Les retraites : faire face à l'attaque qui se prépare contre la classe ouvrière31/01/20032003Cercle Léon Trotsky/medias/cltnumero/images/2003/01/92.jpg.484x700_q85_box-6%2C0%2C589%2C842_crop_detail.jpg

Les retraites : faire face à l'attaque qui se prépare contre la classe ouvrière

Au sommaire de cet exposé

Sommaire

C'est donc demain 1er février que l'ensemble des organisations syndicales appelle les travailleurs à manifester pour la défense des retraites. Il faut souhaiter que cette manifestation soit réussie, qu'elle impressionne par son nombre, au point de donner aux participants une idée de leur force et de jeter l'inquiétude dans le camp de tous ceux qui voudraient bien que les travailleurs et les retraités se laissent dépouiller sans rien dire.

Mais il faut surtout que cette manifestation ne soit pas un baroud d'honneur sans lendemain car le patronat et le gouvernement ne vont pas lâcher prise si vite. Voilà plus de dix ans que patronat, gouvernement, spécialistes et plumitifs à leur service tentent de préparer l'opinion à une régression sociale sans précédent en matière de retraite. Il y a dix ans, Balladur a enfoncé un premier coin dans les retraites du privé mais, depuis qu'en décembre 1995 les fonctionnaires et les salariés des entreprises publiques se sont défendus contre les coups qu'on voulait leur porter, les retraites sont restées en l'état.

Le gouvernement Chirac-Raffarin s'est pourtant engagé à réformer le système, c'est-à-dire à lui porter de nouveaux coups, d'ici au mois de juin.

Le gouvernement avait choisi les agents d'EDF-GDF comme cobayes pour tester les réactions aux premières attaques ; le rejet, par la majorité des agents, du projet présenté par la direction et les organisations syndicales comme susceptible de « sauver » les retraites prouve que les travailleurs ne se sont pas laissé prendre au piège d'une propagande mensongère et qu'ils n'ont pas non plus baissé les bras devant ce qui était présenté comme inévitable.

Le gouvernement a dit qu'il passerait en force....

Il reste à tout faire pour qu'il ne le puisse pas, pour qu'il n'aligne pas les régimes des fonctionnaires et des entreprises publiques par le bas sur le régime des salariés du secteur privé.

Et puisque le gouvernement s'apprête à entamer une partie de bras de fer, déjà ponctuée de quelques déclarations provocantes, il faut que les travailleurs du secteur public comme du secteur privé se préparent à montrer leur force et exiger au contraire, non seulement l'alignement complet par le haut, pour la durée de cotisation, pour le mode de calcul de la retraite, la revalorisation des pensions, l'âge du départ à la retraite, etc., mais aussi une amélioration substantielle des retraites et des salaires.

Si les travailleurs veulent l'emporter, il faudra qu'ils se fassent craindre du patronat et du gouvernement mais aussi des centrales syndicales qui se disent déjà prêtes à négocier, c'est-à-dire à lâcher du terrain au patronat. Car négocier, engager des réformes, tant que les travailleurs n'ont pas construit un rapport de force favorable, cela implique de nouveaux reculs pour la classe ouvrière. Certaines centrales comme la CFDT affirment clairement qu'on ne peut pas demander aux patrons de payer (!), ce sont donc les salariés et les retraités qui devront se serrer la ceinture ; d'autres, comme la CGT, se gardent bien d'être trop affirmatifs ; quant à FO, elle affirme à juste titre qu'il faut au contraire revoir la répartition des richesses entre patrons et salariés qui ont été de plus en plus lésés depuis vingt ans ; mais jusqu'à quand tiendra-t-elle cette position ?

Il est bien évident qu'il n'y a que la détermination et la combativité des travailleurs qui peuvent obliger les syndicats à se mettre d'accord pour ne pas brader les intérêts de la classe ouvrière. Car ces gestionnaires des organismes sociaux se soucient plus de l'équilibre des comptes que du bien-être des travailleurs et des retraités alors même que ces comptes sont biaisés au départ. Depuis la guerre, ils cautionnent et présentent comme allant de soi le fait que c'est aux travailleurs de payer leur retraite. En participant à la gestion de la Sécurité sociale, ils ont cautionné bien des mauvais coups portés contre les travailleurs. Ils ont accepté que les travailleurs payent de plus en plus, alors que les patrons payent de moins en moins. Ils ont accepté que l'État puise dans les caisses de retraite, c'est-à-dire détourne les cotisations des salariés pour régler bien des dépenses qui devraient lui incomber.

Et ce n'est pas parce que cette escroquerie s'est perpétuée jusqu'à nos jours que les travailleurs doivent continuer à se laisser dépouiller sans réagir.

Une campagne de mensonges

Aujourd'hui, tous ceux qui prêchent si fort pour une réforme des retraites, sous prétexte que ce serait la seule façon de les garantir à l'avenir, mentent sans vergogne. Et ils sont nombreux !

Répéter, à longueur d'année et depuis des années, des mensonges grossiers, et avoir le culot de les présenter comme des vérités évidentes voire scientifiques : c'est bien ce que le patronat, les politiciens à son service, de droite comme de gauche, les experts achetés et les journalistes vendus ont trouvé pour faire accepter aux travailleurs de nouveaux sacrifices !

Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Pas de sauver les retraites !

Sauver les retraites en les réduisant comme peau de chagrin ? En faisant revenir la condition des vieux travailleurs quelques dizaines d'années en arrière, lorsque les vieux travailleurs avaient à peine de quoi ne pas mourir de faim, lorsqu'on les surnommait les « économiquement faibles » et qu'ils dépendaient de la charité publique pour survivre ? C'est pourtant bien cela qu'on nous prépare.

La réforme des retraites des salariés du privé a déjà abouti à diminuer de 15 à 20 % pour cent le montant des pensions qui devraient être versées. Mais ça ne suffit pas encore, il faut - sous prétexte de justice et d'équité - aligner tout le monde par le bas et ramener les salariés du public au même niveau de sacrifices que ceux du privé, pour pouvoir ensuite attaquer les uns et les autres, ou les uns après les autres.

Non, cela ne s'appelle pas sauver les retraites ! Cela s'appelle imposer des sacrifices supplémentaires à ceux qui sont au travail comme à ceux qui sont en retraite, cela s'appelle réduire le niveau de vie, et des travailleurs en activité, et des retraités, restreindre encore la part des richesses produites qui revient à la classe ouvrière.

Alors que c'est la classe ouvrière qui produit tout, qui fait fonctionner la société, la bourgeoisie veut encore lui imposer de nouveaux sacrifices comme si, depuis un quart de siècle, les travailleurs n'avaient pas été pressurés au point que c'est eux qui ont payé la crise économique pendant que la bourgeoisie continuait à s'enrichir de plus belle.

Oui, les retraites sont menacées ! Mais pas par le nombre croissant des retraités, par l'avidité du patronat ! Comme sont menacés les salaires et les conditions de travail, comme sont menacées les indemnisations chômage, comme sont menacées toutes les conditions de vie de la classe ouvrière qui n'ont pas cessé de se dégrader depuis vingt ans.

On veut nous faire croire que c'est le nombre croissant de retraités - des retraités qui en outre vivent de plus en plus longtemps --, qui représenterait une charge insupportable pour le système et risquerait de le mettre en faillite.

Ah, évidemment, ça coûtait beaucoup moins cher quand les travailleurs mouraient d'épuisement, souvent avant même d'avoir atteint l'âge de la retraite ! On n'ose pas encore nous proposer d'abandonner à la mort les vieux qui n'ont plus la force de se procurer leur nourriture comme cela se passe dans bien des sociétés trop pauvres pour les nourrir, mais on nous dit tout de même qu'ils sont « une charge ».

Ce qui est un comble ! Car leur travail a créé bien des richesses, plus que ce qu'ils ont consommé toute leur vie. La productivité du travail humain est telle qu'ils ont pu créer assez de richesses pour permettre aux patrons et à nombre de privilégiés de s'engraisser sur leur dos. C'est dire qu'ils en ont créé assez pour profiter de leurs vieux jours, à condition de prendre l'argent là où il est.

On veut nous faire croire que c'est un problème mathématique : s'il y a moins d'actifs pour plus de retraités, il faut que les retraités fassent des sacrifices ou que les actifs en fassent ou un peu les deux.

« En se chargeant des vieillards, la société ne fait que restituer aux travailleurs une partie de ce qu'elle a laissé leur voler. » (Paul Lafargue)

Eh bien non, les menteurs ne nous enfermeront pas dans ce dilemme. Ne tirons pas à la courte paille les retraités ou les actifs, qui sont tous des travailleurs. Mais exigeons que ce soient les patrons qui payent.

Le partage des richesses entre patrons et travailleurs ne peut pas être remis en cause ? Mais depuis le début de la crise, il y a un quart de siècle, le patronat, aidé des gouvernements successifs, s'est évertué à restreindre la part de la classe ouvrière alors que la bourgeoisie n'a jamais été aussi florissante. Et c'est bien parce que la classe ouvrière n'a pas trouvé les moyens de se défendre et de passer à la contre-offensive que la bourgeoisie veut encore pousser son avantage et pressurer encore plus les travailleurs.

Et c'est aussi parce que la part de la classe ouvrière s'est réduite, au point qu'il y a de plus en plus de travailleurs pauvres, que le problème des ressources des vieux travailleurs se pose aussi.

Depuis vingt-cinq ans la bourgeoisie a diminué la part des travailleurs ! Alors, en demandant qu'on la leur rende les travailleurs ne réclameront que leur dû. Actifs et retraités n'ont aucune raison de se disputer la part réduite qu'on leur jette. Ils peuvent imposer ensemble que la part des richesses qui revient aux travailleurs sous forme de salaires, de prestations sociales et autres, cesse de diminuer et revienne au moins à hauteur de ce qu'elle était il y a vingt ans.

Voilà comment les révolutionnaires Jules Guesde et Paul Lafargue posaient le problème à la fin du siècle dernier, en commentant le programme du Parti Ouvrier : « Tout travailleur produit plus qu'il ne consomme. Il pourrait donc continuer à consommer lorsqu'il cesse de pouvoir produire, si la plus-value de son travail ne lui était pas jour par jour arrachée des mains. C'est la société actuelle, par son organisation et sa législation propriétaire, qui permet à l'oisiveté capitaliste de s'emparer de cet excédent de la production sur la consommation ouvrière, de l'accumuler et de s'en faire des profits et des rentes .(...) En se chargeant des vieillards et des invalides du travail, [la société] ne fait que restituer aux travailleurs une partie de ce qu'elle a laissé leur voler. »

Après avoir expliqué l'impossibilité de faire payer directement chaque patron, les ouvriers changeant souvent d'entreprises et même de branche, le programme conclut : « De là l'assistance sociale substituée dans notre programme à l'assistance patronale, transformant les travailleurs en fonctionnaires de l'ordre économique et les assimilant pour les pensions de retraite aux ministres, préfets, magistrats, généraux et autres " grandes inutilités " de l'ordre politique. »

Ces vérités datent de plus d'un siècle mais elles éclairent les mensonges de ceux qui exigent de nouveaux sacrifices.

Aujourd'hui, travailleurs en activité, retraités, chômeurs, c'est toute la classe ouvrière qui est attaquée à travers le problème des retraites et c'est tout entière qu'elle a intérêt à ne pas laisser faire. Car laisser faire, c'est accepter un nouveau retour en arrière.

