Les Verts ne veulent pas s'en prendre au capitalisme, ils veulent un créneau pour arriver à gérer ses affaires politiques.

Pour eux, les seuls problèmes d'environnement, ce sont le nucléaire, l'état des forêts, les méfaits de la chasse pour les oiseaux migrateurs, et toute une série de problèmes, bien réels certes, mais les problèmes d'environnement bien concrets que connaissent les travailleurs sur leurs lieux de travail, dans les usines, les chantiers, bruyants, dangereux, toxiques, ou sur leurs lieux d'habitation, insalubres, dangereux, ceux-là ils n'en parlent pas, ils ne les imaginent même pas ! Ce ne sont pas les problèmes du public auquel ils s'adressent. Ni au niveau de l'Europe, ni à celui du pays.

Leurs positions au sujet de l'Europe varient au coup par coup. Même leur tête de liste se déclare aujourd'hui partisan du marché capitaliste. Bien sûr, il en déplore les excès comme les licenciements massifs pour augmenter les bénéfices et la cote des actions en Bourse, mais il ne dit pas comment concilier le respect du marché et une lutte contre ce qu'il appelle des "excès", alors que ces "excès" sont le fonctionnement normal et quotidien du marché.

Non, aucun de ces partis, même pro-européens, n'a véritablement de programme, de projet pour l'Europe.

Quant au principal parti responsable du gouvernement, le PS, il prétend se différencier de la droite en annonçant qu'il va mettre en avant des propositions pour une Europe "sociale". L'actualité politique fait que onze pays sur les quinze qui composent l'Union européenne ont maintenant des gouvernements sociaux-démocrates, se disant plus ou moins "de gauche", et les dirigeants de ces États se sont réunis récemment à Milan, en congrès du Parti des socialistes européens, pour se mettre d'accord sur un manifeste électoral commun, ce qui suffit à faire parler d'une "Europe rose", à la recherche paraît-il d'une nouvelle voie pour "favoriser l'emploi".

"Favoriser l'emploi", qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire pour Tony Blair, Lionel Jospin, Gerhard Schröder, Massimo d'Alema ? Que valent leurs idées de pseudo socialistes, à eux qui sont à la tête de gouvernements à plat ventre devant les grands patrons licencieurs, car on les voit tous les jours mises en application dans les pays qu'ils dirigent ? S'ils projettent autre chose pour l'Europe, l'avenir ne sera pas rose !

Pour le PCF, sa participation au gouvernement vaut bien tous les retournements

Le PCF, de son côté, s'était fait le champion du nationalisme. Croyant trouver un bon terrain pour une démagogie payante, il s'était déchaîné contre l'Europe, l'Acte unique et le traité de Maastricht, dénonçant "la fin de la souveraineté de la France", s'exclamant "L'hymne à la Joie de Beethoven [qui est l'hymne de la CEE] deviendrait-il l'oraison funèbre de la Marseillaise ?".

Pour L'Humanité, Maastricht fut une capitulation en rase campagne : "la force de frappe française serait livrée à l'Europe", "un arsenal redoutable serait confié à la puissance allemande", "De Gaulle (...) a dû se retourner dans sa tombe"... Le ridicule ne tuant pas, le député PCF Jean-Claude Lefort apostropha Roland Dumas, alors ministre : "On savait que d'Artagnan avait rendu l'âme à Maastricht. On saura désormais que la France a voulu y perdre la sienne !"...

Mais le PCF n'a pas connu le succès électoral qu'il recherchait, il a préféré accrocher son wagon au train du Parti socialiste et il a donc dû changer de musique sur l'Europe.

Robert Hue, dans un entretien au journal "La Tribune", le 15 mars, a déclaré : "Les communistes ne sont pas les adversaires du marché"... Présentant sa liste à la presse, il déclarait fin janvier : "Nous affirmons un choix, une volonté, un projet européen (...) et c'est au nom de ce choix résolument pour l'Europe que nous combattons (...) les politiques et les choix inspirés de l'ultralibéralisme".

L'"ultralibéralisme", pas le libéralisme économique, pas la course au profit, comme si l'ultralibéralisme était quelque chose de plaqué sur la course au profit.

Au Parisien du 2 février : "Que les choses soient claires : nous, communistes, nous ne sommes pas, en 1999, des eurosceptiques ou des euronégatifs : nous voulons l'Europe".

A une réunion de la direction du PCF, Robert Hue venait de déclarer avec pas mal d'aplomb : "Il me paraît évident que nous avons un sérieux handicap à surmonter : non seulement notre position quant à l'Europe est méconnue, mais elle est tout simplement considérée à l'exact opposé de ce qu'elle est ! Alors redisons-le et expliquons-le : nous, communistes français, sommes "européens". Nous sommes pour l'Europe." (L'Humanité du 30 janvier).

Il faut préciser que Robert Hue avait commencé son discours devant la direction de son parti en lui demandant de confirmer sa "détermination à prendre pleinement nos responsabilités de parti totalement engagé dans la majorité et au gouvernement".

Ceci explique cela, évidemment. C'est en effet là que tout a changé. Le PCF participe à nouveau à la gestion des affaires de la bourgeoisie ; il collabore pleinement au gouvernement qui a assuré le passage de la France dans le système de la monnaie unique européenne. Comment Hue pourrait-il se dire contre... le gouvernement ! Il est évident que se dire contre ce qu'il disait auparavant est plus facile. Il préfère sans doute tourner le dos à ses militants que déplaire à Jospin. C'est fou comme trois fauteuils de ministres peuvent monter à la tête d'un grand parti ! Il est vrai que ses dirigeants n'attendaient que cela depuis des années.

Pour Robert Hue et la direction du PCF, l'affaire est évidemment un peu délicate, car le Parti Communiste n'est pas une simple machine électorale comme le Mouvement des citoyens, facile à réorienter en fonction du nouvel ordre de marche.

Le Parti Communiste a encore de nombreux militants et sympathisants actifs dans les quartiers, les entreprises, les syndicats, et qui sont parmi les principaux artisans des luttes des travailleurs. Alors, faire admettre à ces militants que, lorsque les dirigeants du PCF ont manifesté la plus profonde hostilité à l'Europe, sans reculer devant les propos xénophobes, chauvins, franchouillards, que lorsqu'ils ont dressé devant leurs électeurs l'épouvantail des décisions de Bruxelles et de la Banque centrale européenne, d'où viendraient tous les malheurs des ouvriers-français-produisant-français, ils disaient le contraire de ce qu'ils voulaient dire... Aujourd'hui, Robert Hue vient assurer qu'il a toujours été un pro-européen convaincu. Il sera difficile de faire croire à tous ceux qui ont cru à ses discours que ce sont eux qui ont mal compris.

Que lui et le reste de la direction du PCF rencontrent quelques difficultés pour trouver les moyens de faire passer cela, n'a rien d'étonnant. En témoignent les contorsions par lesquelles cela s'est traduit au cours du Comité national du Parti Communiste de janvier 1999, dont voici quelques exemples.

Gérard LALOT (conseiller régional de Picardie, élu dans le département de l'Aisne) : "Nous savons que l'Europe peut être conçue par notre électorat, non seulement comme une structure éloignée des préoccupations de nos concitoyens mais aussi comme une structure hostile, un obstacle à tout progrès. Cette question traverse le Parti, et les communistes sont jugés plutôt comme eurosceptiques que comme euroconstructifs. Et quand nous nous affirmons européens, cela donne parfois l'impression que nous cédons à l'air ambiant, pour être en quelque sorte à la mode". Au gouvernement, oui ! A la mode, non !

Gérard Lalot affirme donc : "il faut n'avoir de cesse de dire : les communistes sont fondamentalement européens. Ils le sont par nature, par fondement et historiquement. Ils n'ont donc rien à voir avec un quelconque sentiment nationaliste au sens fermé", etc., etc., pour insister "La réorientation progressiste de la construction européenne est bel et bien le combat d'aujourd'hui".

Des militants qui n'auraient pas compris cela sont priés de s'adresser à Gérard Lalot.

Francis WURTZ (tête de la liste PC aux européennes de 1994) :

"Certains mènent bataille exclusivement contre l'euro, sans ouvrir de perspectives. Même si leurs arguments sont justes, ils mènent aujourd'hui les gens dans une impasse. (...) Le PCF propose une tout autre voie : loin d'abandonner notre analyse lucide de la nature ultralibérale de l'euro et de tout le système qui l'accompagne, nous prenons appui sur tout ce que nous avons contribué à semer depuis 1992 comme éléments de clairvoyance. Mais nous le faisons pour mener bataille sur le terrain réel d'aujourd'hui afin de construire du neuf."

Bien sûr, on peut comprendre que, n'ayant pas gagné une bataille, le PCF se replie "sur le terrain réel d'aujourd'hui", autrement dit sur sa participation au gouvernement.

En fait, on voit bien que toutes les campagnes, déclarations, explications que tous ces politiciens, de Chevènement à Robert Hue en passant par Séguin, ont pu faire contre le traité de Maastricht, ou, depuis, contre la ratification de l'accord d'Amsterdam qui en a pris le relai en 1997, n'ont été qu'une attitude démagogique à l'usage du bon peuple, un cinéma hypocrite et sujet à variations saisonnières auquel ils ne croyaient pas eux-mêmes.

