On s’est cassé le nez sur la porte du « P’tit Tranquil », à Cléon (fermé le mercredi), alors ça sera « La Terrasse » à Tourville-la-Rivière, « là où on déjeune avec les gars quand il fait beau ». Une fois la pose prise devant les portillons d’entrée de Renault, Pascal Le Manach a trouvé le bar-tabac pour répondre à son tour à notre « Grand jeu des Régionales », la façon que nous avons choisie pour éclairer un scrutin historique dans notre région, qui pourtant ne semble pas passionner les foules.
Autant le dire : cet angle ludique et personnalisé pour évoquer la politique est loin d’être la tasse de thé du représentant de Lutte ouvrière, attablé devant nous avec un petit noir. « Pour nous, le problème numéro 1 c’est le chômage. Ici mais aussi ailleurs. Moi, si je suis resté en Normandie, c’est pour le boulot ! », plante d’emblée l’ouvrier électricien à l’usine de Cléon depuis 1997, délégué CGT depuis 1999. L’ancien conseiller municipal d’Oissel (2008-2014) n’en a pas moins accepté avec un franc sourire de jouer le jeu. Avec quasiment un seul prisme : le travail, qu’il décline à l’envi au gré de ses réponses. Un seul épouvantail : les patrons. Avec toujours le même « projet fou » en tête. Non négociable : « Changer la société et que ce soit la majorité de la population qui décide de tout. Je reste persuadé que cela est possible et même que c’est l’avenir », martèle l’héritier de plusieurs générations de Renault.
« CELA NE VIENDRA PAS D’EN HAUT »
À l’image de Pascal Manach, cégétiste, mais pas membre du parti communiste, parce qu’il considère que « le vrai changement ne passe pas par des alliances électorales », Lutte ouvrière est présente à toutes les élections (1,5 % aux Européennes de 2014 dans la région sur une liste où le Normand était en troisième position). Sans autre ambition que de faire entendre cette voix de rupture, la seule d’extrême gauche dans ce scrutin régional. « Cela ne viendra pas d’en haut, cela ne viendra pas des urnes. Ce sont les mouvements sociaux qui peuvent changer les choses », enfonce posément le porte-parole du parti trotskiste.
En attendant le grand soir, l’ouvrier osselien travaille dans l’usine de la banlieue rouennaise au milieu de 3 200 « embauchés » et 1 200 intérimaires, au rythme 5 h 30 - 13 h 30 ou 13 h 30 - 21 h 30, en alternance. Il fait vivre sa campagne à coups de congés payés. Et d’économies, comme cette décision de ne pas envoyer de bulletins aux domiciles des électeurs, comme c’est l’usage. Le seuil de 5 % des suffrages pour obtenir le remboursement des frais de campagne est loin... Mais pour Pascal Le Manach, le jeu en vaut toujours la chandelle. Entretenir, vaille que vaille, la flamme de l’utopie... « Moi, ce qui me tient, c’est la lecture, c’est de constater que les hommes ont vécu d’autres formes de société et qu’aujourd’hui si on le voulait, on pourrait techniquement tous vivre convenablement dans le monde. Ce n’est qu’une question de choix politiques. »