Les classes dominantes ne se sont jamais souciées du sort des exploités lorsque ceux-ci souffraient et mouraient en silence. Elles s'en inquiétaient surtout s'ils représentaient un danger et elles tentaient alors de parer au danger au moindre coût. C'est là le rôle des systèmes dits de protection sociale, compliqués et obscurs à souhait, coûtant le moins cher possible à la bourgeoisie, permettant aux employeurs de payer les salaires les plus bas possibles, tout en tentant de domestiquer certaines catégories de travailleurs, dont les bureaucrates syndicaux. Mais les travailleurs ont toujours payé le prix fort pour ce que la bourgeoisie faisait mine de leur accorder généreusement !

Et aujourd'hui, on n'en est même pas là. Alors que ce sont les travailleurs eux-mêmes qui payent leurs retraites, par leurs cotisations, c'est-à-dire en sacrifiant une partie de leur pouvoir d'achat d'aujourd'hui, la bourgeoisie voudrait s'approprier une part plus grande encore des cotisations des travailleurs tout en réduisant les prestations auxquelles ils ont droit.

Ce n'est pas seulement l'illustration de l'absence de scrupules des classes exploiteuses à l'égard de ceux qui ne peuvent plus produire. C'est aussi l'histoire des mille et une fourberies de la classe exploiteuse pour tenter d'atténuer la lutte de classe des exploités, tout en les volant sous prétexte de les aider.

LAISSÉS POUR COMPTE PAR LA SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION

Les pratiques arbitraires de l'État : une tradition

La naissance du premier régime de retraite remonte à 1673, quand Colbert, dans le but d'assurer le recrutement nécessaire à la marine française, confia à la Caisse des Invalides le soin de verser à partir de 60 ans des pensions de retraites aux marins et soldats de la marine, pensions considérées comme un don du roi. Or il se trouve que cette caisse était aussi chargée de financer des constructions d'hôpitaux grâce à une retenue de 2,5 % sur la solde des équipages des navires royaux. Le roi prit vite l'habitude de se servir dans la caisse pour payer les pensions.

À la révolution, en 1790, un système unique de pension fut décidé pour les fonctionnaires : il n'y eut plus de retenue sur les traitements et l'État versa des pensions jusqu'à concurrence de douze millions à la charge de son budget. Il fallait attendre l'extinction des pensions en cours - c'est-à-dire la mort du titulaire - pour pouvoir en verser de nouvelles. Inutile de dire qu'avec les guerres révolutionnaires puis les guerres napoléoniennes, le budget de l'État fut employé autrement qu'à servir des pensions. Les douze millions furent réduits, le nombre de nouvelles pensions fut limité à la moitié des extinctions et les pensions servies qui représentaient le quart du traitement n'en représentèrent plus qu'un sixième. Quant à l'âge de la retraite, il fut reculé de 50 à 60 ans.

Pour y suppléer, différentes administrations prirent alors l'initiative de créer des caisses de retraites particulières. L'État prélevait alors une retenue sur les traitements, allant de 3 à 10 % selon les administrations, et les caisses servaient les pensions. Jusqu'en 1853 ont coexisté pour les fonctionnaires des pensions servies sur les fonds généraux du budget de l'État et des pensions servies sur fonds de retenues. L'État encouragea d'autant plus ces fonds de retenues que non seulement ils soulageaient son budget mais qu'ils servaient aussi à amortir sa dette, tout cela dans une confusion financière des plus commodes.

En 1853, le système fut unifié pour les fonctionnaires des administrations centrales mais les mêmes principes - il faudrait dire absence de principes - prévalurent. Les Caisses furent supprimées et l'État récupéra tous leurs fonds. Il servit désormais des pensions directement inscrites au budget de l'État. Mais il garda le système des retenues sur traitements portées uniformément à 5 %. Aucun pourcentage n'était fixé comme contribution de l'État.

En dehors de l'État qui, pour des raisons politiques, voulait s'acheter la fidélité de ses serviteurs, et de quelques manufactures qui avaient besoin de fidéliser une main-d'oeuvre qualifiée, l'ancien régime laissait à la société, essentiellement rurale, le soin d'assurer la survie des personnes âgées par le biais de la famille ou alors au niveau du village, de la paroisse, par des organismes de bienfaisance.

Faire la charité aux travailleurs avec leur argent

Mais au 19e siècle, la société bourgeoise, et le capitalisme, qui se sont édifiés sur la destruction de ces relations familiales, de ces relations d'assistance, engendrèrent le dénuement complet d'une partie de la population, et en particulier des vieillards. Et le bas niveau des salaires, la précarité des conditions de vie et de travail des ouvriers, ne leur permirent plus d'accueillir leurs parents âgés.

C'est en 1850 qu'une première loi traitant des retraites fut votée, créant la Caisse des retraites pour la vieillesse.

Elle offrait aux ouvriers la possibilité (et non l'obligation) de cotiser régulièrement pour leur vieillesse, dans la perspective de se constituer, grâce à la capitalisation des intérêts servis, une rente pour leurs vieux jours. Il n'était pas question de cotisation patronale. La seule différence avec les Caisses d'épargne, créées sous la Restauration dans le même objectif de favoriser l'épargne ouvrière, c'était un taux d'intérêt supérieur, subventionné par l'État.

Il faut dire qu'à cette époque, la question de la retraite ouvrière était traitée en même temps que celle de la misère, du paupérisme comme on disait. Et que, pour les classes dirigeantes, la principale cause de la misère, c'était l'imprévoyance des pauvres.

Pour elles, la solution consistait donc à favoriser la constitution par les pauvres de ce qu'on appelle aujourd'hui une épargne volontaire. L'expression, que l'on trouve dans la bouche d'un Seillière, d'un Fabius ou d'un Chirac, est récente. Mais l'idée, comme on le voit, n'est pas nouvelle. Ni son échec à résoudre le problème des retraites ouvrières.

Bien que le montant des cotisations à la Caisse des retraites pour la vieillesse ait été relativement peu élevé, il dépassait les possibilités d'épargne régulière des familles ouvrières. Rares furent donc les ouvriers qui déposèrent spontanément leurs économies à la Caisse. De toutes façons, le montant moyen des pensions servies était très faible. Et alors que l'âge de la retraite était fixé à 60 ans, l'espérance de vie des ouvriers, à l'époque, ne dépassait pas 50 ans.

Créée en théorie pour les ouvriers, cette Caisse des retraites pour la vieillesse profita surtout à la petite et moyenne bourgeoisie qui y vit un moyen de placer avantageusement ses capitaux en raison de son taux d'intérêt supérieur à celui des rentes d'État. L'État trouvait là un moyen privilégié de financer sa dette.

Les patrons des mines, des chemins de fer, de certains établissements de crédit, de la Banque de France, prirent, eux aussi, au 19e siècle l'initiative de créer des caisses de secours et de prévoyance. Ce ne fut d'ailleurs qu'un élément parmi d'autres d'une politique patronale qui, par les logements ouvriers, crèches, dispensaires, subventions aux écoles libres, économats..., se donnait les moyens de mieux « tenir en main » son personnel, de garantir sa stabilité et sa discipline, à moindre frais. La sécurité que donnait la retraite était destinée à compenser la faiblesse des salaires. Pour les patrons, c'était tout bénéfice d'autant que le versement de la pension de retraite était le plus souvent laissé à leur bon vouloir. Il était la plupart du temps subordonné à la présence de l'ouvrier dans l'entreprise au moment de son départ en retraite : en perdant son emploi, l'ouvrier perdait sa retraite.

À la veille de 1910, les salariés qui pouvaient bénéficier d'une retraite étaient bien peu nombreux : moins de 5 % des ouvriers du secteur privé.

Le mouvement ouvrier opposé à la loi sur les retraites

La question des retraites ouvrières fut à nouveau débattue au début du 20e siècle. À cette époque encore, ce n'est pas la classe ouvrière qui, par ses revendications ou par ses luttes, mit la question des retraites à l'ordre du jour mais l'aile la plus à gauche des républicains bourgeois, ceux qu'on appelait alors les radicaux.

De fait, le premier gouvernement à présenter, en 1901, un projet de loi instituant un système de retraite obligatoire pour les travailleurs, financé non seulement par des cotisations ouvrières, mais aussi par des cotisations patronales, fut un gouvernement dirigé par un radical, Waldeck-Rousseau. C'était aussi le premier gouvernement à faire une place à un ministre venu des rangs socialistes, Millerand. Et ce n'était pas par hasard.

Il s'agissait pour le gouvernement de s'attirer les bonnes grâces - notamment électorales - de la classe ouvrière, mais aussi de concurrencer, sur leur terrain, socialistes et syndicalistes, pour tenter d'enrayer leur progression. Un peu comme l'avait fait Bismarck en Allemagne, qui avait, le premier, entre 1883 et 1889, instauré un système d'assurances sociales pour prendre à contre-pied la propagande du parti social-démocrate allemand.

Le projet du gouvernement Waldeck-Rousseau fut repoussé d'une législature à l'autre. Il se heurtait à l'opposition des politiciens réactionnaires et du patronat.

Mais le mouvement ouvrier, de son côté, combattait la charité institutionnalisée qu'impliquait le projet Waldeck-Rousseau - charité de surcroît avec l'argent des travailleurs eux-mêmes ! Le mouvement ouvrier de cette époque se battait surtout pour des salaires suffisamment élevés pour que les travailleurs n'aient pas besoin d'une prétendue « protection sociale » qui a toujours visé, sur le fond, à protéger la bourgeoisie elle-même ! Et, bien au-delà de l'aspect revendicatif, les militants ouvriers de cette époque, syndicalistes ou socialistes, étaient dans leur immense majorité convaincus que la seule mesure propre à assurer durablement, dans tous les âges de la vie, la sécurité des prolétaires, c'était le renversement du capitalisme.

Les militants de la CGT - ou du moins une grande majorité d'entre eux - refusaient l'idée même que c'est aux ouvriers de cotiser pour leurs retraites. En outre, ils rejetaient le projet de Waldeck-Rousseau en raison de la faiblesse des pensions de retraite promises ou encore de l'âge de la retraite, fixé d'abord à 65 ans. Et puis, ils s'opposaient au principe même d'une caisse de retraite capitalisant l'argent des travailleurs. Car cela faisait que les cotisations des travailleurs, prêtées à l'État ou aux entreprises contre un intérêt, obligeaient les ouvriers à contribuer au développement du capitalisme.

Le Parlement finit par adopter en 1910 la loi dite des Retraites ouvrières et paysannes. Il avait quand même fallu neuf ans pour cela.

La loi créait un système de retraite obligatoire pour les salariés dont la rémunération annuelle ne dépassait pas 3 000 francs. À l'époque, la quasi-totalité des ouvriers et beaucoup de petits employés gagnaient moins.

Le montant des cotisations avait été fixé à un niveau très faible. La part ouvrière représentait, sur un an, de 0,3 à 1 % du salaire. En gros l'équivalent d'une journée de travail pour un ouvrier parisien.

Pour payer sa cotisation, l'ouvrier devait, à chaque fois, se rendre au bureau de poste, acheter un timbre spécial et le coller sur son livret individuel. Le montant ainsi versé était porté au crédit d'un compte individuel d'épargne ouvert à son nom.

Si les cotisations étaient très basses, les pensions que pouvaient espérer toucher les travailleurs à partir de 65 ans (âge ramené à 60 ans en 1912) risquaient de l'être tout autant. Le projet prévoyait donc une contribution de l'État pour assurer à tous un minimum de 100 francs annuels, c'est-à-dire la valeur de... trois oeufs par jour.

Lors de l'adoption de la loi, tous les députés du groupe socialiste votèrent le texte à l'appel de Jaurès, sauf un, Jules Guesde, qui proposa un amendement supprimant « tout prélèvement sur les salaires ouvriers » et son remplacement par « des impôts spéciaux n'atteignant que les privilégiés du capitalisme industriel et terrien ». Pour Guesde, faire payer les travailleurs pour une retraite qu'ils avaient déjà largement gagnée, c'était un vol de plus.