Robert Hue se moque ainsi de ses propres électeurs et surtout de ses militants, par ses contradictions mais encore plus par la composition de la liste qu'il entend patronner pour les élections : "87 personnes associées sur des bases fortes : antilibérales, euroconstructives, pas anti ni progouvernementales"...

Il est sans doute à peine nécessaire de rappeler que nous avons été, que nous sommes, contre tous les traités impérialistes, qu'ils soient de Maastricht ou d'Amsterdam. Comme il est vrai aussi que, dans ce référendum sur Maastricht, nous n'avons pas voulu appeler les travailleurs à voter "non" et à mêler ainsi leurs voix à celles des de Villiers, Pasqua et Le Pen qui appelaient justement à voter "non". Nous considérions et considérons encore que ce qui était bon pour de Villiers, Pasqua et Le Pen ne pouvait pas être bon pour la population laborieuse.

Par ailleurs, nous ne pouvions pas conseiller aux travailleurs de voter "oui" à une entente de brigands, et c'est pourquoi nous avions choisi l'abstention.

Robert Hue se glorifie d'avoir Geneviève Fraisse en n°2 sur sa liste alors qu'elle avait été partisane du "oui" ; elle n'en fait pas mystère et le justifie.

Alors, tous ceux, syndicalistes, militants associatifs, intellectuels qui se sont portés sur la liste du PCF seraient, nous dit-on, des représentants des "luttes", de ce qu'il est à la mode d'appeler le "mouvement social". "La liste communiste est la liste du mouvement social", dit Robert Hue. En fait, beaucoup se retrouvent là tout bonnement parce qu'ils n'ont pas pu se retrouver sur la liste du PS.

Le secrétaire général de la FSU, Michel Deschamps, l'a dit lui-même, s'il faut en croire Libération : "Personnellement, j'aurais aussi bien pu être candidat sur la liste socialiste si elle avait adopté la même démarche d'ouverture"...

La revendication d'apolitisme a toujours masqué une mauvaise camelote et une tromperie.

Ces gens se revendiquent du "mouvement social", terme abusif pour cacher qu'il ne s'agit pas du mouvement ouvrier, mais ils ont fait le choix de cautionner un parti qui participe à un gouvernement qui mène une politique anti-ouvrière. Ils ne se gênent pas pour se joindre à un parti qui cautionne au gouvernement la répression contre les sans-papiers, par exemple, et plus globalement toute la politique qui engendre les licenciements, le chômage et la misère. Et ce n'est sans doute pas un hasard s'ils ont adopté, pour la distinguer du mouvement ouvrier, cette expression de "mouvement social", expression qui avait été, dans le passé, choisie par un milieu catholique qui se voulait "social" mais voulait aussi se démarquer de tout ce qui était mouvement ouvrier, grèves, et bien sûr de tout ce qui était authentiquement socialiste ou communiste. Ils veulent "faire du social", mais même si c'est parfois de façon un peu radicale, ils ne se placent pas sur un terrain de classe, et ce n'est pas innocent.

Leur but n'est pas de changer la nature de la société. Cela montre les limites de ces courants, petits-bourgeois, réformistes, et il n'est pas étonnant que certains cautionnent l'opération menée par Robert Hue, de sa recomposition qui n'est finalement que la décomposition de ce que pouvait être encore le PCF.

Rien de tout cela n'a d'avenir, même sur le plan du réformisme, où la place est prise. Il n'y a pas d'autre possibilité "à la gauche de la gauche" que de créer, à gauche du PC, un parti communiste prolétarien.

Nous espérons que les militants communistes qui se dévouent au sein des quartiers, des entreprises, des syndicats, sauront comprendre où mène la politique de leur parti, et que, loin de s'en démoraliser, ils comprendront qu'il est d'autres possibilités de lutte. Nous espérons qu'ils pourront vérifier que défendre une politique pour les travailleurs ne mène pas à l'isolement. En tout cas, qu'elle n'est pas moins efficace que celle que mène le PC dont la démagogie d'ouverture ne mène qu'à la démoralisation.

L'urgence de mesures radicales faisant payer la crise à ses responsables et à ses profiteurs

Ce ne sont pas ces élections qui, en elles-mêmes, vont changer quelque chose à la situation des travailleurs. Elles ne peuvent avoir d'incidences sur notre vie. Un tel changement, ce ne pourrait être que le produit du rapport des forces entre les capitalistes et les travailleurs qui pourrait l'imposer. Et le problème qui se pose aux masses populaires de France, c'est d'imposer des mesures qui puissent les protéger du chômage en mettant les travailleurs en meilleure situation face au grand patronat et au gouvernement.

Il ne faut pas laisser aux capitalistes le pouvoir de fabriquer des chômeurs par millions. Tel l'exemple récent d'Alcatel : 12 000 suppressions d'emplois programmées dans les deux ans à venir, alors qu'Alcatel a fait plus de 15 milliards de bénéfices en 1998, et que le conseil d'administration d'Alcatel a annoncé, dans des pages de publicité parues dans la presse, qu'il se propose de distribuer un dividende net par action en hausse de 14 % par rapport à 1997.

Voyons Renault et PSA : 8,8 milliards de francs de bénéfice net pour Renault, son meilleur bénéfice depuis dix ans, en hausse de 63 % sur 1997 ; pour PSA, 3,2 milliards de francs de bénéfices... et 40 000 suppressions d'emplois programmées pour l'ensemble des deux constructeurs d'automobiles. Et Renault a de l'argent pour racheter Nissan.

Autre exemple : l'opération lancée par la BNP sur deux autres grandes banques, la Société générale et Paribas, pour devenir la plus grande banque du monde : et il n'y aurait pas d'argent ? Pourtant, on nous prévient que cela signifie des "dégraissages" pour l'avenir, comme ils disent avec leur vocabulaire de bouchers. Et 130 000 salariés au total voient leur sort suspendu aux décisions de la Bourse et des financiers !

C'est pourquoi il faut abolir le secret commercial et le secret bancaire qui couvrent leurs manoeuvres et leurs spéculations, imposer le contrôle des travailleurs et de la population sur ce qu'ils font de leurs profits réalisés sur le dos de la classe laborieuse, le contrôle des travailleurs sur le système bancaire, réquisitionner les entreprises qui font des bénéfices et osent jeter des travailleurs à la rue. Seules de telles mesures radicales pourront faire payer la crise à ceux qui en sont les responsables et en sont les profiteurs. Il faut limiter, voire ôter à ces puissances d'argent le pouvoir absolu qu'elles ont aujourd'hui de diriger toute l'économie et de condamner à la misère des milliers de personnes, voire de ruiner des villes entières, sans qu'on puisse jamais les condamner.

Le grand patronat, les grandes entreprises ont de l'argent, des sommes colossales, celles qui alimentent la spéculation boursière, ce qu'ils appellent leurs liquidités. Ils en ont pour se racheter entre eux, amicalement ou sauvagement. Ils en ont pour fusionner afin de construire des groupes de plus en plus gros. C'est ce qu'ils appellent "investir". Cela ne crée ni biens supplémentaires, ni emplois en plus. Seulement des bénéfices, c'est-à-dire de l'argent, encore plus d'argent. C'est fou mais c'est comme cela. Et certains considèrent cela comme le meilleur des mondes.

Les travailleurs ne doivent pas se laisser abuser par les patrons qui pleurent misère et menacent d'aller s'installer ailleurs. C'est un chantage. Ils font, en réalité, bien trop de profits ici même. Ils mènent le pays à la catastrophe, ils appauvrissent la population travailleuse chaque jour plus dramatiquement ; il ne se passe pas de jours sans l'annonce de nouvelles charrettes de licenciements assortie de l'annonce de profits boursiers en hausse !

Les capitalistes n'auraient pas le choix, vu la concurrence, la course à la compétitivité, les pertes, etc. ?

Autant de mensonges flagrants des responsables politiques et des spécialistes auto-proclamés qui sont les larbins du patronat. Même chose lorsqu'ils affirment que les entreprises privées seraient mieux gérées que les services publics. Pourquoi alors les entreprises privées seraient-elles les premières à licencier ? Oui, elles sont sans doute mieux gérées pour fabriquer des bénéfices et surtout des chômeurs, ce qui est lié.

Alors, la tâche de l'heure, l'urgence, pour les travailleurs, c'est d'imposer à notre propre patronat la réduction de ses profits pour équilibrer le budget de l'État et imposer à ce dernier l'amélioration des services publics, que ce soit l'Education nationale, les transports en commun, les hôpitaux, les PTT, et de tous les services de proximité, ainsi que, bien sûr, des crédits pour transformer les banlieues des grandes villes et les rendre vivables pour tous.

N'oublions pas que si nous sommes capables, au travers des luttes sociales, celles des travailleurs et de la population laborieuse, d'imposer de telles mesures, cela sera contagieux. Nos victoires renforceraient la détermination et la confiance de tous les travailleurs européens et c'est à l'échelle de l'Europe que le rapport des forces entre les travailleurs et le patronat en serait changé.

L'union européenne des groupes capitalistes et des banquiers

Les travailleurs européens ont les mêmes ennemis et subissent la même exploitation et, aujourd'hui plus que jamais, les mêmes attaques contre leur niveau de vie et leur emploi, dans toute l'Europe. Car Union européenne ou pas, tous les pays de l'Europe, au moins de l'ouest, sont sous la domination de groupes capitalistes liés entre eux.