Les syndicalistes de la CGT, eux non plus, n'avaient pas désarmé : à la fin de 1909 et au début de 1910, juste avant le vote, la CGT avait organisé une grande campagne contre la loi, avec des meetings dans plus de soixante-dix villes, dénonçant « l'escroquerie des retraites ».

Et après le vote, un tract de la CGT expliquait : « à 65 ans, il n'y a plus d'ouvriers. Les Chambres ont voté la retraite pour les morts ! ». C'était assez bien vu. Dans ces années-là, seulement 12,6 % de la population française vivait au-delà de 60 ans, et 8,4 % au-delà de 65 ans, toutes catégories sociales confondues, proportion encore plus faible dans la classe ouvrière.

La loi des Retraites ouvrières et paysannes fut un échec. Beaucoup de patrons esquivèrent cette charge nouvelle. Finalement quatre assurables sur cinq échappèrent à l'obligation de cotiser.

La loi fut surtout un échec parce que ceux qui l'avaient bâtie avaient omis, dans leurs hypothèses, un détail : la guerre et la période de crise et d'inflation qui la suivit, qui lui portèrent le coup de grâce.

Les Assurances sociales : une caisse noire pour l'État

Après la guerre, le problème du sort des vieux travailleurs sans ressources se posa à nouveau, dans des conditions aggravées. Le gouvernement déposa en 1921 au Parlement un projet de loi qui traitait à la fois du problème des retraites, de celui de l'assurance maladie et de celui de l'assurance maternité, en intégrant les trois régimes dans un seul et même ensemble : le régime des Assurances sociales.

La nouvelle loi sur les retraites fut adoptée, après sept ans de tergiversations, en 1928. La cotisation totale - 4 % pour le salarié et 4 % pour le patron - était nettement plus élevée qu'en 1910. Mais avant même d'entrer en vigueur, la loi fut remaniée en 1930, sous le gouvernement très réactionnaire de Tardieu et Laval en même temps que fut votée une autre loi qui réduisait de plus d'un milliard de francs toute une série d'impôts payés par la bourgeoisie sur le chiffre d'affaires, sur les opérations de Bourse, sur les valeurs mobilières et la propriété foncière, etc...

C'était plus qu'une compensation. Le gouvernement redonnait aux patrons d'une main ce qu'il leur prenait de l'autre.

La moitié des recettes de ce régime d'assurances sociales devait alimenter la caisse de retraite, gérée en capitalisation, l'autre moitié les deux autres caisses, maladie et maternité, gérées en répartition. Cela signifiait que la partie gérée en capitalisation était inscrite chaque année sur un compte individuel, et placée pour rapporter des intérêts, comme un compte d'épargne ; la différence c'était que le cotisant ne pouvait plus en disposer jusqu'à sa retraite ; le capital ainsi constitué était censé permettre de verser une rente de la retraite à la mort. L'autre moitié des cotisations, gérée en répartition, était immédiatement utilisée pour payer les dépenses maladie ou maternité de l'année. Les cotisations étaient prélevées directement sur le salaire par l'employeur.

L'âge de la retraite était fixé, en principe, à 60 ans et la loi promettait des pensions de retraite s'élevant à au moins 40 % du salaire moyen d'activité du cotisant... après trente années de cotisation. En 1937, un peu plus de 300 000 pensions étaient versées mais leur montant moyen était extrêmement faible.

La participation financière de l'État, destinée à assurer l'équilibre du système dans les premiers temps, se réduisit rapidement, passant de 15 % du montant des cotisations dans les premières années à 5 % en 1939.

Dans le même temps, les gouvernements successifs n'hésitaient pas à puiser largement dans les fonds d'épargne retraite qui s'accumulaient. Le 15 mai 1934, un décret affectait purement et simplement 75 % des avoirs de capitalisation des assurances sociales à un Fonds commun de travail censé, pour lutter contre le chômage, financer des grands travaux.

À la fin des années 1930, le sort des retraités, dans l'immense majorité des cas, ne s'était pas amélioré.

C'est finalement sous Pétain, en 1941, que fut décidé le versement d'une allocation aux vieux travailleurs qui ne pouvaient bénéficier du régime de retraite des Assurances sociales : c'était l'Allocation pour les vieux travailleurs salariés, l'AVTS.

Tout salarié ou ancien salarié avait droit, à 65 ans, à condition que ses revenus ne dépassent pas un certain seuil, à une allocation forfaitaire de 3 600 francs par an. À la même époque, un ouvrier parisien gagnait en moyenne 2 900 francs par mois. C'était vraiment un minimum : avec leurs dix francs par jour, les allocataires pouvaient acheter environ trois oeufs au prix légal, mais un seul au marché noir.

Les travailleurs étrangers furent exclus du bénéfice de l'allocation nouvelle.

Et celle-ci fut financée en puisant dans les caisses de retraite des Assurances sociales de 1930. Le gouvernement de Pétain suivait l'exemple des gouvernements d'avant-guerre, qui y avaient, eux aussi, largement puisé.

Il alla plus loin. Il décida en effet que le régime de retraite des Assurances sociales serait désormais géré en répartition. C'est-à-dire que les cotisations versées ne seraient plus de l'épargne inscrite au compte de chaque salarié, mais qu'elles seraient immédiatement utilisées pour payer les pensions de retraite.

Du jour au lendemain, les salariés perdaient tout droit sur la grande masse des cotisations qu'ils avaient versées, grossies, en principe, des intérêts accumulés depuis dix ans. Cette masse d'argent, qui représentait en 1941 25 milliards de francs de l'époque, était officiellement confisquée dans sa totalité par l'État. Et définitivement. Car il n'y eut pas, sur ce plan, de retour en arrière après la chute du régime de Vichy.

LA SÉCURITÉ SOCIALE : UN SYSTÈME OPAQUE, COÛTEUX ET INJUSTE

Un marché de dupes

À partir de 1945, un nouveau système d'assurances sociales, intégrant d'ailleurs l'Allocation des vieux travailleurs salariés, fut mis en place : la Sécurité sociale.

En fait la Sécurité sociale a été l'os que la bourgeoisie a donné à ronger à la classe ouvrière pour lui faire accepter les sacrifices considérables qui lui furent imposés sous prétexte de reconstruire l'économie du pays ravagée par la guerre. À l'époque, la bourgeoisie n'était pas bien sûre que la classe ouvrière ne se révolterait pas et elle craignait une réédition de la vague révolutionnaire qui avait secoué l'Europe au lendemain de la Première guerre mondiale. La première des garanties, c'était déjà de s'assurer la collaboration loyale des organisations ouvrières : le PCF fut associé au gouvernement et les syndicats ouvriers à la gestion de la Sécurité sociale, entre autres...

Pierre Laroque, ce haut fonctionnaire chargé à l'époque par le gouvernement de l'élaboration et de la mise en oeuvre du plan de la Sécurité sociale, a pu en dire que la Sécurité sociale avait créé « chez les travailleurs un climat favorable à l'effort qui leur était demandé ».

Il fallait que cette contrepartie ait l'air la plus substantielle possible mais qu'elle coûte le moins cher possible. En 1944, Pierre Laroque défendait ainsi son projet : « le projet de réforme des prestations des assurances sociales a été conçu avec la double préoccupation de donner à notre organisation le maximum d'efficacité sociale et d'éviter toute charge nouvelle pour l'économie qui, en l'état actuel des circonstances, ne saurait supporter un poids supplémentaire ». Il n'était donc pas question de puiser dans les deniers de l'État. Le patronat, quant à lui, profitait de l'inflation pour payer des salaires qui se dévalorisaient sans cesse et le gouvernement n'avait nulle intention de le contraindre à payer des salaires corrects permettant aux travailleurs de se loger, de se soigner, d'élever leurs enfants et de vivre une retraite décente.

Alors ce sont encore les travailleurs eux-mêmes qui ont supporté l'essentiel du coût.

Les salariés sont les seuls à payer

L'ensemble des cotisations fut porté en 1945 à 16 % du salaire, un doublement par rapport à la période de la guerre. Les ouvriers voyaient le prélèvement sur leur salaire direct passer de 4 à 6 %, c'est-à-dire augmenter de 50 %, et la cotisation dite employeur passait de 4 à 10 %, augmentation aussitôt compensée par la suppression d'une taxe instaurée en 1942 destinée à alimenter un fonds d'indemnisation des travailleurs victimes de bombardements d'usine. Opération blanche donc pour les patrons. Ce furent les salariés qui se payèrent leur protection sociale sur leur salaire.

Il fallait 30 années de cotisation (soit 120 trimestres) pour espérer toucher 40 % du salaire des dix dernières années.

L'âge de la retraite fut de fait repoussé à 65 ans puisque le taux plein ne pouvait être perçu plus tôt. Officiellement on pouvait toujours partir à 60 ans, mais avec seulement 20 % du salaire de référence !

L'État et les partenaires sociaux choisirent de verser des pensions de misère, sacrifiant ainsi les retraités, de façon à maintenir de bas salaires et de faibles cotisations. Jusqu'alors le Parti communiste avait été opposé à toute cotisation ouvrière. Mais il en accepta d'autant plus facilement l'idée qu'elle justifiait que l'argent prélevé sur les salaires soit géré par les représentants des salariés, c'est-à-dire les syndicats, dont la CGT était à l'époque de loin le plus important. La Sécurité sociale fut gérée par des représentants élus des syndicats ouvriers et patronaux, les syndicats ouvriers disposant à l'époque des trois quarts des postes. Cela les rendait fortement accommodants sur tout le reste, bien que ce soit le gouvernement qui ait pouvoir de décision sur le montant des cotisations et des prestations, et qui ait finalement la haute main sur le budget de la Sécurité sociale. C'est dire que les représentants syndicaux étaient là pour appliquer la politique du gouvernement et pas pour défendre les salariés contre les mauvais coups, qui furent fort nombreux.

La répartition, par nécessité et à contrecoeur

Lors de l'élaboration du plan de Sécurité sociale, il semblait se dégager un consensus pour remettre sur pied un système de retraite par capitalisation, en fait pour restaurer le système d'assurances sociales mis en place en 1930, en indemnisant les cotisants des prélèvements effectués sous Vichy pour financer l'Allocation des vieux travailleurs salariés. La CGT menait à l'époque campagne sur ce thème et réclamait le retour à l'ancien système.

Et, déjà à l'époque, on agitait la menace que l'évolution démographique, du fait de la guerre et de la diminution de la natalité entre les deux guerres, faisait prétendument peser sur les retraites par répartition, dans lequel ce sont les cotisations des actifs qui payent immédiatement les pensions des retraités.

Enfin le système par capitalisation impliquait la constitution de grosses réserves que les capitalistes se faisaient forts de faire fructifier en attendant de devoir verser les futures pensions.

Mais, finalement, ce fut le système par répartition qui fut adopté par nécessité et à regret. Son gros avantage était qu'il permettait d'utiliser immédiatement les cotisations versées pour servir des pensions... et continuer à payer l'Allocation des vieux travailleurs salariés. Cela permettait de parer au plus pressé sans être obligé de constituer des réserves pour l'avenir, et sans faire intervenir les deniers de l'État. Il fallait bien payer au moins un peu et l'État ne voulait pas débourser un sou.

Pour laisser tout de même une place à l'assurance individuelle, un plafond au-delà duquel la Sécurité sociale ne prélevait plus les cotisations fut institué. Les salariés les mieux payés qui voulaient que cette partie de leur salaire soit prise en compte pour leur retraite cotisèrent à une caisse de retraite complémentaire, l'AGIRC, créée en 1947 pour les cadres.