Le rôle des monnaies

Cela fait bien longtemps déjà, depuis le milieu et surtout la fin du XIXe siècle, que ce qu'on appelle le marché capitaliste, c'est-à-dire le commerce des marchandises, se fait à l'échelle mondiale et qu'il est international.

Jusqu'au début de ce siècle, celles des monnaies nationales qui pouvaient servir de moyens de paiement internationaux étaient basées sur l'or et, pour prendre l'exemple du franc, il s'agissait du franc-or, dont la valeur était calculée en milligrammes d'or, de même que le dollar, la livre sterling et les autres principales monnaies des grands pays impérialistes d'Europe.

Au début de la Première Guerre mondiale, le franc basé sur l'or a été supprimé.

La Deuxième Guerre mondiale a porté un coup terrible à toutes les monnaies, en particulier européennes. Même celles qui étaient stables jusque-là ont eu recours massivement à la planche à billets pour financer les dépenses militaires.

A l'issue de cette guerre catastrophique avec son cortège majeur de destructions des infrastructures économiques de l'Europe, chemins de fer, chantiers navals, sidérurgie, mines, routes, ponts, sources d'énergie, etc., pour tous les pays d'Europe l'inflation galopante fut la règle car tous les États européens imprimaient des billets sans compter pour payer leurs dépenses.

Seule la monnaie américaine, le dollar, restait convertible en or, les autres monnaies n'étant pratiquement plus acceptées comme moyen de paiement dans le commerce international. Seuls les États qui détenaient des dollars pouvaient importer quoi que ce soit venant de l'étranger.

Rien qu'en France, les investissements de l'État pour aider la bourgeoisie française à reprendre son essor, baptisés "reconstruction", ont entraîné d'énormes déficits budgétaires. Lors des années 1946 et 1948, l'inflation a dépassé 60 %. L'année 1947 n'a pas atteint ce chiffre mais n'en était pas loin.

Pour les travailleurs, c'était une course sans fin, infernale, entre leurs salaires et les prix, les salaires étant, bien entendu, toujours en retard sur les prix et le patronat payant donc les salariés en monnaie de singe.

Le volume de billets émis par la Banque de France a été multiplié par six de 1945 à 1948. Cela pour des échanges de biens qui n'étaient pas supérieurs en volume et, en tenant compte qu'aucun de ces billets n'était thésaurisé, justement à cause de l'inflation, on mesure ce que pouvait être cette dernière.

L'inflation a pu être jugulée dans les années 50, mais le franc ne valait plus grand chose sur le plan international. S'il valait encore à peu près 7,5 milligrammes d'or en 1945, il n'en valait qu'un peu plus de 2 en 1958. Cela à cause des frais de la "reconstruction" au profit de la bourgeoisie, de ceux de la guerre d'Indochine et de la guerre d'Algérie.

C'est en 1958 que De Gaulle, revenu au pouvoir après douze ans où il s'était tenu en "réserve de la République", instaura le "franc lourd", le "nouveau franc", valant 100 francs précédents. Mais ce nouveau franc était toujours subordonné au dollar, monnaie dans laquelle sa valeur était principalement exprimée. Bien que De Gaulle essayât, à partir de 1959, d'échanger en or celles des réserves que la Banque de France détenait sous forme de dollars.

Mais dix ans plus tard, en 1968, les États Unis eux-mêmes finirent par avoir trop fait fonctionner leur propre planche à billets à cause des frais de la guerre du Vietnam. Les réserves en or des USA ne purent alors plus suffire, même de loin, à garantir tous les dollars émis.

C'est pourquoi, en 1971, Nixon fut obligé de décider la fin de la convertibilité du dollar en or et, en 1973, ce furent la fin de l'étalon-or et le début de la "flottaison" des monnaies entre elles. Elles n'eurent plus de garantie fixe et stable et elles devinrent l'enjeu et le support de spéculations forcenées.

Évidemment, cela n'arrangea pas le commerce international car dès que des commandes d'avions, de navires, de locomotives, de construction d'usines, demandent des mois, voire des années pour être réalisées, le fournisseur ne sait pas réellement combien il va toucher au terme de son contrat. C'est même vrai pour ce qu'on appelle les "matières premières" agricoles qui sont souvent achetées par des industriels de l'agro-alimentaire avant que les récoltes soient effectives.

Oh, bien sûr, on instaura des organismes nationaux et internationaux chargés d'assurer une sorte d'assurance sur le dos des contribuables pour les exploiteurs, mais la variation des monnaies était quand même un frein considérable pour le commerce international, commerce dont aucun pays ne peut se passer.

Les États-Unis sont ceux qui s'en sortirent le mieux car une grande partie, en fait la majeure partie, de leur commerce, n'est pas internationale mais se fait à l'intérieur des frontières de leur immense pays et la majeure partie de ce qu'ils produisent est consommée par les habitants des USA qui ont, collectivement, le plus fort pouvoir d'achat du monde.

Mais, pour les pays européens, il n'en allait pas de même et ils commencèrent par essayer de limiter les variations de parité entre leurs monnaies pour, au moins, préserver le commerce entre eux de ces variations.

C'est comme cela que six pays d'Europe créèrent d'abord, en 1972, le "serpent" monétaire (les cours de leurs monnaies variant entre elles dans la limite de 2,25 %), puis l'Ecu comme unité monétaire commune, qui fit ses preuves, après une période de dislocation consécutive à la crise pétrolière et monétaire de 1973, lorsque le système monétaire européen, ou SME, fut instauré, en 1979. C'est l'Ecu qui, peu à peu, démontra son efficacité et qui permit d'envisager la possibilité d'une monnaie unique en Europe.

Mais il n'y avait pas pour les puissances industrielles d'Europe que le problème monétaire, si important qu'ait été celui-ci.

La laborieuse mise sur pied d'un marché capitaliste commun à l'échelle de l'Europe

Depuis la fin du siècle dernier, le problème qui se posait à ces pays, en particulier l'Angleterre, la France, l'Allemagne et aussi la Belgique, auxquels on pourrait ajouter la Hollande et le Luxembourg, était que leurs entreprises étaient déjà capables de fabriquer pour un marché bien plus large que la population de chacun de ces pays et que le marché solvable qu'elle pouvait leur offrir.

Lorsque la reconstruction fut achevée, après la Deuxième Guerre mondiale, certaines des plus grandes entreprises industrielles, plus modernes, étaient encore plus performantes et étouffaient encore plus entre les limites de leurs frontières nationales.

Les capitalistes n'étaient pas sans rêver à la puissance des entreprises américaines qui travaillaient pour un marché de plusieurs centaines de millions d'habitants, les uns très solvables, les autres pas du tout, et avec un grande partie qui l'était moyennement.

Comme on dit, les entreprises pouvaient choisir de vendre cher à peu de consommateurs, ou pas cher à beaucoup. Cela dépendait des produits, du Coca-Cola et des Mac Donald's aux automobiles ou aux avions. Le tout était que la marge de profit soit suffisante.

Mais en Europe, les capitalistes étaient limités par leur population nationale et les variations, considérables d'un pays à l'autre, de la moyenne des revenus. De plus, vendre à toute l'Europe se heurtait aux barrières douanières, aux réglementations différentes et surtout aux monnaies et aux fluctuations de leur valeur.

C'est ainsi qu'à côté de la monnaie unique prit corps, pour certains groupes économiques, l'idée pas tout à fait nouvelle d'ailleurs, d'un marché unique à l'échelle de l'Europe, d'un marché commun sans frontières, sans douanes et avec des législations économiques uniformes.

Cette évolution n'alla pas sans mal.

D'abord, pendant la période inflationniste, les industriels et les financiers avaient trop besoin de l'aide de leur propre État pour leur assurer des commandes au moyen de la planche à billets, pour faire baisser la rétribution des travailleurs malgré le plein emploi, au travers de l'inflation, pour exporter plus facilement, ne serait-ce que pendant peu de temps, par les dévaluations ; pour limiter la concurrence de leurs voisins et ennemis sur leur propre marché intérieur par les douanes ou les réglementations, etc., etc. C'est-à-dire, finalement, pour se jeter dans les bras de leur propre État dès qu'ils en avaient besoin. L'étatisme, ils ne le critiquent que là où ils n'en ont pas besoin.

Aujourd'hui, avec le développement technologique et industriel, ajouté aux nécessités d'exporter sur le marché mondial, le marché commun a obtenu le soutien de la plupart des grands groupes financiers et industriels. D'autant qu'ils se sont encore plus internationalisés par des participations mutuelles, des fusions entre eux ou des fusions internationales.

Le marché commun peut représenter pour eux un marché intérieur potentiel de plusieurs centaines de millions d'habitants, riches ou pauvres, de quoi développer de très grandes entreprises. Même si les grands groupes se font concurrence, ils peuvent se partager ce marché ou s'interpénétrer, leurs arrières assurés par ce marché intérieur à l'égal de celui des USA. Ils espèrent aussi pouvoir tenir une place de premier rang sur l'arène mondiale et concurrencer l'impérialisme américain ou l'impérialisme japonais. Et cela d'autant plus si la monnaie unique, l'euro, appuyée sur un tel marché et sur un tel potentiel industriel, tient ses promesses et se révèle capable de concurrencer le dollar comme monnaie de réserve, dans tous les États du monde à monnaie faible, ou comme monnaie d'échange internationale.