Des retraites minables pendant 25 ans

Les salariés qui avaient cotisé depuis 1930 ne purent toucher de pensions complètes avant 1960. C'est dire que les pensions versées à la fin des années 1940 et au cours des années 1950 étaient extrêmement faibles et durent souvent être complétées pour arriver au minimum de l'Allocation des vieux travailleurs salariés, qui, bien que doublée fin 1944, restait encore très modique. Elle ne dépassait pas 30 % du salaire minimum garanti, le SMIG, lorsque celui-ci fut institué en 1950. Quant aux veuves, beaucoup devaient se contenter d'une demie allocation, 15 % du salaire minimum !

Le niveau des pensions prévues par le système mis en place en 1945 a évidemment incité de multiples catégories professionnelles, mineurs, cheminots, fonctionnaires, qui avaient un système de retraites plus avantageux, à refuser d'entrer dans le régime général. Ces régimes dits spéciaux ont chacun leurs règles particulières. Ce qu'on appelle le régime général ne regroupe que les salariés du commerce et de l'industrie qui ne sont pas reliés à un régime spécial. Les salariés agricoles ont leur propre régime. Les non-salariés, exploitants agricoles, commerçants, artisans, etc., ont leur propres caisses.

Au lieu de mettre sur pied un système qui paye automatiquement leur plein salaire aux travailleurs âgés, qui l'ont largement gagné, comme l'expliquait Guesde un demi-siècle plus tôt, on a bricolé un système très compliqué et très opaque, alimenté par des cotisations diverses, dispensant des prestations diverses, selon des conditions diverses qui supportent en outre de multiples exceptions. Les inégalités ne datent pas d'aujourd'hui ! En 1949, par exemple il y avait 167 types de liquidation de la retraite rien que dans le régime général de la Sécurité sociale. Le régime général comprenait plusieurs branches, et plus tard plusieurs caisses distinctes, pour la vieillesse, la maladie, la famille. En tout des centaines de caisses différentes. Il s'agit d'un montage d'autant plus complexe qu'il fallait tenir compte de multiples intérêts et que chaque prestation était chichement mesurée. Le tout impliquait évidemment une gestion lourde et coûteuse, payée par les assurés eux-mêmes car l'État refusa de la prendre à sa charge.

Le vol organisé des salariés

Non seulement on obligea les salariés à cotiser pour leur propre retraite mais l'État n'eut aucun scrupule à puiser dans les caisses du régime général de la Sécurité sociale et faire payer aux salariés, sur leurs cotisations, d'innombrables dépenses qui auraient dû être prises en charge par le budget de l'État. C'est ce qu'on appelle les charges indues, qui comme nous l'avons vu, ne datent pas d'aujourd'hui.

Ainsi l'Allocation des vieux travailleurs salariés, qui était une sorte de minimum vieillesse pour les salariés, mais qui était versée à de nombreux agriculteurs non salariés, n'aurait pas dû être payée sur les cotisations des assurés sociaux. Le gouvernement de la Libération a agi exactement comme celui de Vichy et pris sur les cotisations des salariés du régime général pour assurer ce minimum.

L'État prit donc l'habitude de faire financer par les cotisations de ces derniers un certain nombre de prestations sociales qui ne sont pas destinées aux assurés sociaux. Ne parlons même pas de la branche maladie qui est encore bien plus largement mise à contribution pour financer la construction des hôpitaux, les études médicales, les profits des trusts pharmaceutiques, etc. - mais ce n'est pas le sujet de ce soir, quoique le budget de la Sécurité sociale forme un tout.

Il n'est guère étonnant que les pensions de retraite aient été réduites à la portion congrue car, pendant que le régime général servait de vache à lait pour toute une série de dépenses relevant des autres régimes ou de l'État, ses ressources enregistraient, elles, de multiples manques à gagner.

Par exemple la non revalorisation régulière du plafond au-dessus duquel la Sécurité sociale ne perçoit plus de cotisation sociale sur le salaire aboutit à priver son budget de ressources importantes. En 1958, la moitié des salariés seulement cotisaient à la Sécurité sociale sur la totalité de leur salaire. Cette situation favorisa les cadres qui purent alimenter plus largement leur propre caisse, mais c'était autant de rentrées en moins pour le régime général. Les petits salaires supportaient donc le gros de la charge.

Et puis il n'était pas facile de faire rentrer les cotisations. Le gouvernement a confié aux patrons le soin de retenir les cotisations à la source et de les verser à l'organisme chargé de les percevoir, l'URSSAF. Or la plupart des employeurs, s'ils n'oubliaient jamais de retenir les cotisations sur les salaires, n'effectuaient les versements qu'avec retard ou pas du tout ! L'argent des assurés sociaux servait de fonds de roulement aux patrons. La législation sanctionnant cette pratique était inopérante car pas appliquée. À l'époque la priorité allait à la relance de la production : ce n'était pas le moment de faire des difficultés aux patrons, le gouvernement était aux petits soins pour eux. En 1948, les heures supplémentaires au-delà de 44 heures par semaine furent même pendant un temps exonérées de toute cotisation sociale ! En 1951 les pénalités contre les mauvais payeurs furent réduites avec le but proclamé d'arriver à une meilleure entente avec les patrons. Peine perdue, les caisses n'eurent jamais les moyens de faire rentrer tout l'argent dû. D'ailleurs dans les années 1950, l'URSSAF renonça à poursuivre le recouvrement des impayés au-dessous de dix salariés. Aujourd'hui il ne reste officiellement que 1 % de cotisations impayées, ce qui représente tout de même environ 20 milliards de francs chaque année. Mais évidemment les patrons payent selon ce qu'ils ont eux-mêmes déclaré et les contrôles, trop rares, effectués par l'URSSAF montrent que la moitié de ceux qui sont contrôlés trichent et parfois beaucoup. Pour ne prendre pour exemple qu'une des entreprises les plus profitables du pays, L'Oréal, elle, a été redressée en 2001 de 91 millions d'euros !

Quant à l'État-patron, il n'est pas du tout contrôlé et il cherche à payer le moins possible. D'ailleurs il s'est lui-même exonéré de cotisations sociales sur les primes et les heures supplémentaires payées aux fonctionnaires, quelque 100 milliards de francs, et personne ne peut dire s'il paye ce qu'il doit sur le reste.

C'est dire que les comptes sont loin d'être transparents. L'argent des cotisants est mis à toutes les sauces et la comptabilité est si complexe que l'enchevêtrement des dettes et des crédits jette un voile opaque sur ces prélèvements indus dont sont victimes les salariés. Il arrive parfois que l'État reconnaisse devoir de l'argent et verse en rattrapage une somme plus ou moins arbitraire. Ce fut le cas en 1951 et en 1959 par exemple. Il n'est pas facile même pour des spécialistes de calculer le montant des charges indues mais des estimations ont été faites : entre 1947 et 1958, ces charges ont représenté 83 % du déficit de la Sécurité sociale.

Les gouvernements contre les vieux travailleurs

En 1953, le très réactionnaire gouvernement Laniel voulut prendre par décrets-lois toute une série de mesures destinées à faire économiser au budget de l'État, grevé par la guerre d'Indochine, des sommes considérables sur le dos des fonctionnaires. Il avait, entre autres, le projet de reculer l'âge de leur retraite. Transformant le débrayage auquel appelaient les organisations syndicales en grève illimitée en plein mois d'août, les postiers de Bordeaux entraînèrent l'ensemble de la Fonction publique dans la grève, obligeant le gouvernement à reculer avant le retour des vacances de peur que l'ensemble de la classe ouvrière ne profite de la brèche ainsi ouverte.

La situation des vieux travailleurs resta véritablement scandaleuse pendant toutes les années 1950. En 1956, le Front républicain dirigé par le socialiste Guy Mollet fit campagne sur l'amélioration de la retraite des vieux mais, une fois au gouvernement, renonça en fait à augmenter les retraites car cela aurait été trop coûteux au moment où le budget de l'État allait être mobilisé pour une intensification majeure de la guerre en Algérie. Guy Mollet se contenta de donner une aumône aux vieux travailleurs les plus pauvres... aumône financée au départ par des impôts supplémentaires. Guy Mollet créa en effet le Fonds national de solidarité, alimenté par des augmentations de taxes et un nouvel impôt, la vignette automobile, qui devait permettre de verser une prestation aux plus démunis des retraités.

À l'époque, près de la moitié des 2,2 millions de retraités du régime général reçurent un complément du Fonds national de solidarité qui améliora donc un peu leur sort. Mais ce complément n'était pas bien élevé puisqu'il ne représentait que 10 % du SMIG. Pour y avoir droit, il fallait avoir des revenus inférieurs à 70 % du SMIG.

Mais voilà que le nouvel impôt rapporta beaucoup plus que les prévisions gouvernementales, au point que de Gaulle préféra le garder pour alimenter le budget de l'État. Dès 1959, l'État s'empara du produit de la vignette et les vieux n'en virent plus la couleur. Les allocations du Fonds national de solidarité revinrent donc à la charge du régime général sans contrepartie. Le régime général a dû également payer les allocations versées aux assurés des autres régimes qui n'avaient pas les moyens de payer. Cette nouvelle charge imposée par l'État a représenté une augmentation de 25 % de toutes les dépenses vieillesse du régime général !

Au début des années 1960, de Gaulle fit prendre en charge par le régime général le déficit de la caisse des salariés agricoles dû à l'exode rural, puis le déficit creusé dans les caisses des mineurs par la décision de l'État de fermer la plupart des mines de charbon. Les cotisations des salariés du régime général servaient à bien des choses mais certainement pas à servir des retraites décentes à ces derniers.

Et l'amélioration du sort des retraités fut très lente. À partir de 1960 seulement, le régime général commença à verser des pensions complètes (40 % du salaire de référence). En 1961, l'affiliation des salariés non-cadres à une caisse de retraite complémentaire se généralisa.

En 1967, lorsque de Gaulle prit des ordonnances réorganisant la Sécurité sociale pour faire payer aux assurés sociaux les déficits qu'il avait contribué à creuser, il y avait toujours plus de 2 millions de personnes qui touchaient le minimum vieillesse, alors la moitié du SMIG. Voilà où on en était réduit plus de 20 ans après la création de la Sécurité sociale, présentée par les syndicats et le PCF comme une grande conquête ouvrière.

Même si aujourd'hui on ne peut que s'opposer aux attaques contre le système de retraite, car elles visent à faire encore reculer le niveau de vie de la classe ouvrière, et même si cela peut apparaître comme une défense du système de Sécurité sociale, il faut bien avoir conscience que c'est un système opaque, coûteux et injuste. Ce n'est pas au nom des acquis que l'on peut s'opposer aux attaques actuelles car il ne s'agit pas d'acquis. Tout le système a été imposé aux travailleurs pour le plus grand bénéfice de la bourgeoisie et de son État.

L'amélioration des retraites payée par les travailleurs eux-mêmes

C'est après mai 68, au cours des années 1970, que le sort d'une partie des vieux travailleurs s'est un peu amélioré, mais cette amélioration fut entièrement financée par les salariés eux-mêmes. En 1971, la loi Boulin porta le montant de la pension à 50 % au lieu de 40 % du salaire de référence, qui devint celui des dix meilleures années et non plus des dix dernières années. Mais le nombre de trimestres de cotisations donnant droit à une pension complète passa de 120 à 150, ce qui fit 37,5 années au lieu de 30.

L'affiliation de tous les salariés à une caisse de retraite complémentaire, l'ARRCO, fut achevée en 1974. Cela permit d'obtenir une pension qui, en régime plein, se monta à environ 75 % du salaire de référence. Mais évidemment les salariés durent acquitter des cotisations à ces caisses. C'est dire que rien ne leur fut jamais donné. Pire, l'amélioration du sort des retraités ne fut pas durable.

D'autant que les cotisations des salariés du régime général furent à nouveau mises à contribution à partir de 1974 par la mise en place officielle de systèmes de compensation entre les différents régimes. La démographie a eu encore bon dos. En effet, sous prétexte que les régimes des salariés du privé, comme du public, avaient de plus en plus de cotisants au fur et à mesure que le nombre de cotisants se réduisait chez les agriculteurs et les travailleurs indépendants, les cotisations des salariés durent compenser les déficits de ces régimes. Et voilà plus d'un quart de siècle que le régime général et celui des fonctionnaires versent chaque année des sommes considérables au titre des divers systèmes de compensation.

On nous dit aujourd'hui, à gauche comme à droite, qu'il faut défendre le système de retraite par répartition car il est basé sur la solidarité entre les générations. Entre générations, un peu, mais pas entre classes sociales ! Les actifs des classes laborieuses payent pour les retraités, mais les riches ne poussent pas la solidarité jusqu'à restituer ne serait-ce qu'une partie de ce qu'ils ont prélevé par l'exploitation pour permettre à ceux qu'ils ont volés de toucher une retraite convenable. La grande masse des salariés est même ponctionnée d'office pour aider au versement des pensions les plus élevées. Et parmi les salariés eux-mêmes, il n'y a aucune redistribution de solidarité si ce n'est une aide des moins bien lotis à ceux qui le sont mieux. En effet on a calculé qu'en 1976, les sommes perçues sous forme de pensions (retraite de base et retraite complémentaire) par les manoeuvres représentaient 4 % de plus que ce qu'ils avaient versé sous forme de cotisations. Les sommes reçues par les cadres supérieurs représentaient 57 % de plus que ce qu'ils avaient versé.

LES RETRAITÉS PAYENT POUR MAINTENIR LES PROFITS

Prélèvements accrus sur les salaires et les retraites...

Au cours de la deuxième moitié des années 1970, marquée par les débuts de la crise économique, la montée du chômage (la barre du million de chômeurs fut franchie en 1975) et donc la perte de ressources pour la Sécurité sociale, on assista à des augmentations régulières de l'ensemble des cotisations sociales, entre autre de la cotisation vieillesse. Le poids des cotisations sociales augmenta de 50 % entre 1970 et 1980. Chaque année amena son lot de sacrifices pour les salariés. À partir de 1979, la pension des retraités fut amputée par une cotisation sociale pour la maladie, alors que Simone Veil, ministre de la Santé et de la Sécurité sociale, inaugurait les exonérations de cotisations sociales pour les patrons, promises à un bel avenir.

On assista dans ces années-là à la mise en place d'un scénario désormais bien rodé. Les gouvernements mirent en scène les déficits de la Sécurité sociale, les dramatisèrent, essayant d'effrayer les salariés pour faire accepter des mesures impopulaires.

La première à user du procédé fut Simone Veil. Et depuis, les plans dits de redressement de la Sécurité sociale, en fait destinés à faire payer plus les assurés pour des prestations moindres, se sont succédé sans interruption.

Les gouvernements ont utilisé les prétendus déficits de la Sécurité sociale ou de l'UNEDIC, la caisse de l'assurance chômage, - pourtant bien faibles à côté des déficits du budget de l'État - comme prétextes pour justifier les ponctions sur les assurés sociaux ou les contribuables afin de transférer un maximum d'argent public vers le patronat.

Et la gauche, arrivée au pouvoir en 1981, a réussi à faire accepter à la population laborieuse ces transferts au profit des entreprises en prétendant que la bonne santé des entreprises était la condition pour en finir avec le chômage.

En 1983, pour abaisser le nombre de chômeurs et de pré-retraités, le gouvernement Maurois abaissa légalement à 60 ans l'âge auquel on pouvait prendre sa retraite à taux plein, généralisant ainsi une pratique déjà répandue dans de nombreuses professions. Cela fut présenté comme une grande mesure sociale. Mais faut-il rappeler qu'elle fut largement compensée par les sacrifices imposés aux travailleurs dans bien d'autres domaines, notamment le blocage des salaires en 1982 ? Ce blocage des salaires, en dehors de sa conséquence directe sur le pouvoir d'achat immédiat, entraîna aussi une perte de ressources importante pour la Sécurité sociale et pour la caisse de retraites. Mais c'est la montée du chômage, qui ne ralentit pas pendant toutes ces années et qui représenta des cotisations en moins, qui devint une cause permanente et croissante du manque à gagner pour les caisses de Sécurité sociale.

Les travailleurs ne sont évidemment pour rien dans cette aggravation du chômage, dont un nombre croissant d'entre eux allaient être victimes. Et, pourtant, c'est aux travailleurs qu'on en a fait payer le prix.

Les prélèvements sur les salariés s'alourdirent mais aussi sur les retraités. Quant aux chômeurs, ils durent payer pour la première fois, en 1981, une cotisation sociale sur leurs allocations chômage. Les pré-retraités durent supporter des cotisations sociales de 5,5 % à partir de 1983.

L'augmentation des prélèvements fut beaucoup plus importante que l'augmentation des prestations.

Jusqu'en 1983, les pensions étaient revalorisées selon l'évolution du salaire moyen. Puis les gouvernements se mirent à revaloriser en fonction de prévisions sur l'évolution des salaires, puis sur celle des prix, prévisions rectifiées a posteriori, compliquant encore un peu plus les comptes de la Sécurité sociale et surtout défavorisant les retraités puisque, sur l'ensemble des années 1983-1987, la revalorisation en moyenne n'a même pas complètement compensé la hausse des prix. En 1987, le plan Seguin de redressement de la Sécurité sociale commença à officialiser cette pratique qui aboutit à un décrochement des retraites par rapport aux salaires.

... au profit de la bourgeoisie et de son État

Les exonérations de charges sociales inaugurées à la fin des années 1970 se poursuivirent sous prétexte de favoriser l'emploi. Les gouvernements Rocard et Bérégovoy renoncèrent officiellement à compenser ces allégements pour le budget de la Sécurité sociale en affirmant que celle-ci y gagnerait de nouvelles cotisations avec les emplois induits !

En ce qui concerne les caisses de retraites complémentaires, l'État s'était engagé à compenser la charge financière supplémentaire due aux départs à la retraite à 60 ans au lieu de 65. Mais il ne tint qu'une petite partie de ses engagements. De même qu'il n'a jamais payé à l'AGIRC et l'ARRCO les dizaines de milliards dus pour la validation des droits des pré-retraités.

Enfin le gouvernement prit l'habitude de faire à la Sécurité sociale des avances de trésorerie chèrement rémunérées, au taux du marché plus un point, au lieu de couvrir les déficits comme cela se pratiquait auparavant. Ainsi non seulement l'État est bien loin de payer ce qu'il doit à la Sécurité sociale mais le comble c'est que les cotisations des salariés servent aussi à régler des frais financiers de plus en plus importants : 14 millions de francs en 1981, 580 millions en 1992, et jusqu'à 16 milliards de francs en 1995. Ils sont aujourd'hui de quelque 5 milliards de francs par an.

Au cours des années 1990, les attaques contre la Sécurité sociale en général et les retraites en particulier se précipitèrent et s'intensifièrent, et aboutirent à des transformations très importantes qui préparèrent les nouvelles attaques d'aujourd'hui.

D'abord la politique d'exonération de cotisations sociales pour le patronat devint systématique. On parla de charges sociales qui pesaient trop lourd sur les entreprises, qui les empêchaient d'embaucher et d'investir, qui nuisaient à leur compétitivité. En fait la bourgeoisie voulait réduire à tout prix les coûts salariaux.

La CSG, pour ponctionner un peu plus les salariés

En 1991, Rocard mit en place la CSG, la Contribution sociale généralisée, qui monta peu à peu en puissance.

Il a présenté cela comme une mesure plus juste sous prétexte qu'à la différence des cotisations sociales prélevées sur les seuls salaires, la CSG s'appliquerait à tous les revenus, y compris à ceux du capital. Il s'agit encore d'une duperie. Car la CSG ne s'applique pas du tout aux revenus du capital des entreprises, à leurs placements financiers, à leur profits, intégrés dans l'impôt sur les sociétés. En revanche, en s'appliquant aux revenus des particuliers, y compris sur les intérêts perçus sur les économies que les travailleurs ont placées, on alourdit encore la charge sur les salariés. Ainsi, avec le tour de passe-passe de la CSG, les gouvernements ont pu accroître la charge sur le salaire direct des salariés sans augmenter la part patronale. La CSG a pesé essentiellement sur la population laborieuse, d'autant que ce n'est pas un impôt progressif.

Lorsque les révolutionnaires du début du siècle voulaient faire financer les retraites par l'impôt, il s'agissait d'un impôt sur les riches, pas d'un prélèvement de plus sur les travailleurs.

La « réforme » Balladur : une régression considérable

La fin du deuxième septennat de Mitterrand fut marquée par la réforme des retraites effectuée par le gouvernement Balladur en 1993.

Il est remarquable que cette attaque en règle contre les retraités et les salariés menée par un gouvernement de droite ait été préparée par les gouvernements de gauche précédents, par le Livre blanc sur les retraites commandé par le gouvernement Rocard et par les négociations entreprises par son successeur, Bérégovoy, avec les partenaires sociaux.

Balladur a ainsi pu boucler la réforme dès qu'il est arrivé à Matignon en 1993. Laissant de côté dans un premier temps les régimes spéciaux et les fonctionnaires, le gouvernement Balladur s'est attaqué aux salariés du régime général en augmentant progressivement, à raison d'un trimestre par an à partir du 1er janvier 1994, la durée de cotisation nécessaire pour bénéficier d'une retraite à taux plein : 160 trimestres au lieu de 150, 40 ans de cotisation au lieu de 37,5 ans. Il faut donc cotiser plus longtemps pour toucher moins, car la pension de retraite est progressivement calculée sur les vingt-cinq meilleures années au lieu des dix meilleures, à raison d'une année de plus par an jusqu'en 2008. Il fut officiellement décidé que les pensions seraient indexées sur l'indice des prix hors tabac qui, rappelons-le, minimise considérablement la réelle augmentation du coût de la vie. Pire, les salaires des vingt-cinq années de référence sont aussi revalorisés a posteriori en fonction de l'évolution de l'indice des prix et non plus du salaire moyen, pour calculer le montant de la pension initiale, ce qui l'ampute considérablement.

D'ici 2015, les futurs retraités pourraient ainsi percevoir une pension amputée de 25 %, uniquement suite à la réforme Balladur. C'est en elle-même une régression considérable. Mais c'est un précédent que l'on veut maintenant imposer au nom de l'égalité et de la justice aux autres salariés, ceux des régimes spéciaux et les fonctionnaires. Et alors même que ces mesures n'ont pas encore produit tous leurs effets, on veut déjà imposer des sacrifices supplémentaires.

à l'époque, les confédérations syndicales ne se sont guère préoccupées de faire plus qu'une protestation symbolique. Balladur leur avait promis en échange que l'État reprendrait à son compte toutes les charges indues, ne consentirait plus d'exonérations de charges sociales sans compenser le budget de la Sécurité sociale et apurerait les dettes de la Sécurité sociale. Ces messieurs les gestionnaires ont considéré que cela suffisait pour brader les intérêts des travailleurs.

Encore et toujours de nouveaux impôts

Un nouvel organisme, le FSV, le Fonds de solidarité vieillesse, fut désormais chargé de financer les dépenses de solidarité comme le minimum vieillesse, le financement de la validation, pour le calcul de la retraite, des périodes de service militaire, de chômage ou les années attribuées en fonction du nombre d'enfants. Il s'agit de sommes considérables que l'État laissait auparavant à la charge du régime général, de l'ordre de 70 milliards de francs par an.