Jusque là, quelque 60 % des échanges mondiaux se font en dollars, d'où une inégalité fondamentale avec les autres, car les capitalistes nord-américains peuvent prévoir leurs recettes et leurs dépenses indépendamment des fluctuations monétaires puisque de toute façon elles seront libellées dans leur propre monnaie. Et les grands groupes industriels européens voudraient bien bénéficier d'un avantage analogue, ce qui serait le cas s'ils pouvaient réaliser leurs échanges en euros.

De la "communauté" à l'"union"

Quand la Communauté économique européenne fut créée par les traités de Rome, en 1957, elle annonçait la couleur : il s'agissait d'un accord de commerce entre six États riches de l'Europe occidentale (l'Allemagne, la Belgique, la France, l'Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas) en vue de jeter entre eux les bases d'un "marché commun".

Les efforts des dirigeants, français notamment, en vue d'aboutir à ce genre d'accord remontaient en fait aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Il a tout de même fallu 38 ans d'une construction qui fut tout sauf harmonieuse, pour que l'Europe des Six devienne petit à petit l'Europe des Douze, puis celle des Quinze, et l'Europe n'est pas encore complète pour autant.

Car l'Union européenne n'a pas changé la nature des choses.

Et il n'est que de voir comment un projet de réforme de la Politique agricole commune vient une nouvelle fois de semer la zizanie entre les États, ou de se rappeler les interminables séances tenues à Bruxelles pour unifier les normes commerciales des produits des différents pays, la largeur des mailles des filets de pêche, la composition des confitures ou le respect des traditions fromagères des uns et des autres..., ou encore les longues périodes de quasi-blocage, en particulier à la suite de la crise monétaire de 1973 où chaque État réagit en ordre dispersé...

L'accouchement ne s'est pas fait sans douleur, tant chaque État s'est montré âpre à défendre les intérêts de ses capitalistes, de ses industriels, de ses gros céréaliers, etc. Céder la moindre parcelle de leurs prérogatives, de leurs instruments fiscaux, par exemple, n'était pas de leur goût, car ce sont autant d'armes entre les mains des différents États au service de leur patronat, de leur bourgeoisie, de leurs maîtres en somme, dans la guerre économique et la concurrence générales.

Les groupes capitalistes européens ont tout de même fini par mettre sur pied un marché plus ou moins commun. Ils ont aussi fini par aboutir à une entente à peu près viable sur un certain nombre de questions liées, telles que les moyens, comme les normes sanitaires, par exemple, par lesquels les réflexes protectionnistes des différents États refaisaient périodiquement surface en entravant son fonctionnement. Mais pas complètement cependant, et l'embargo sur la viande bovine anglaise en est un exemple.

Voilà pourquoi les capitalistes européens ont franchi le pas avec bien du mal, en choisissant d'unifier dans la même démarche, et leur marché, et leurs monnaies, ou en tout cas certaines d'entre elles. Il faut croire qu'à leurs yeux, les avantages qu'ils en retireraient sont apparus plus forts que les inconvénients.

La banque centrale européenne, créée d'un commun accord entre représentants du grand capital financier

Évidemment, la préparation d'une monnaie unique à peu près stable implique la nécessité de se mettre d'accord sur le rythme de l'inflation : plus question que chacun fasse fonctionner sa planche à billets en ordre dispersé afin de financer des déficits sauvages ! D'où la nécessité d'une "convergence" des critères monétaires et financiers. Et le système impliquait, par une auto-discipline librement consentie, du moins entre les trois principales puissances, qu'il y ait une force d'arbitrage : c'est le rôle qui a été dévolu à la Banque centrale européenne, d'un commun accord entre représentants du grand capital financier.

Certains considèrent le fait que cette Banque centrale européenne sera "indépendante de toute forme de contrôle politique, des États comme des citoyens", comme un abandon de l'indépendance de chaque pays.

"L'Humanité" déplore, par exemple : "Son conseil n'a aucun compte à rendre ni aux gouvernements ni aux Parlements. Un aréopage de financiers décrète sans contrôle. Les peuples n'ont rien à dire. De toute manière, le gouverneur Wim Duisenberg n'administre pas pour eux". Est-ce parce que ce gouverneur a été choisi par les Allemands que cela choque "L'Humanité" ? Comme si la Banque de France était sous le contrôle du peuple ! Que l'on sache, le Français Trichet ne gouvernait pas la Banque de France "pour le peuple", même lorsqu'elle dépendait encore officiellement du gouvernement, et où le dit peuple n'avait pas son mot à dire !

Comme si, à la tête des différentes banques centrales nationales, officiellement dépendantes de leur État ou pas, il n'y avait pas toujours eu un "aréopage de financiers" décrétant sans contrôle ! Comme si les banques étaient contrôlées, de toute façon ! On vient de voir ce qu'il en est, avec la façon dont la direction de la BNP a lancé son opération contre la Société générale et Paribas, même pas transparente pour tous ses pairs.

D'ailleurs, rappelons pour l'anecdote qu'à l'origine de la Banque de France, il y a eu la décision de Bonaparte, en 1800, d'attribuer le monopole de l'émission des billets à une banque privée et ô combien privée, puisque les actionnaires en étaient quelques banquiers plus Bonaparte lui-même et sa famille, avec des capitaux issus du butin de la campagne d'Italie. Et la Banque de France est restée privée jusqu'en 1936, date à laquelle elle a subi quelques réformes mais n'a été ni plus ni moins contrôlée par "les citoyens" qu'après qu'elle ait été nationalisée en 1945.

Par ailleurs, la Banque centrale européenne possède le même degré d'indépendance, ou d'autonomie, ni plus ni moins, que la Banque centrale nationale n'en possédait et n'en possède encore par rapport à la population.

D'ailleurs, l'organe supérieur de décision de la Banque Centrale européenne, le Conseil des gouverneurs, est composé des gouverneurs des banques centrales nationales. Ils se concertent, comme des mafiosi se concertent, dans des circonstances où chacun considère que ses intérêts sont mieux défendus par un "parrain" qui a le pouvoir de trancher en cas de conflit.

Mais le choix du parrain n'est pas toujours facile. On l'a vu dans le différend qui a opposé le gouvernement français à l'allemand sur le choix du premier président.

Une unification économique tronquée, marquée par les inégalités de développement entre pays et régions

Les brochures de propagande de l'Union européenne en faveur de l'euro ont pour slogan l'expression "L'euro fait la force".

Si cette forme d'union que les capitalistes européens en viennent à sceller entre eux peut effectivement faire leur force, elle ne signifie pas pour autant que l'Europe est unifiée, même économiquement.

De la Grèce à l'Allemagne, le produit intérieur brut par habitant varie du simple au double. Les taux de mortalité infantile sont bien supérieurs en Grèce ou au Portugal à la moyenne de l'Europe des Quinze, de même que les conditions de logement y sont les moins satisfaisantes ; le taux des personnes entre 25 et 59 ans ayant étudié au moins jusqu'au niveau du bac est de 80 % en Allemagne, 58 % sur l'ensemble des Quinze, mais de 24 % au Portugal.

Si on considère les choses au niveau des régions, les plus riches sont situées dans l'Europe du nord, et les plus pauvres encore une fois en Grèce et au Portugal. En Italie même, le taux de chômage varie plus que du simple au double entre le nord et le sud. La région de Naples regroupe à elle seule le tiers des chômeurs italiens.

Parce qu'elle n'est que le fruit d'un accord entre capitalistes, l'Europe sécrète, entretient, exploite les disparités, les inégalités de développement entre pays et régions.

Parce qu'elle n'est que le fruit d'un accord de cohabitation entre groupes capitalistes, cette Europe ne respecte même pas la géographie, et ignore ne serait-ce que sa partie centrale et orientale. Pour elle, il y a des Européens plus européens que d'autres.

Elle veut bien de ces pays comme des États vassaux, des zones de sous-traitance, des semi-colonies. Concrètement, l'"élargissement" de l'Europe à la Pologne, la République tchèque, la Hongrie, qui est officiellement à l'ordre du jour, signifie l'ouverture brutale des économies centre-européennes à l'exploitation germano-franco-britannique.

En fait, d'emblée, dès ses premiers pas, la Communauté économique de six États créée à Rome en 1957 avait manifesté ouvertement sa nature impérialiste. Il s'agissait de six États européens certes, mais avec leurs dépendances coloniales, explicitement associées à son sort.

Après les indépendances politiques formelles, la perpétuation de leur dépendance économique fut consacrée à travers la Convention de Lomé, signée en 1975 dans la capitale du Togo, entre la Communauté européenne et quarante-six pays dits "ACP", c'est-à-dire d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, pays ACP qui sont aujourd'hui au nombre de soixante et onze.

Renouvelés régulièrement depuis, les accords de Lomé institutionnalisent cette dépendance sous couvert d'"aide multilatérale au développement". Dans le cadre de la Convention de Lomé, des organismes spécialisés se chargent de subventionner et de fournir des aides en tous genres à de multiples entreprises européennes désireuses de chercher profit dans les pays ACP.