Mais maintenant que l'État avait décidé de retirer cette charge au régime général, c'était en prenant sur les recettes du régime général et avec des impôts supplémentaires qu'il allait la financer ! En effet, l'État versa au Fonds de solidarité vieillesse les taxes sur les boissons, une vingtaine de milliards de francs, qui constituaient une recette de la caisse maladie, et augmenta de 1,3 point la CSG pour financer le nouvel organisme, c'est-à-dire plus de 50 milliards de francs d'impôts nouveaux, payés essentiellement par les travailleurs.

Le Fonds de solidarité vieillesse puis la CADES, la caisse d'amortissement de la dette sociale, créée à cet effet, ont pris en charge la gestion de la dette de la Sécurité sociale. Et c'est encore un nouvel impôt qui finance cette dette : la Contribution au remboursement de la dette sociale, CRDS, qui prélève encore 25 à 30 milliards de francs chaque année, à raison de 0,5 % sur tous les revenus : les salaires, retraites, allocations chômage, etc. L'impôt permet de rembourser les emprunts que la Caisse d'amortissement émet sur les marchés financiers, avec intérêts bien sûr, et même les 110 milliards généreusement avancés par l'État avec intérêts.

Le gouvernement Juppé qui succéda à celui de Balladur en 1995 apporta le vingtième plan de redressement de la Sécurité sociale. Mais, s'il a fort bien réussi à détériorer un peu plus le système de soins dans ce pays, il n'a pas réussi à aligner par le bas les retraites des salariés du secteur public sur celles du secteur privé. Il s'est heurté au plus grand mouvement de grève depuis 1968 et il a dû reculer.

Par contre, les attaques contre les salariés du privé se sont poursuivies en ce qui concerne les régimes complémentaires, ARRCO et AGIRC. Après s'être entendus en 1994 pour augmenter les cotisations, patronat et syndicats se sont mis d'accord en 1996 pour limiter la revalorisation des retraites complémentaires à un point en dessous de l'évolution des salaires moyens, laissant ainsi les pensions complémentaires décrocher elles aussi des salaires des actifs. Cela signifie que les salariés du régime général touchent une retraite totale qui se rapproche de plus en plus des deux tiers du salaire antérieur au lieu des trois quarts.

Le PS prépare le terrain des futures attaques

Le retour du Parti socialiste au gouvernement en 1997 n'a en rien infléchi la politique menée par Balladur et Juppé. Le gouvernement Jospin n'est pas revenu sur les dispositions prises par Balladur en ce qui concerne les retraites. Il a même pérennisé l'indexation des retraites sur les prix que Balladur n'avait instaurée que pour cinq ans et qui est pourtant la mesure susceptible de contribuer le plus au décrochage des retraites par rapport aux salaires dans l'avenir.

Et puis, suite aux difficultés rencontrées par Juppé, le gouvernement Jospin s'est évertué à convaincre l'opinion ouvrière de la nécessité de faire de nouveaux sacrifices pour sauver les retraites. Il a commandé plusieurs rapports, les rapports Charpin, Taddei, Balligand-Foucault..., qui tous soulignaient l'impossibilité de payer les retraites dans l'avenir si on ne « réformait » pas maintenant, relayés par un véritable matraquage médiatique destiné à préparer les travailleurs à accepter le pire.

Le gouvernement Jospin a remplacé une partie des cotisations sociales des salariés par l'impôt, en doublant la CSG, portant son taux à 7,5 %. Ainsi par la grâce des gouvernements socialistes qui l'ont inventée et développée, la CSG est devenue le premier impôt direct, qui rapporte plus que l'impôt sur le revenu, alors qu'il pèse plus lourdement encore que celui-ci sur le dos des travailleurs, des retraités, des chômeurs...

Le montant des sommes prélevées au titre de la CSG a été multiplié par 12 en dix ans : de 30 milliards de francs à sa création en 1991 à 377 milliards de francs en 2000.

Et parallèlement Jospin non seulement n'a pas augmenté les cotisations employeurs mais a multiplié les exonérations de charges sociales payées par le patronat, notamment à l'occasion de la mise en place des 35 heures. Le total des exonérations de cotisations sociales a triplé de 1995 à 2001, même d'après les chiffres officiels, pour arriver à 118 milliards de francs, dont 15 milliards ne sont pas compensés par l'État à la Sécurité sociale.

La charge de financer la protection sociale repose donc de plus en plus directement sur les salariés, qui ont vu la CSG s'alourdir, sans compter la vingtaine d'autres taxes ou impôts affectés à la Sécurité sociale.

Et, bien qu'il soit totalement impossible de produire des chiffres exacts, il est évident que si l'État payait ce qu'il doit et faisait face à ses obligations en prenant à sa charge tout ce qui ne relève pas des cotisations des travailleurs, s'il remboursait tous les prélèvements opérés indûment d'année en année, si les patrons n'étaient pas exonérés de leurs charges sociales et remboursaient les caisses de ce qu'ils leur ont volé, eh bien, la Sécurité sociale ne serait certainement pas en déficit, bien au contraire.

Mais de cela, il n'est pas question.

LA FAUSSE SOLUTION DE LA CAPITALISATION

Les recettes de Jospin

Lorsque le gouvernement Jospin a voulu mettre en place une dose de capitalisation dans le système des retraites, sous prétexte d'aider le système de répartition à affronter les difficultés à venir, il a créé un Fonds de réserves pour les retraites qui est censé faire boule de neige grâce à la capitalisation, mais qui ressemble surtout à une boîte de prestidigitation de plus à la disposition du gouvernement. La direction de la Prévision, rattachée au ministère des Finances, qui voyait dans la création du Fonds de réserves une occasion « d'éviter que les excédents sociaux ne soient dilapidés en suppléments de dépenses » a bien vite dû déchanter : les excédents sociaux prévus pour alimenter le Fonds furent dilapidés avant même d'avoir été versés. En effet, au moment où le gouvernement décidait d'affecter les excédents du Fonds de solidarité vieillesse au Fonds de réserves, il mettait à la charge du premier la dette aux caisses de retraites complémentaires, l'Allocation personnalisée à l'autonomie, et une partie du financement des 35 heures. Un rapport du Sénat a évalué le manque à gagner du Fonds de réserves des retraites, à l'horizon 2020, à cause des prélèvements du gouvernement sur le Fonds de solidarité vieillesse, à 540 milliards de francs.

La boule de neige a bien du mal à ne pas fondre et l'argument en faveur d'une dose de capitalisation a surtout fourni le prétexte au gouvernement pour ponctionner un peu plus les caisses de la Sécurité sociale.

À vrai dire, cela illustre à merveille le peu d'efficacité de cette dose de capitalisation pour porter remède au système des retraites. Ce que l'État a bien du mal à faire, mettre de côté de l'argent pour les retraites futures, les salariés ont encore plus de mal à le faire.

Notre argent les intéresse

L'idée qu'en cotisant à des fonds de placements qui investiraient leur épargne en actions ou en obligations, les salariés pourraient se constituer un capital qui leur permettrait de vivre de leurs rentes au moment de leur retraite ou du moins de compléter les maigres pensions que la Sécurité sociale et les caisses complémentaires leur verseront, est un mensonge grossier.

Si les actifs ne peuvent pas payer les pensions des retraités, ce ne sont évidemment pas les marchés financiers qui le feront.

Oh, les banques, les assurances et autres caisses de prévoyance ont des raisons d'être attirées par la perspective de gérer l'épargne à long terme que les salariés pourraient consacrer à leur retraite ! Et pas par philanthropie. Non seulement elles entendent être payées, et largement, pour gérer ces fonds mais ces entreprises financières, comme toutes les entreprises capitalistes, veulent faire des profits en faisant « travailler », comme elles disent, l'argent des salariés.

Cela signifie que les sommes capitalisées à partir de l'argent versé par les travailleurs serviront non seulement à couvrir les frais de gestion que prendrait n'importe quelle administration mais aussi à dégager des profits pour un secteur qui en est fort gourmand. C'est dire que la retraite par capitalisation peut être encore bien plus coûteuse que la retraite par répartition, ce qui n'est pas peu dire, et ceci indépendamment du risque inhérent aux placements financiers.

Si les sommes à la disposition de la retraite par répartition sont insuffisantes, ce n'est pas en les confiant aux institutions financières qu'on les multipliera, contrairement à ce qu'on veut bien nous faire croire. La capitalisation présente un avantage pour la bourgeoisie. Ce sont de grosses sommes qui sont placées pour une très longue durée et qui constituent ainsi autant de capitaux disponibles sur les marchés financiers. Le système par répartition, au ¬contraire, ne permet pas la mobilisation d'une telle épargne puisque les cotisations servent à payer immédiatement les pensions. Pourquoi ne pas tenter d'attirer vers les placements financiers et la Bourse les sommes prélevées sur les salariés pour leur retraite, une partie au moins de ces 1 000 milliards de francs que constitue chaque année le montant des pensions versées ?

Les fonds de pension à la française, ce n'est pas nouveau

De fait, ce troisième niveau de retraite par capitalisation - fonds de pension ou plans d'épargne retraite dont gouvernants, banquiers, assureurs, journalistes nous prêchent la nécessité - est, dans les faits, déjà largement en place, parfois depuis longtemps. Même s'ils ne concernent qu'une minorité de salariés.

Les fonctionnaires et agents de l'État, qui, à la différence des salariés du privé, n'ont pas de régimes de retraites complémentaire, ont été parmi les premiers, en 1967, à se construire leur propre système d'épargne retraite : la Préfon. En 1992, à l'instigation de l'Association des maires de France, a été créé un fonds de pension des élus locaux, Fonpel, qui compte moins de 6 000 adhérents.

Enfin un certain nombre de grandes entreprises ont mis en place, pour leurs salariés, ou pour une partie d'entre eux, des fonds de pension maison, plans d'épargne retraite dans lesquels les versements des salariés et ceux du patron sont investis sur un ou plusieurs fonds de placement.

Mais l'épargne retraite dans l'entreprise peut s'appuyer aussi sur les dispositifs dits d'épargne salariale.

L'origine de l'épargne salariale remonte à la création par de Gaulle, en 1959, de l'intéressement, puis de la participation, en 1967.

En 1980, la loi encouragea la distribution d'actions aux salariés : c'était la naissance de l'actionnariat salarié qui s'est développé depuis, au gré des privatisations.

En 1986 était créé le plan d'épargne entreprise, le PEE. Les versements patronaux peuvent prendre la forme d'une distribution d'actions de l'entreprise, très commode pour éviter de payer cash. Il faut croire que cette possibilité est assez largement utilisée, puisque plus de 40 % des fonds de l'épargne salariale sont constitués par des actions des entreprises qui ont mis en place des plans d'épargne d'entreprise. C'est dire que le supplément de retraite des salariés dépend alors des résultats en Bourse de leur entreprise et, plus généralement, des soubresauts de la Bourse. L'exemple d'Enron, cette grande compagnie américaine dont les actions se sont effondrées en entraînant dans la débâcle le fonds de pension de ses salariés, et l'exemple de ce qui arrive en ce moment à de nombreux fonds de pension américains peuvent rendre les travailleurs méfiants à juste titre. Non seulement on veut utiliser l'argent des travailleurs pour le compte du grand capital, mais on veut obliger les travailleurs à jouer leur retraite au casino de la spéculation boursière. Il ne peut pas être question d'accepter cela !

Le gouvernement Jospin a fait adopter, en avril 2001, une loi sur l'épargne salariale, préparée et présentée par Fabius, créant une nouvelle version du plan d'épargne d'entreprise dans lequel les sommes seraient bloquées sur dix ans au lieu de cinq.