Le fonctionnement de cette Europe : une entente entre gouvernements bourgeois

Quand elle est née, cette Europe des marchands, des industriels, des financiers, conçue par eux et pour eux, ne s'est pas du tout souciée de se doter d'un voile parlementaire.

Aujourd'hui encore, l'Europe des Quinze fonctionne essentiellement comme une entente entre gouvernements, et ce que la "gauche" déplore sous l'expression de "déficit démocratique" est en fait dans la logique de son histoire.

Les plus hautes autorités de cette Europe, ce sont d'une part le Conseil des chefs d'État et de gouvernement, qui ne se réunit que quelques fois par an, et d'autre part le Conseil des ministres des gouvernements nationaux, dont les réunions sont plus fréquentes. Ils chapeautent la fameuse Commission européenne, la Commission de Bruxelles, composée de 20 représentants des 15 États, qui gère au jour le jour, et qui est le siège des affrontements et des marchandages usuels entre intérêts nationaux. Seule cette Commission peut présenter des propositions de législation aux Conseils des ministres, et c'est elle qui est chargée de veiller à leur mise en application.

C'est dire que la fonction du Parlement européen, celui qui sera réélu en juin prochain, est plus que réduite.

Pendant longtemps, les décisions n'étaient prises, au Conseil des ministres, qu'à l'unanimité des représentants des États membres. Puis des domaines où les décisions pouvaient être prises simplement à la "majorité qualifiée" ont été définis. Ces domaines n'ont fini par s'étendre que relativement récemment, tant les différents États étaient chatouilleux en matière de délégation de souveraineté.

La "majorité qualifiée" nécessite en règle générale 62 voix sur les 87 dont les États membres disposent au total (c'est-à-dire plus de 70 % des voix). Et il faut préciser que les différents États disposent d'un nombre de voix variable, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la France et l'Italie ayant chacun 10 voix, soit 40 à eux quatre, les autres États membres de 8 à 2. C'est-à-dire que les quatre principaux pays disposent à eux quatre de 40 voix sur 87 ou, plus précisément, 40 sur les 62 nécessaires pour faire passer une décision.

De toute façon, pour toutes les questions jugées décisives ou sensibles, les décisions ne peuvent être prises que si les représentants des différents États membres sont unanimement d'accord.

Le Parlement européen est donc tout juste une feuille de vigne décorative. Pendant les premières années, ce n'était même pas une institution élue. Il était composé de délégués des Parlements nationaux (dont, par accord tacite, étaient exclus à l'époque les membres des PC français et italien, et les socialistes de gauche italiens...). Puis, les États membres décidèrent le principe de l'élection des députés européens au suffrage universel direct, ce qui eut lieu pour la première fois en 1979, non sans que de nombreux marchandages, sur le nombre des sièges par pays, sur le mode de scrutin, etc., eussent précédé.

Mais, élu ou pas, ce Parlement n'a pas de réels pouvoirs. Il ne siège qu'une semaine par mois, il délibère, il étudie, mais il n'a pas jusqu'ici le pouvoir de faire des lois.

On a présenté comme un pas important la décision de Maastricht d'étendre un peu ces pouvoirs, d'instaurer ce qu'ils appellent la "codécision" c'est-à-dire que la Commission doit obtenir l'approbation du Parlement pour ses projets dans un certain nombre de domaines précis, suivant une procédure complexe. Le traité d'Amsterdam a étendu à son tour un peu le nombre de tels domaines. Et l'approbation du Parlement est désormais requise pour la désignation des membres de la Commission.

Une vague "citoyenneté européenne" sans aucun contenu

Outre l'Union économique et monétaire, Maastricht faisait mine d'avancer sur la voie de l'intégration politique. C'est d'ailleurs dans ce traité de 1992, mais oui, que sont apparues les premières références, certes purement formelles, aux "droits de l'homme...".

Le traité a aussi créé une "citoyenneté européenne" : "Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre". Cette citoyenneté se résume à peu de choses : la liberté de circulation et d'installation sur le territoire de l'Union, pas seulement pour les travailleurs en activité, mais aussi, rendez-vous compte, pour les étudiants et les retraités (et encore, sous des conditions de ressources et de logement, en général) ; le droit de pétitionner devant le Parlement de Strasbourg ; enfin, les ressortissants des pays communautaires ont le droit de voter et de figurer sur des listes de candidats dans leur pays d'accueil au sein de l'Union, moyennant certaines conditions de résidence, lors des élections européennes. Pour les élections municipales, c'est prévu aussi en principe, mais aucun texte, en tout cas pour ce qui concerne la France, n'est encore intervenu pour organiser concrètement les conditions d'exercice de ce droit pour les citoyens européens résidant en France.

Et ceux qui viennent, à l'origine, d'un autre pays que les Quinze, même s'ils résident en Europe depuis dix ou vingt ans, ou plus, ne sont pas concernés. La "citoyenneté européenne" est bien mesquine !

Ce qui n'empêche pas les polémiques entre "fédéralistes" et "souverainistes" de se déchaîner, lorsque des élections sont en vue, sur les nations et l'Europe, etc.

Ne pas attendre la satisfaction des revendications démocratiques des institutions de la bourgeoisie, pas plus au niveau de l'europe que dans chaque État.

Cette année, une nouvelle demande a vu le jour, dans le but de réformer et d'améliorer les institutions européennes. De l'UDF au PS, on réclame une Constitution européenne. On voudrait donner un coup de peinture pseudo-démocratique à cet appareil supranational auto-proclamé, pour lui donner au moins une vague légitimation. Ainsi, dans un document électoral intitulé "Vers une nouvelle Europe", présenté par François Bayrou, l'UDF propose "l'élaboration d'une Constitution européenne, qui définira les droits et devoirs fondamentaux des citoyens européens", etc. Le Parti socialiste prépare une convention "Nation-Europe" pour la fin du mois de mars. Dans une contribution intitulée "Pour une République sociale européenne", la Gauche socialiste propose une "Constitution européenne", qui devrait donner au Parlement le pouvoir d'"investir après chaque élection et de censurer le gouvernement européen", de voter des lois et d'adopter "un vrai budget"... La direction du PS se montre évidemment moins audacieuse : tout en réclamant une réforme des institutions, elle se contenterait volontiers des textes fondamentaux existants pour fonder cette "Constitution européenne"...

Mais une "Constitution européenne" ne serait pas plus démocratique que n'importe quelle constitution bourgeoise de n'importe quel État de l'Europe.

De toute façon, pour les milieux capitalistes dirigeants, cela ne fait pas partie des choses sérieuses, qui sont les critères financiers, budgétaires, monétaires, le pacte de stabilité des prix, objectif de la Banque centrale européenne. Le reste, c'est l'affaire des politiciens. Si les agitations bruxelloises ou strasbourgeoises occupent le devant de la scène, elles servent surtout à amuser la galerie.

Comme font partie du décorum les exigences posées pour l'entrée de nouveaux membres dans l'Union, en matière de droits de l'homme et de fonctionnement parlementaire interne. Ce ne sont que des prétextes ! Car si c'était vraiment pour faire pression sur des régimes autoritaires et répressifs pour les contraindre à se démocratiser quelque peu, on pourrait le concevoir. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit, ce n'est pas là-dessus que les conditions d'adhésion se fondent, dans la réalité. Quand les principaux États de l'Europe des Quinze parlent de n'admettre que les pays qui respectent les droits démocratiques, ce qu'ils ont en tête, c'est la possibilité de refuser aux petits États postulants les moyens de protéger leur économie et de leur imposer leurs diktats.

Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ils s'en moquent éperdument ! Par exemple, les puissances européennes, après avoir encouragé ceux qui poussaient à l'éclatement de la Yougoslavie, ont parlé d'autonomie du Kosovo... mais se sont prononcées contre son indépendance, comme si c'était à Paris, à Bonn ou à Londres de déterminer quelle doit être la destinée de ce peuple. En fait, les grandes puissances démontrent tous les jours qu'elles n'ont rien à faire du droit des Kosovars, comme de ceux de tous les peuples de l'ex-Yougoslavie, ou des droits du peuple kurde... A quel titre, d'ailleurs, les dirigeants britanniques oppresseurs et massacreurs en Irlande, ou les dirigeants français complices de génocide au Rwanda et d'innombrables massacres à travers l'Afrique, pourraient-ils donner des leçons en la matière ?

L'Europe capitaliste se targue d'avoir instauré la libre circulation des hommes, des marchandises, des services et des capitaux. La libre circulation des hommes est censée avoir été l'objectif des accords de Schengen, de 1985. D'où la suppression des contrôles aux frontières intérieures. Mais celle-ci est assortie de la mise en place d'une surveillance renforcée aux frontières extérieures de "l'espace Schengen". Les frontières n'ont donc qu'été déplacées... et renforcées.

Ces accords sont entrés théoriquement en vigueur dix ans plus tard, en 1995, dans 7 pays, puis 8, puis 9 actuellement. Ils ont été intégrés dans le traité d'Amsterdam et leurs règles doivent s'appliquer dans toute l'Union, progressivement. Pendant une période de cinq ans encore, les décisions à ce sujet ne peuvent être prises qu'à l'unanimité. Chaque État entend rester maître de son appareil policier et de l'établissement de ses fichiers. Ce qui n'empêche pas la collaboration policière, comme on le voit encore entre les polices française et espagnole contre les nationalistes basques. Et ce qui n'a pas empêché les Quinze de se mettre d'accord sur une liste de pays dont les ressortissants doivent obtenir un visa pour pénétrer dans l'Union européenne, ou encore sur la règle selon laquelle lorsqu'un droit d'asile a été refusé à quelqu'un dans un pays, ce quelqu'un ne peut faire sa demande dans un autre pays de l'Union.

L'Europe capitaliste se bâtit comme une forteresse, cernée par des boat people, refoulés brutalement ou accueillis et renvoyés policièrement, sur l'Oder et la Neisse, dans l'Adriatique et le canal d'Otrante, dans la Méditerranée entre la Tunisie et l'ilôt italien de Lampedusa, ou bien encore dans le détroit de Gibraltar.

Et finalement l'image la plus concrète que renvoie cette Union européenne au plan supranational est celle des... "eurocharters" d'expulsés.

Les droits de l'homme ne sont pas ceux de la femme...

A l'intérieur même de l'Europe, en cette toute fin du XXe siècle, bien des libertés sont bafouées, tronquées ou n'ont pas de contenu concret.

Les femmes, 51 % de la population totale, ne sont nulle part des membres à part entière de la société. Aujourd'hui, deux tiers des femmes ayant entre 25 et 59 ans font partie de la population active, mais 32 % le tiers de ces femmes salariées n'ont qu'un travail à temps partiel, contraint le plus souvent, contre 5 % des salariés hommes. Le "Portrait social de l'Europe" établi par l'Office européen des statistiques lui-même pour 1998 se voit obligé de constater que "Dans la plupart des Quinze, l'écart entre la rémunération des hommes et celle des femmes est l'une des caractéristiques les plus frappantes en matière de distribution des salaires", et qu'"il n'existe aucun État membre dans lequel les salaires horaires moyens des femmes dépassent 90 % de ceux des hommes". Les écarts moyens sont plutôt de l'ordre de 30 %.

Dans la vie politique, les femmes sont toujours des citoyennes de seconde zone. Même sur ce plan, les institutions européennes ne donnent pas l'exemple, d'ailleurs : parmi les 20 membres de la Commission européenne, il n'y a que 5 femmes ; sur les 20 membres du Bureau du Parlement, il n'y en a que 3. Des femmes ne président que 5 commissions ou sous-commissions parlementaires sur 23. Et, sur les 626 députés de ce Parlement, on ne compte que 171 femmes, soit 27,31 % (26 femmes, 29,88 %, sur les 87 députés français : c'est quand même moins mal qu'au sein du Parlement français, ce qui n'est pas difficile).

Dans le cas du droit à l'interruption volontaire de grossesse, qui représente un droit autrement plus concret pour la majorité des femmes, l'Europe ne donne pas un tableau reluisant, malgré le modernisme dont elle se vante.

Même dans les quelques pays comme la France où la loi de 1975 autorise l'interruption volontaire de grossesse, il y a des conditions légales malgré tout restrictives. Alors, très souvent, la pratique de l'avortement est seulement tolérée, restant officiellement un délit, comme en Allemagne, ou en Belgique, où il reste inscrit comme à la fin du siècle dernier dans le chapitre qui concerne "les crimes et délits contre l'ordre des familles et la moralité publique"... Quel modernisme !

En Espagne, comme dans plusieurs autres pays, l'avortement n'a été dépénalisé que dans quelques situations bien définies : grave danger pour la vie ou la santé de la mère, conséquence d'un viol, risques de malformations graves du foetus ; mais les tentatives pour introduire dans la législation l'idée que l'avortement ne devrait dépendre que du choix des femmes ont toutes échoué jusqu'à présent. De même au Portugal, où le projet d'autoriser l'IVG sur simple demande de la femme s'est heurté jusqu'ici non seulement à la droite, à l'Eglise, mais aussi aux manoeuvres hostiles du Premier ministre, membre du Parti Socialiste et néanmoins catholique fervent, opposé personnellement au droit à l'avortement.

Et n'oublions pas l'Irlande, où ce droit est encore strictement nié, par la Constitution elle-même, sauf en cas de mise en danger de la mère et où on n'est, par ailleurs, autorisé à acheter des préservatifs que depuis six ans.

Il faut souligner en même temps que l'état des législations est loin de tout résumer. Car, dans presque tous les États de la "moderne" Europe, des obstructions concrètes à la liberté des femmes viennent des milieux médicaux où on fait jouer une "clause de conscience", d'autant plus fortement et fréquemment que la pression des Eglises, catholique comme orthodoxe, y est plus pesante. C'est vrai dans les pays du sud de l'Europe, mais aussi en Italie, en Allemagne, en France.

Et puis, il y a aussi le manque de moyens dans les hôpitaux publics, qui va en s'aggravant partout.

Dans un autre domaine des libertés démocratiques, l'Europe du droit d'asile, par exemple, est une peau de chagrin, et on sait qu'elle accueille plus volontiers les Bokassa ou les Duvalier, les rois et les émirs, qu'un Abdullah Ocalan ou qu'un persécuté algérien ! Que la liberté d'expression et d'information y est dominée par les capitalistes de la presse et des médias ! Que, comme le disent les paroles de l'Internationale, le droit du pauvre y est un mot creux !

Alors, l'idée d'une Constitution européenne qui rendrait cette Europe vraiment "démocratique" est à ranger au rayon des leurres destinés à tromper les naïfs. Il n'y a que les luttes de tous ceux qui y sont directement intéressés qui peuvent amener un approfondissement des libertés démocratiques.

Oui, il faut que tous ceux qui résident en Europe partagent les droits de vote et d'éligibilité à tous les niveaux, il faut que tous les élus et aussi tous ceux qui prennent des décisions d'importance soient responsables devant la collectivité et révocables ; que les minorités nationales puissent décider librement de leur appartenance, jouir de libertés aussi élémentaires que celui de parler leur langue ; que les droits de l'homme soient aussi ceux de la femme, qui, même lorsqu'ils sont inscrits en gros dans les constitutions des pays bourgeois les moins arriérés, restent souvent lettre morte dans la pratique ; que la liberté pleine et entière de l'IVG soit assurée avec le plus haut niveau de moyens concrets, que les femmes irlandaises, portugaises, grecques, ne soient pas abandonnées cinquante ans en arrière ; que l'expression de "sans-papiers" perde son sens et qu'ils soient tous régularisés de manière stable dans tous les pays ; que, de la Grèce, du Portugal ou de l'Irlande au Danemark ou à l'Allemagne, les femmes et les hommes soient assurés d'un égal accès à une éducation valable, digne de notre époque, à des structures de soins dignes des progrès accomplis par la médecine, d'un égal accès aussi à des formes de vie civile (mariage, divorce, etc.) modernes, débarrassées en particulier du poids des Eglises et des obscurantismes.

Mais, ces simples revendications démocratiques, il n'y a pas à les attendre des institutions de la bourgeoisie, pas plus au niveau des institutions de son Europe que dans chaque État séparément. Quand des droits et libertés de cette nature ont été conquis, plus ou moins complètement et toujours sous la menace de retours en arrière, ils l'ont été à travers des luttes souvent dures et longues. Et il en reste à conquérir !

L'"Europe sociale" des gouvernants au service de leurs bourgeoisies... Au mieux, un alibi

S'il est un domaine où les différents États, où les différentes bourgeoisies, se refusent absolument à céder un peu de leurs prérogatives, c'est bien en ce qui concerne l'exploitation des travailleurs. A travers la mise en place des institutions européennes, les patrons cherchent bien à optimiser leurs profits en étendant leur marché protégé à l'ensemble de l'Europe, en renforçant leur emprise financière à travers le monde et les places financières internationales au moyen d'une monnaie européenne unique, quitte pour cela à s'entendre avec leurs voisins et acolytes, mais ils entendent aussi conserver la haute main sur la source "naturelle", nationale, de leurs profits.

Ainsi, ils ont admis peu à peu de s'accorder sur un mini-minimum de législation sociale en matière de sécurité au travail, par exemple. C'est ce qu'ils appellent les "bases juridiques de l'Europe sociale", qui contiennent surtout des vagues déclarations sur l'information et la consultation des travailleurs, sur l'égalité entre hommes et femmes face au marché du travail... Cependant, l'unanimité des États membres est requise dès lors qu'il s'agit de directives à prendre en matière de sécurité sociale, de protection sociale, de représentation collective, bref des principaux domaines du droit du travail. Et les salaires, le droit syndical, le droit de grève et celui de lock-out, sont explicitement déclarés hors de la compétence communautaire.

Il n'y a, dans tous ces textes, rien de contraignant pour le patronat, d'autant que les "directives" communautaires doivent encore être transposées dans les législations nationales, ce qui peut prendre des années.

Cette "construction" européenne s'est faite tellement exclusivement en fonction des besoins éprouvés par les capitalistes européens, les multinationales européennes, que les traités fondateurs n'évoquaient pratiquement pas d'autres préoccupations que marchandes, mentionnant tout au plus la nécessité de promouvoir l'amélioration des conditions de vie et de travail mais comme quelque chose qui découlerait tout seul du fonctionnement du marché...