Ces différents systèmes d'épargne retraite, fonds de pension, contrats collectifs d'assurance, épargne salariale, ont en commun d'offrir à leurs bénéficiaires des exonérations de cotisations sociales ou des réductions d'impôt, parfois les deux. Ce qui revient à les faire financer de toute manière par les salariés en tant qu'assurés sociaux et en tant que contribuables.

Et pour ceux qui sont mis en place dans des entreprises, ils offrent la plupart du temps aux patrons la possibilité d'accorder à une partie de leur personnel un supplément de rémunération exonéré en tout ou partie de charges sociales, en outre déductible de leurs bénéfices imposables.

Capitalisation ou répartition : un faux débat

Alors il faut un sacré culot pour présenter ces plans d'épargne d'entreprise comme susceptibles de suppléer aux faiblesses des régimes de retraites par répartition. Car quand, dans l'entreprise, ils se développent grâce à une exonération de charges sociales sur les sommes versées par le patron, c'est au détriment des ressources des régimes obligatoires. Un rapport officiel affirme qu'un euro placé en épargne salariale fait perdre 45 centimes d'euros à la Sécurité sociale et 12 centimes au fisc. Actuellement, on chiffre à 20 milliards de francs les exonérations de charges sociales au profit du patronat dues à l'épargne salariale. C'est un véritable détournement, et c'est une escroquerie. Car cet argent, c'est dans la poche du patron qu'il va, pas dans celle du salarié, ni dans celle du futur retraité !

Tous ceux, de gauche comme de droite, qui veulent nous convaincre de la nécessité d'un troisième niveau de retraite par capitalisation, se défendent de vouloir affaiblir, si peu que ce soit, les systèmes obligatoires existants. Mais ce troisième niveau ne peut se développer qu'à leurs dépens. Les patrons ne sont pas prêts à cotiser plus, à payer plus leurs salariés, sous prétexte de capitalisation. C'est le contraire. Et quand ils développent des plans d'épargne retraite maison, c'est parce qu'ils y trouvent leur intérêt.

Et puis en quoi la capitalisation serait-elle un remède face au problème démographique dont on nous menace ? C'est laisser entendre que la technique de la capitalisation pourrait se révéler plus efficace, là où celle de la répartition serait dépassée. C'est évidemment un mensonge. Car comment se fait-il alors que dans les pays où les systèmes de retraite reposent en grande partie sur les fonds de pension, aux USA, au Japon, en Grande-Bretagne, ceux-ci soient en situation difficile, parfois de quasi faillite, et que les États, c'est-à-dire les ¬contribuables, doivent venir à la rescousse ?

En fait les institutions financières jouent simplement sur la crainte d'une grande partie des travailleurs de voir leur retraite réduite pour tenter de les convaincre que, si chacun individuellement est responsable de sa propre épargne et met de côté une partie de ses revenus pour sa retraite, ce sera une garantie pour l'avenir. L'idée parait peut-être logique mais elle est fausse.

Car ce qu'il faut bien comprendre c'est que, système de répartition ou système de capitalisation, les retraités consomment toujours une partie de ce que les actifs produisent à chaque génération. Ils ne peuvent pas consommer les billets de banque mis de côté, les pièces de monnaie ou les lignes d'écriture dans les banques. Si la production s'effondre, il y aura pénurie pour les actifs comme pour les retraités. Les prix auront flambé à cause de la pénurie, et les sous mis de côté pour la retraite ne vaudront plus rien. Par contre si la production augmente, les actifs, dont les efforts sont la source de cette richesse, pourront subvenir dans de meilleures conditions à leurs besoins et à ceux des retraités... à condition que la bourgeoisie n'accapare pas ce surplus et que la part de la classe ouvrière augmente elle aussi. C'est dire qu'il ne s'agit pas d'une technique ou d'une autre, mais d'une question de rapport de force entre les classes, une notion que tout le monde s'acharne à faire oublier aux travailleurs.

Et, système par répartition ou système par capitalisation, le problème aujourd'hui c'est que la bourgeoisie, dans tous les pays, cherche à économiser encore sur le dos des travailleurs.

Le débat entretenu depuis des années par les tenants de la capitalisation et des fonds de pension ne doit pas nous faire oublier l'essentiel, et les enjeux des réformes que le gouvernement veut imposer.

Car l'introduction d'une certaine dose de capitalisation n'est que l'un des aspects des modifications que le patronat et le gouvernement veulent introduire de toute urgence dans un système de retraites qui, selon eux, court à la faillite.

Le problème démographique n'en est pas un

Mais pourquoi donc le système des retraites court-il à la faillite ? On avance le « problème » de la démographie, de l'évolution de la population, dont les défenseurs du système osent tirer un argument présenté comme mathématique, scientifique et donc irréfutable.

En 2040, il y aura dix millions de retraités en plus pour trois millions d'actifs en moins, nous dit-on. Il y aura alors sept retraités pour dix actifs contre quatre retraités pour dix actifs aujourd'hui.

On veut nous effrayer en affirmant que le poids des retraites dans le PIB, le produit intérieur brut, c'est-à-dire la production de richesses annuelles telle que la bourgeoisie la comptabilise, passerait de 12,5 % aujourd'hui à 16,5 % en 2040.

Et alors ? Quel est le problème ?

D'après les statisticiens, la production a été multipliée par 10 au cours du siècle dernier, alors que le nombre de travailleurs n'a augmenté que de 20 % et que le nombre d'heures travaillées par chacun a presque été divisé par 2. La productivité horaire aurait ainsi été multipliée par 16. Oh, pas uniquement grâce au progrès technique, mais aussi surtout, depuis quelques années, grâce, si on peut dire, à la surexploitation des travailleurs en production, aux cadences plus élevées, aux rythmes de travail plus usants, aux réductions de personnel qui obligent un nombre moindre de travailleurs à faire plus de travail. Mais cette estimation donne un ordre de grandeur de l'augmentation extraordinaire de la quantité de richesses produites par chaque travailleur en une heure. L'exemple de l'agriculture de ce pays est frappant lui aussi car en un siècle le nombre d'agriculteurs a été divisé par 8, tombant de plus de 8,2 millions à 1,1 million. Or, non seulement la population a pu continuer à se nourrir mais les exportations de produits agricoles se sont considérablement développées. Les statisticiens ont calculé que la production d'une heure de travail agricole a été multipliée par 28 en un siècle. On pourrait, avec beaucoup moins d'efforts, faire vivre mieux beaucoup plus d'individus si les richesses produites n'étaient pas accaparées par une minorité de plus en plus parasitaire et dilapidées dans le fonctionnement même du système capitaliste.

Alors il est bien évident que les richesses que les travailleurs du 21e siècle seraient capables de produire pourraient suffire largement non seulement pour faire vivre dignement les retraités, même plus nombreux, mais pour améliorer le sort de l'ensemble de la classe ouvrière.

Mais bien sûr, au cours du demi-siècle qui vient, la production peut régresser, s'effondrer même, dans une nouvelle catastrophe économique. La classe dominante de cette société, la bourgeoisie, devient de plus en plus parasitaire et est capable d'étouffer tout développement, voire de précipiter la société dans le chaos. Mais le nombre de retraités n'y sera pour rien et le rapport entre les retraités et les actifs non plus !

Le problème, c'est le capitalisme

En tant que révolutionnaires, nous participons bien entendu à tous les combats que les travailleurs sont obligés de mener pour essayer de défendre pied à pied leurs conditions d'existence dans le cadre du système capitaliste existant. Pour ce qui est des retraites, nous serons au premier rang de ceux qui s'opposeront aux nouvelles attaques que se préparent à mener le patronat et le gouvernement. Nous le ferons même si, par la force des choses et surtout de par l'orientation des grandes organisations syndicales, l'opposition aux futures mesures gouvernementales passe par la défense du système actuel. Mais nous ne dirons pas pour autant que le système actuel est satisfaisant. Et surtout, il nous faut systématiquement rappeler autour de nous, dans notre propagande, dans nos discussions individuelles, que l'organisation capitaliste de l'économie est incapable d'assurer un « bon système de retraite » pour les anciens. Comme, elle est incapable plus généralement d'assurer un travail pour tous avec un salaire convenable et des conditions d'existence dignes du 21e siècle.

On entend aujourd'hui les porte-parole officiels du patronat, comme ses porte-parole officieux que sont tous les politiciens qui gouvernent ou qui ont gouverné pour le compte de la bourgeoisie, on les entend nous expliquer qu'avec l'allongement de la durée de vie, il serait normal qu'on reste actif plus longtemps et qu'au fond, repousser l'âge de la retraite est une façon de ne pas écarter les anciens de la vie sociale.

Oh, les infâmes hypocrites ! Oh oui, grâce au progrès de la médecine, de l'hygiène de vie et de bien d'autres choses, on vit globalement plus longtemps, du moins dans les pays développés, et le vieillissement est en quelque sorte retardé. C'est vrai sans doute globalement. Mais comment oser proposer de faire travailler plus longtemps ceux qui ont passé toute leur vie à la production, à qui on a imposé des cadences sans cesse croissantes, le travail en équipe, les horaires insupportables, la chasse aux temps morts, la monotonie dans la pénibilité d'un travail répétitif, à ceux qui ont été usés sur les chaînes des grandes entreprises ? L'âge moyen de mortalité est progressivement repoussé. Mais, derrière cette moyenne, quelle différence entre l'espérance de vie d'un riche oisif et celle d'un travailleur à la chaîne ? Qu'un Seillière choisisse de ne pas prendre sa retraite à 60 ans car il ne se sent pas usé par son travail, cela se comprend. Mais combien d'ouvriers de la sidérurgie, qui ont enrichi en leur temps sa famille, les de Wendel, ont pu jouir longtemps de la retraite ? Et combien de mineurs ? Et combien tout simplement parmi les OS de l'automobile ?

Société communiste : la fin de l'esclavage salarial, c'est aussi la fin de l'exclusion des anciens

Et puis, cette façon qu'ont les commentateurs dévoués au patronat de faire mine de s'émouvoir de la coupure que représente le départ à la retraite pour nombre de travailleurs, c'est encore d'une hypocrisie sans nom. Car c'est précisément le capitalisme qui a introduit dans la société cette coupure absolue entre les actifs et les autres, c'est-à-dire entre ceux qui sont bons à être exploités et ceux qui ne le sont pas encore ou qui ne le sont plus, sans même parler de tous ceux qui seraient en âge de travailler mais que le fonctionnement aberrant du système capitaliste condamne au chômage.

Les sociétés plus primitives ne connaissaient pas ce type de coupure. Nous avons la conviction qu'à un tout autre niveau, une société débarrassée de l'exploitation, une société communiste ne la connaîtra pas non plus. Car enfin pour n'importe qui de normalement constitué, ayant un minimum de bon sens ou, plutôt, une parcelle d'humanité, le fait que les hommes vivent plus longtemps est un bienfait pour tous, et non une charge !

La société future, qui n'aurait plus à payer l'immense tribut qu'elle paie aujourd'hui à l'organisation capitaliste, n'aura même pas à se poser le problème de la retraite. D'abord pour cette bonne et simple raison qu'elle considérera que tout être humain, quel que soit son âge et, bien sûr, quel que soit l'endroit de la planète où il vit, a tout naturellement droit à la plénitude de ce que la société peut offrir. « À chacun selon ses besoins, de chacun selon ses capacités », ce slogan qui résumait dans le temps les objectifs de la transformation sociale sera pleinement réalisé. Ce qui signifie qu'on ne dira à personne : puisque tu ne peux plus travailler au même rythme qu'avant, tu devras te contenter de moins. Non, chacun aura selon ses besoins. Et chacun sera associé à l'activité sociale selon ses possibilités, qui changent bien sûr avec l'âge mais aussi avec les goûts et les inclinations personnels.