Le temps passant et la perspective de la mise en place d'un marché unique de 374 millions de consommateurs se précisant, il est apparu à certains plus politique de jeter un peu de poudre aux yeux, vers la fin des années 80.

On s'est mis à "confirmer l'attachement des États membres aux droits sociaux", à rechercher "la meilleure intégration de la dimension sociale dans les objectifs et les actions européens". Une Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs a même été signée en 1989, qu'il est revenu à Mitterrand de faire mousser lors de la signature du traité de Maastricht. Mais Jacques Delors soulignait cyniquement : "Nous n'essayons pas de faire oeuvre d'avant-garde en matière de législation sociale", "Les mesures auxquelles nous pensons sont déjà en application dans trois quarts des États de la Communauté. Nous visons un minimum législatif".

Ce "socle social commun", comme ils disent maintenant, s'imposera en principe à tous lorsque le traité d'Amsterdam sera ratifié. Mais, encore une fois, il ne s'agit que de "principes directeurs" très généraux (ou de voeux pieux !), comme par exemple le droit au travail dans l'État de son choix, le droit à l'information, la consultation et la participation des travailleurs.

L'Union européenne s'est flanquée d'un "Comité économique et social" de 220 membres nommés, censés représenter les salariés comme les employeurs, et chargés de donner des avis. C'est à cela que se résume ce que les hommes politiques ceux qui en parlent entendent par l'"Europe sociale" : aucune réalité, mais la tarte à la crème des discours et des publications des politiciens partisans de l'Europe.

C'est l'assiette du pauvre au banquet des nantis, la charité des dames patronnesses.

Et même ce peu de "social" a évolué défavorablement. Les textes plus récents parlent beaucoup plus de "priorité à l'emploi" que de droits sociaux pour les travailleurs, et on sait comment cette "priorité à l'emploi" se traduit pour les hommes politiques bourgeois par des aides de toutes sortes, en espèces sonnantes et trébuchantes, pour le patronat... et en bonnes paroles chargées de faire passer des mesures anti-ouvrières pour les travailleurs.

L'Union européenne compte plus de 16 millions de chômeurs recensés officiellement, soit environ 11 % de sa population active (21 % en Espagne, dont plus de la moitié en chômage de longue durée !), et ce fléau s'accompagne d'une prolifération des statuts précaires, des horaires "atypiques", etc. (32 % de l'ensemble des salariés, près du tiers, seraient en Espagne en contrats à durée déterminée).

A cause du chômage, la part des rémunérations salariales dans l'ensemble des ressources a reculé partout : en France, de 54 à 49 % ; en Italie, de 44 à 37 %, entre 1980 et 1995. Si bien que les statistiques européennes concluaient, en 1994, que "en moyenne, les 10 % des Européens les plus modestes se partageaient 2,6 % du revenu total. Les 10 % les plus aisés recevaient près de dix fois plus, soit 24 %".

Et tout cela dans ce bastion de pays riches que constitue l'Europe capitaliste !

Alors, face à cela, que peut-on attendre de textes élaborés par les responsables politiques au service des grands licencieurs, des grands profiteurs, que peut-on espérer d'une quelconque législation émanant des gouvernements gestionnaires de la société capitaliste, quels qu'ils soient ?

Quel culot, de la part de tous ces responsables politiques, d'oser parler d'"Europe sociale", alors que dans chaque pays ils oeuvrent à démolir les protections sociales qui peuvent exister, à faire reculer la législation du travail, à faire main basse sur les retraites des travailleurs pour alimenter la spéculation financière !

Nous voyons bien, en France, comment une législation présentée par la "gauche plurielle" comme favorable aux travailleurs, sur la réduction du temps de travail à 35 heures, constitue dans la réalité, dans ce contexte de chômage et de régression sociale, une nouvelle arme aux mains des patrons pour aggraver l'exploitation des travailleurs.

Un exemple venu d'Angleterre illustre ce qu'une directive européenne limitant à 48 heures la durée maximale hebdomadaire du travail peut donner à l'usage, c'est-à-dire une fois "transposée", comme ils disent, dans la législation du pays. La loi anglaise d'octobre dernier apporte des éléments positifs, comme les deux semaines de congés payés annuelles qui s'appliquent désormais y compris aux temps partiels (il n'existait aucune obligation de congés payés dans la loi britannique), ou l'introduction des congés maternité pour toutes, et pas seulement pour le personnel fixe à temps plein. Très bien, dira-t-on, voilà qui remplace un vide juridique complet puisqu'il n'existait en Grande-Bretagne aucune législation limitant la durée du travail (sauf pour les enfants) ni sur les pauses ou le repos quotidien minimum.

Mais, même dans les branches qui ne sont pas exemptées d'appliquer cette loi, même là où cette loi doit donc s'appliquer, elle prévoit la possibilité pour les employés de renoncer au maximum de 48 heures hebdomadaires, par une simple déclaration signée une fois pour toutes. Ce qui fait que dans le bâtiment, les patrons se sont immédiatement précipités avec des déclarations à signer à la main, en menaçant les récalcitrants de la porte, et que d'autres employeurs ont carrément introduit cette renonciation dans le contrat de travail.

Pour couronner tout cela, le maximum de 48 heures est une moyenne calculée sur quatre mois, ce que nombre d'entreprises ont interprété, on s'en doute, comme une invitation légale à la flexibilité des horaires de travail. Comme on le voit, s'il s'agit de 48 heures d'un côté de la Manche et de 35 de l'autre, les patrons anglais ressemblent autant aux patrons français que Jospin et Martine Aubry ressemblent à Tony Blair.

La voilà, leur Europe "sociale" "Cette Europe [qui] sera le plus grand espace de liberté, de stabilité, de prospérité et de justice qui ait jamais existé", comme les dirigeants socialistes européens ont le cynisme de le proclamer dans leur manifeste électoral commun.

Les partis soi-disant socialistes enveloppent cela avec l'hypocrisie qui les caractérise. Ainsi, le Parti des socialistes européens, qui regroupe, rappelons-le, les formations socialistes, social-démocrates et apparentées de l'Union européenne, accompagne son manifeste commun en vue des élections de juin d'un projet de "pacte européen pour l'emploi", dans lequel le secrétaire du PS français, François Hollande, a voulu voir supprimer toute référence au mot "flexibilité", qui a mauvaise presse, à propos de la main-d'oeuvre. Il préfère parler de "liberté de choix" des salariés... Comme si les salariés, en cette période de chômage, étaient libres de choisir. C'est toute une illustration : voilà la liberté qu'entendent laisser aux prolétaires le système capitaliste et ses défenseurs "de gauche", celle de subir les diktats patronaux... ou de devenir des chômeurs, pendant que les socialistes se voilent pudiquement la face.

Mais, depuis quand a-t-on vu les dirigeants des puissances impérialistes européennes se préoccuper de "social", ou des droits de l'homme ? Est-ce au nom de ces préoccupations qu'ils ont conquis l'Afrique au siècle dernier, qu'ils ont envoyé les peuples s'entre-massacrer sur les champs de bataille de deux guerres gigantesques trois fois en 70 ans entre la France et l'Allemagne , qu'ils ont fait donner leurs forces de répression contre le mouvement ouvrier, contre les grèves et les soulèvements de travailleurs, qu'ils ont fusillé les Communards et fait tout leur possible pour écraser la révolution des ouvriers de Russie en 1917 ?

Non, ces discours, les capitalistes les laissent à leurs politiciens. Eux, ils ne connaissent que les rapports de forces, et, en matière d'Europe puisque c'est d'Europe qu'il s'agit, leur Europe actuelle, faite de chômage et de misère, de régression et d'attaques contre les travailleurs, c'est le mieux qu'ils puissent proposer ! Face à cela, "l'Europe sociale basée sur des critères sociaux" que certains appellent de leurs voeux, les appels en direction de la gauche contre les traités de Maastricht, d'Amsterdam, etc., ne sont au mieux que des alibis.

Oui, il faudra imposer l'alignement des droits sociaux sur la législation la plus favorable aux travailleurs. Il faudra imposer des salaires minimum garantis alignés au moins sur ceux du pays où ils sont le moins misérables. A l'heure actuelle, il n'existe des minima salariaux nationaux légaux que dans 7 des 15 États de l'Union (8 bientôt avec la Grande Bretagne), horaires, journaliers, hebdomadaires, mensuels, ce qui rend les comparaisons délicates, même en euros. Mais leurs niveaux sont de moitié inférieurs environ en Espagne, au Portugal et en Grèce, par rapport au Luxembourg, à la Belgique, aux Pays-Bas et à la France.

Mais il est de l'intérêt de tous les travailleurs d'imposer une unification par le haut des conditions minimales de travail et de salaires au niveau de toute l'Europe. Et c'est pour cela que nous, révolutionnaires communistes, défendons ces revendications unifiantes dans notre programme, au nom de l'intérêt collectif de toute la classe ouvrière d'Europe contre la classe capitaliste, qui ne vise qu'à l'exploiter au maximum.