Même dans la société d'aujourd'hui, être retraité ne signifie pas qu'on a envie d'être inactif. Les seuls véritables inactifs dans cette société sont ces riches parasites, ces actionnaires qui n'ont qu'à se donner la peine d'encaisser les dividendes de leurs capitaux, c'est-à-dire à parasiter le travail des autres, et qui ne sont pas plus actifs à l'âge où il faudrait qu'ils le soient que lorsqu'ils sont âgés.

Dans la société actuelle, une part importante du bénévolat repose sur le fait qu'il y a des retraités qui ne se sentent pas trop vieux pour être utiles. Et dont l'activité bénévole compense bien souvent les insuffisances de l'organisation sociale.

Alors, faisons donc quelques minutes de politique-fiction, une petite incursion dans cette société future !

Dans une société débarrassée de l'exploitation, les efforts des hommes seraient d'abord centrés sur le bien-être de l'espèce humaine, sur le développement le plus harmonieux possible de chaque enfant, sur l'épanouissement de chacun à l'âge adulte et le maximum de bien-être et de facilités offerts aux plus âgés. Tout au long de la vie, il y aura place pour des activités sociales dont la production de biens matériels n'est qu'un aspect. Un aspect auquel les individus consacreront bien sûr une partie de leur existence, mais une partie certainement bien plus réduite qu'aujourd'hui - si un terme est mis aux incroyables gaspillages engendrés par la société capitaliste - et certainement mieux répartie tout au long de la vie. N'est-il pas fou de diviser la vie des individus en une période de formation de plus en plus longue où les étudiants sont coupés de toute activité productive, pour ensuite abandonner complètement toute formation et trimer un nombre d'heures incroyable, jusqu'à l'épuisement (ou la mort parfois pour les métiers les plus difficiles), et ensuite être rejeté de la production, considéré comme un inutile alors qu'on est encore dans la force de l'âge ? Et ne parlons même pas du chômage qui transforme la vie des individus en un affreux gâchis.

Dans une société plus humaine, la coupure de la retraite n'existerait pas car le travail serait intégré à une vie beaucoup plus harmonieuse. Chacun, à toutes les étapes de la vie, participerait à de nombreuses activités sociales, le travail étant l'une d'entre elles, selon ses possibilités : les enfants de façon utile à leur développement physique et intellectuel, les adultes en fonction de leurs goûts et de leur capacités, les anciens en fonction de leurs possibilités et elles sont nombreuses car ils restent jeunes de plus en plus longtemps et peuvent participer à la vie sociale en y apportant leur expérience.

Et chacun trouverait sa place dans la société, de la naissance à la mort. Indépendamment de ce qu'il donnerait à la société, ses conditions de vie ne seraient jamais menacées par la société. Il s'y sentirait libre et pourrait donner le meilleur de lui-même.

Comparer les possibilités de l'humanité avec l'avenir que le capitalisme nous offre ne peut que renforcer la conviction qu'il faudra renverser cette société. Et c'est d'abord en résistant pied à pied aux exigences de la bourgeoisie que la classe ouvrière peut s'y préparer.

Le capitalisme, une société inhumaine

Il est frappant de constater finalement l'incapacité de la bourgeoisie à régler correctement le sort des retraités. Dans ce pays où le système de retraites est tant vanté, à peine le sort des retraités s'est-il amélioré au cours des années 1970 et au début des années 1980, qu'il s'est stabilisé ensuite pendant une dizaine d'années et a commencé à décliner depuis le milieu des années 1990. Ceux qui sont partis à la retraite avec des carrières complètes, qui ont pu bénéficier des retraites complémentaires et ont eu de bonnes augmentations de salaires avant de partir, ont finalement eu une retraite décente tant qu'elle n'a pas été trop amputée par les prélèvements. Et même à ce moment-là, il y a une dizaine d'années, il y avait encore près d'un million de personnes qui n'avaient que le minimum vieillesse pour vivre, dont une grande majorité de femmes.

Et la situation des vieux travailleurs peut s'aggraver très rapidement car non seulement les pensions vont décrocher de plus en plus par rapport aux salaires mais le chômage pèse fortement pour dégrader les retraites. Comment satisfaire à l'allongement de la durée de cotisation quand le chômage empêche les jeunes de trouver du travail à la fin de leurs études, ponctue les carrières des adultes de trous qui ne sont pas toujours validés. Quant aux travailleurs qui sont rejetés de la production bien avant 60 ans, si la plupart bénéficient jusqu'à présent d'une validation de leurs années de chômage ou de pré-retraite, il n'est pas sûr que cela ne sera pas aussi remis en cause. D'ailleurs l'État ne se donne pas la peine de valider les droits à la retraite de ceux qui sont au RMI. Et puis comment avoir 25 bonnes années de salaire pour calculer une retraite correcte quand on passe sa vie à galérer ?

Repousser l'âge de la retraite est surtout une façon d'abaisser le montant des pensions de tous ceux qui n'auront pas eu leurs 40 annuités.

Le gouvernement ne supprimera probablement pas les retraites par répartition mais il va s'employer à les diminuer et les diminuer progressivement, petit à petit, d'année en année. Les salariés les moins mal payés n'auront d'autre choix que de se saigner aux quatre veines pour se payer une assurance volontaire par capitalisation.

L'existence du système de répartition n'est pas une protection en elle-même. On l'a bien vu depuis un demi siècle. Mais accepter des « réformes » dans le contexte actuel, c'est accepter de nouveaux reculs.

Une question de rapport de force

La première des mesures proposées par le gouvernement, c'est d'aligner les salariés du public sur ceux du privé. Et des patrons aux ministres, en passant par les économistes serviles et la plupart des médias, ils y vont tous de leur campagne d'intoxication pour faire passer l'allongement de l'âge de la retraite pour les salariés de l'État comme une mesure de justice à l'égard de ceux du privé. Une pression considérable est faite sur les salariés du secteur privé pour obtenir leur complicité. Mais le fait que les salariés du public aient jusqu'ici réussi à repousser les attaques dont ils ont été l'objet constitue une protection y compris pour les salariés du secteur privé. Le gouvernement ne peut pas lancer une nouvelle attaque contre les salariés du privé pour allonger encore la durée de leurs cotisations comme le réclame le Medef, tant qu'il n'a pas réussi à obliger les travailleurs du public à cotiser eux aussi 40 ans.

Alors, il faut aider les salariés du secteur public à résister comme ils l'ont fait en 1995.

C'est leur résistance qui, en 1995, a obligé Juppé à reculer et qui a obligé tous les gouvernements à marquer une pause dans les attaques ouvertes contre les travailleurs. Mais il faudra aller plus loin et lutter ensemble pour obliger le gouvernement à revenir en arrière, c'est-à-dire aux 37 ans et demi de cotisation pour tous, donnant droit à une retraite complète avec une pension correcte !

Les sacrifices qu'on imposerait au secteur public ne viendraient aucunement alléger ceux qu'on veut imposer aux salariés du privé. Car encore une fois le problème de la bourgeoisie n'est pas de trouver le juste équilibre entre les retraités et les actifs, il est de pressurer retraités et actifs au maximum, tant qu'elle ne se heurte pas à une révolte générale. Le patronat et le gouvernement envisagent déjà ouvertement un nouvel allongement de la durée de cotisations à 42 ans ou 43 ans pour l'ensemble des salariés, et ensuite plus encore.

Oui, cette nouvelle offensive contre les retraites peut faire baisser considérablement le niveau de vie des travailleurs. Fonds de pension ou pas !

Ce qui est en jeu, c'est bien que la part de la classe ouvrière soit à nouveau réduite pour le plus grand profit des patrons. Plus les coûts salariaux diminuent, plus les profits augmentent ! Si problème il y a pour verser des retraites correctes, c'est que les patrons ne veulent pas payer des salaires qui le permettraient. Il est bien évident que si les salariés travaillaient normalement, étaient bien payés, ce serait beaucoup plus facile de verser de bonnes pensions de retraites - quelle que soit d'ailleurs la technique choisie - que si les salariés sont mal payés, connaissent des périodes de chômage et des petits boulots à temps partiel et salaires partiels.

On essaye de nous diviser entre public et privé, entre retraités et actifs, mais si les retraites du privé diminuent, ce n'est pas parce que le secteur public est mieux loti, c'est parce que les patrons ne veulent pas payer.

Alors la meilleure façon de garantir les retraites, c'est non seulement de refuser toutes les prétendues réformes qui ne sont que du vol supplémentaire, mais c'est aussi d'exiger des salaires et un travail correct pour tous. Pas une concession de plus, pas un sou de plus pour les voleurs !

La classe ouvrière a la force de les faire reculer

Le NON des salariés d'EDF-GDF lors du référendum récent concernant les attaques contre les retraites a réjoui les travailleurs de bien d'autres entreprises. C'était déjà un acte de résistance.

Alors, bien sûr, il faudra plus qu'un simple NON. Il faudra agir. Il faudra être déterminé. Et c'est là où le problème des retraites est comme le reste, comme celui du montant des salaires ou celui des licenciements collectifs, un problème de rapport de force entre le grand patronat et ses laquais au gouvernement, d'un côté, et la classe ouvrière, de l'autre. Mais ce rapport de force peut être changé et il doit être changé.

Le grand patronat et ses serviteurs gouvernementaux mènent leur offensive contre les travailleurs sur bien d'autres terrains que les retraites. Mais qui sait ? Il se peut que l'attaque contre les retraites, en révoltant les travailleurs plus que d'autres attaques tout aussi révoltantes, puisse être l'amorce d'une mobilisation générale du monde du travail. C'est ce qu'on peut souhaiter et, en tout cas, il faut en faire un objectif.

Et c'est précisément pour cela que les travailleurs, en se mobilisant sur cette question, ont une chance sérieuse d'arrêter l'offensive du patronat. Car patronat comme gouvernement savent que tout se tient. Et si les travailleurs commencent à se mobiliser et retrouvent confiance en eux-mêmes et en leur force, ils n'en resteront pas au problème des retraites. Ils aborderont le reste, les licenciements collectifs, la précarité aussi bien que le montant des salaires.

Rappelez-vous, il y a deux ans, le 25 janvier 2001, contre le projet de repousser à 65 ans la possibilité de toucher sa retraite complémentaire, il y eut en pleine semaine une manifestation d'une ampleur telle que le patronat a préféré reculer. Non pas à cause de la manifestation en elle-même, mais à cause du changement dans l'état d'esprit des travailleurs. Tout à coup, se voyant si nombreux, ils commençaient à se sentir plus forts qu'ils ne croyaient. Et la bourgeoisie a préféré ne pas les défier, car elle aurait pris le risque qu'ils prennent pleinement conscience de leur force.

Qui aurait pensé qu'après les attaques de Balladur contre les retraites, il y aurait une telle grève en 1995 et que Juppé serait obligé de remballer ses projets ? Et qui aurait imaginé en 1953 une grève générale des fonctionnaires déclenchée, en plein mois d'août, par quelques militants, contre l'avis des confédérations ?

Patronat et gouvernements ne sont forts que du manque de confiance des travailleurs en eux-mêmes.

Mais pour peu que les travailleurs s'opposent à tous les mensonges et les pièges où on veut les enfermer, pour peu que le refus de quelques-uns devienne contagieux, alors c'est le patronat et le gouvernement qui peuvent prendre peur.

Lors de la manifestation de demain, nous n'en serons qu'à une étape du bras de fer que le gouvernement a engagé contre les travailleurs. Il faut que cette étape soit réussie. Et il faut qu'elle soit suivie d'autres étapes et que les manifestations soient de plus en plus nombreuses, redonnant de plus en plus confiance en la lutte.

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