Nous n'oublions pas que le mouvement ouvrier s'est toujours battu pour une législation minimum du travail. Bien entendu, l'existence de lois protégeant un tant soit peu les travailleurs est préférable à son absence complète. Mais, même ce minimum-là est une question de rapport de force entre les travailleurs et le patronat, nous le savons tous, une question de combat de classe, bien loin du tranquille espoir que des parlements feront le nécessaire. Et ces objectifs sont, pour des révolutionnaires, avant tout des objectifs de lutte, sur lesquels préparer la mobilisation des travailleurs.

Nous pensons même que l'urgence de la situation des travailleurs, en activité ou au chômage, l'urgence créée par l'extension de la précarité et de la misère, imposent des mesures autrement radicales.

Quand les travailleurs reprendront le chemin de la lutte collective, c'est la réquisition des entreprises qui licencient, la majoration des impôts sur les profits, la transparence des comptes des grandes entreprises et du fonctionnement bancaire qu'ils devront mettre en avant autrement dit, leur contrôle sur les grandes entreprises. Il ne faut plus laisser au grand patronat la maîtrise de la gestion de l'économie, il faut opposer le pouvoir économique des travailleurs, de toute la population laborieuse, au pouvoir économique et social sans partage du grand patronat. La démocratie politique est en fait à ce prix.

Les États-Unis socialistes d'Europe seront bâtis par la classe ouvrière, avec les méthodes de la révolution

Pour le succès des luttes à venir, l'unification la plus poussée possible de la classe ouvrière à l'échelle européenne constituerait un avantage incontestable, ne serait-ce que l'avantage du nombre, de la force. Et, déjà, la suppression des frontières, la libre circulation des hommes et des marchandises, la monnaie unique même, pourraient être des progrès.

Certes, cela ne suffirait pas. Vu le rapport des forces entre prolétariat et bourgeoisie, c'est d'une haute conscience, d'une forte volonté politique communes que les travailleurs ont plus que jamais besoin. Et de ce point de vue, c'est le problème de la nécessaire renaissance du mouvement ouvrier qui conditionne la manière dont la classe ouvrière pourra affronter le problème de la mise en place des institutions européennes.

En tout cas, s'il est impossible de "réorienter l'Europe" le système capitaliste a amplement démontré son incapacité à se réformer lui-même pour autant les révolutionnaires socialistes et communistes ne peuvent en aucun cas mener une propagande politique consistant à faire de l'unification européenne un épouvantail. Ni laisser la moindre place aux ambiguïtés sur le terrain du nationalisme.

Aujourd'hui, vu le large consensus qui prévaut pour le moment sur cette question, on n'entend pas trop la démagogie chauvine sur le thème de l'opposition à l'Europe. Mais qu'en serait-il demain, si la crise économique, sociale, politique devenait particulièrement grave ? Aucune bourgeoisie n'est enchaînée à l'euro, et si un ou plusieurs gouvernements européens choisissaient de reprendre leur indépendance monétaire, ce serait pour mieux imposer des sacrifices à leur classe ouvrière. L'"intérêt national" serait alors invoqué face aux concurrents, plus que jamais. Le nationalisme, la xénophobie en seraient renforcés. Et les conditions du combat de la classe ouvrière n'en seraient pas facilitées, au contraire.

C'est pourquoi il ne faut pas tolérer le poison nationaliste dans les rangs de la classe ouvrière, même lorsqu'il se pare d'une rhétorique qui se veut "de gauche".

La classe ouvrière n'a aucun intérêt national à défendre. Les travailleurs n'ont pas de patrie, le Manifeste communiste le proclamait déjà.

Car ce n'est même pas seulement à l'échelle de l'Europe, mais à l'échelle du monde, que la société capitaliste a fait plus que son temps.

A l'époque de la Première Guerre mondiale, des révolutionnaires, dont Trotsky, évoquaient déjà l'économie du continent européen étouffée par sa fragmentation étatique et ses frontières. C'est vrai aujourd'hui de l'économie mondiale, livrée au chaos, aux crises et à une gabegie monstrueuse par le système capitaliste.

Incapable de surmonter ses propres contradictions, incapable de faire progresser l'humanité dans son ensemble, ce système de fous entraîne au contraire celle-ci dans la voie d'une régression générale et menace de la replonger dans la barbarie, quand celle-ci n'est pas déjà une terrible réalité en de vastes régions du monde.

Au cours de ce dernier demi-siècle, la bourgeoisie n'a été capable que d'accoucher d'une union circonstancielle de profiteurs, à l'échelle de quinze pays de la petite Europe occidentale, et cette Europe-là, celle des banquiers et des groupes capitalistes, est passablement pourrie. C'est une union de parasites sur le dos des travailleurs et des peuples, où règnent en maîtres l'exploitation, l'oppression, les inégalités, les dénis de justice, les obscurantismes de toutes sortes.

Seule la lutte ouvrière collective consciemment internationaliste peut sortir un jour l'humanité de cette impasse désastreuse.

Le combat commence dans notre propre pays

Notre problème n'est pas de proposer à cette Europe d'être "bonne", de proposer des recettes pour l'améliorer. Il doit être de défendre, à propos de l'Europe, un certain nombre d'idées, inspirées par l'internationalisme prolétarien.

Pour nous, le problème de ces élections, ce n'est pas de proposer de quelconques améliorations constitutionnelles des institutions européennes, c'est de profiter de cette occasion pour défendre les objectifs que nous proposons aux futures luttes des travailleurs, dans le cadre d'une situation française qui est pour l'essentiel celle de tous les pays d'Europe, objectifs qui consistent en un certain nombre de revendications indispensables, qu'il faudra que les travailleurs imposent pour ne pas sombrer dans la misère.

Et ce que nous disons, c'est que si un nombre croissant d'électeurs approuve ce programme, d'abord ce ne sera pas sans répercussions parmi les travailleurs d'Europe, et puis cela prouvera à tous les militants ouvriers à qui on essaie de faire croire le contraire, qu'on peut tenir un langage radical, socialiste, communiste ("de gauche", cela ne veut plus rien dire) et obtenir l'assentiment d'un grand nombre d'électeurs.

C'est important pour l'avenir, et voilà pourquoi nous nous présentons, en tenant précisément ce langage-là.

Quand notre mouvement est passé, sur le plan électoral, d'environ 2 % des voix à plus de 5 %, nous avons déjà fait la preuve que non seulement ce langage ne nous empêchait pas de progresser, mais même qu'il rencontrait l'accord d'un nombre croissant d'électeurs. Alors, nous souhaitons ( nous souhaitons, car ce n'est pas une prévision) que ces élections du 13 juin apportent la démonstration que ce langage peut être entendu, compris, par un nombre encore plus grand de travailleurs ou de futurs travailleurs. Car il ne s'agit pas seulement des électeurs, mais aussi de tous les jeunes, les travailleurs immigrés, qui n'ont pas le droit de vote mais qui seront présents dans les luttes à venir.

Un score bien supérieur sur notre liste à ces européennes, ce serait la démonstration visible qu'il n'est nullement nécessaire pour une organisation communiste de faire des compromis sur son programme, d'affadir sa dénonciation des patrons et des gouvernants, de se montrer "réaliste" comme disent les partisans de la collaboration gouvernementale ou leurs alliés complaisants, pour exprimer les sentiments d'une large partie de l'électorat populaire.

Car bien des travailleurs le pensent, comme nous : il y en a assez que ces gens-là se fichent de nous, nous mentent de façon éhontée, il est temps de le leur faire savoir clairement.

Et si, le 13 juin, nous franchissons un nouveau palier sur le terrain électoral, en accroissant nettement notre résultat, cela apportera non seulement cette preuve-là, mais cela aussi redonnera le moral à bon nombre de militants communistes, de militants syndicalistes, de travailleurs en général, qui verront qu'ils ne sont pas isolés, pas tout seuls à ne plus pouvoir supporter cette société et le sort qui y est fait à celles et ceux qui ne vivent que de leur travail.

Et il faut ajouter que ce vote à l'extrême gauche sera en même temps le vote le plus radical possible contre l'extrême droite, car il sera un vote contre la gauche gouvernementale sans être un renfort pour la droite, et encore moins pour l'extrême droite.

Oui, nous sommes des Européens convaincus.

Et pour nous, l'horizon ne se limite pas à l'Europe car nous sommes internationalistes, et nous ne sommes pas plus nationalistes européens que nationalistes français. Cela fait bien longtemps que les révolutionnaires communistes défendent l'idée d'États-Unis socialistes d'Europe, parce qu'ils savaient et ils savent que des États-Unis d'Europe ne se créeront que lorsque la classe ouvrière les aura unifiés avec les méthodes de la révolution. Et ce serait un levier considérable pour la lutte de classe dans le reste du monde, auquel le prolétariat d'Europe pourrait s'adresser fraternellement et avec tout son poids.

L'Europe est une des grandes régions les plus industrialisées du monde, ses capacités productives sont considérables. Organiser ce continent de façon rationnelle sur le plan économique en faisant sauter les obstacles de ce vieux monde, en expropriant les capitalistes, en mettant un terme à tous ces gâchis immenses qu'engendrent leur course au profit et leur concurrence, ce serait la tâche de la révolution prolétarienne, et c'est pour cela que nous sommes des partisans de la libre fédération des peuples d'Europe, à travers des États-Unis socialistes d'Europe.

Mais, pour cela, le combat commence dans notre pays, contre nos propres patrons, nos propres gouvernants.

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