Nathalie Arthaud : « Les sauvages, on les retrouve d’abord dans les conseils d’administrations des grandes entreprises comme Bridgestone »23/09/20202020Presse/medias/articlepresse/images/2020/09/NA_sous_banderole.jpg.420x236_q85_box-6%2C0%2C918%2C513_crop_detail.jpg

Article de presse

Nathalie Arthaud : « Les sauvages, on les retrouve d’abord dans les conseils d’administrations des grandes entreprises comme Bridgestone »

Illustration - Nathalie Arthaud : « Les sauvages, on les retrouve d’abord dans les conseils d’administrations des grandes entreprises comme Bridgestone »

La fête annuelle de Lutte Ouvrière se tenait ce samedi 19 septembre à Saint-Priest. Le Lyon Bondy Blog a interrogé Nathalie Arthaud (porte-parole et ex-candidate du parti à la présidentielle) sur l’actualité.

La manifestation de jeudi a réuni près de 3000 personnes à Lyon et 10 000 à Paris, est-ce satisfaisant pour une rentrée sociale ?

C’est toujours important d’affirmer ces perspectives, de dire qu’on a un combat à mener. D’affirmer nos convictions. Notre moral ne dépend pas du nombre de manifestants ou de grévistes. Il dépend de nos convictions, on peut changer la société, on peut se défendre, on peut faire payer le grand patronat.

Quelle place pour LO dans cette rentrée sociale ?

C’est une place particulière, parce qu’on défend des perspectives révolutionnaires. On pense qu’on peut aspirer à une société débarrassée des actionnaires, de la dictature des capitalistes. Les entreprises on peut les faire tourner sans cette minorité de parasites. Sans forcément rechercher un taux de rentabilité ou des profits faramineux, on peut les faire tourner si elles répondent aux besoins de la société. Notre place particulière, c’est d’apporter cette nécessité, celle d’abattre le capitalisme.

Les salariés de General Electric à Villeurbanne et à Saint-Priest se sont mobilisés jeudi après avoir appris que 753 postes étaient menacés en France. On a aussi appris mercredi la fermeture de l'usine de pneus Bridgestone à Béthune, c’est presque 900 emplois qui sont menacés. Comment analysez-vous les vagues de licenciements et de « plans de restructurations » dans ces entreprises ?

Ce ne sont pas des nouveautés, la crise du capitalisme on y est. On y est depuis des années, depuis même des décennies. C’est un système qui est moribond le capitalisme, aujourd’hui les marchés ne se développent plus, c’est la saturation. Ce que le grand patronat ne trouve plus dans le développement des marchés, ils vont aller le chercher sur le dos des travailleurs en aggravant l’exploitation, en supprimant des emplois, en demandant à ceux qui restent de travailler plus. C’est une offensive d’un capitalisme décadent qui a atteint ses limites.

Les syndicats doivent-ils négocier ?

Négocier quoi ?! Qu’il y ait moins de salariés licenciés ? Qu’ils veuillent bien accepter encore des millions pour réduire leur plan de suppression d’emplois ? On sait ce qu’ils en font de cet argent-là, ils l’encaissent et ils finissent par faire ce qu’ils veulent. Il est inacceptable aujourd’hui quand on appartient au monde du travail de perdre son gagne-pain. Dans cette société capitaliste c’est le seul moyen de vivre pour ceux qui n’ont pas de capitaux, pour ceux qui n’ont pas de rente. On parle d’une société de droit, une société où ce serait la liberté, l’égalité, la fraternité… mais le premier des droits c’est de pouvoir gagner sa vie. Depuis le confinement on a perdu plus 700 000 emplois sans même que le grand patronat ait besoin de mettre en place des plans de sauvegarde de l’emploi.

Donc vous pensez que ces plans de restructurations ne sont pas uniquement la conséquence de la crise sanitaire mais qu’il y a des « effets d’aubaine », comme le dénoncent par exemple Philippe Martinez et Yves Veyrier ?

Bien sûr qu’il y a des effets d’aubaine. Les marchés se rétractent, dans le domaine productif il y a de moins en moins de profits donc évidement on est face à un capitalisme qui se durcit. La lutte de classe ne peut être que plus exacerbée dans cette situation de crise. Quand j’entends Philippe Martinez expliquer qu’il faut faire un pacte avec le patronat pour qu’il supprime moins d’emplois, ça me fait doucement sourire. Un pacte avec ce grand patronat qui ne jure que par ses profits, qui ne respecte rien, qui transforme des régions entières en désert industriel. Même lorsqu’ils signent de vagues engagements, de toute façon, ils font ce qu’ils veulent.

A gauche, beaucoup regrettent l’absence de contreparties patronales au plan de relance, avec en tête le spectre du CICE qui, on peut le rappeler, a créé 100 000 emplois depuis sa création pour un coût de 90 milliards d’euros (France Stratégie). Quelle est votre opinion sur le sujet ?

Il y a un aspect révoltant et choquant de voir que cet argent est donné inconditionnellement parce que quand un salarié ou qu’un allocataire de l’APL ou du RSA a besoin de recevoir une allocation, lui, on lui demande des contreparties, des justifications. Ceux qui pensent pouvoir les contraindre, s’ils ne sont pas prêts à les renverser, ils n’auront que leurs yeux pour pleurer.

La création d’un Haut-Commissariat au Plan vous satisfait-elle ?

Ça me fait vraiment rire ! Je pense que Bayrou ne sauvera pas plus l’industrie que Royal n’a sauvé les ours blancs de l’Arctique. C’est un peu le même genre de mission. Bien sûr, il faudrait organiser cette économie, il faudrait qu’elle soit rationnelle. Mais actuellement les décisionnaires, ce sont les grands actionnaires.

Pendant le confinement, les Français ont applaudi les travailleurs occupant des emplois prétendument « peu qualifiés » comme le personnel hospitalier ou encore les caissiers, les éboueurs… Que devrait-on faire pour protéger ces travailleurs et pour valoriser davantage leurs savoir-faire ?

Même Macron a expliqué qu’il fallait qu’ils soient payés à leur juste valeur. Et puis lui qui a le pouvoir de revaloriser ces salaires, est-ce qu’il a choisi de le faire ? Non ! Je suis frappée par ce plan de relance de 100 milliards, c’est l’équivalent de 2,7 millions d’emplois payés à 1800 euros pendant un an. L’Etat a l’argent pour créer des emplois dans les hôpitaux, dans les EHPAD, dans les transports… les moyens pour changer les conditions de travail, pour les revaloriser. Il choisit de ne pas le faire parce que c’est un Etat qui est au service de la bourgeoisie. Ces travailleurs, ces ouvriers, ils sont à la base de tout donc bien sûr il faut augmenter les salaires, il faut baisser le temps de travail pour mieux le répartir. C’est à l’opposé de la politique actuelle.

Les soignants de 40 départements (en grande partie dans l’Est de la France ou aux alentours du grand Paris) ont reçu une prime Covid de 1500 euros tandis que ceux des autres départements n’ont obtenu que 500 euros, est-ce justifié ?

Ce n’est pas justifié, ça fait partie des petits signes qui montrent tout leur mépris, ça permet de diviser. Ces primes sont les bienvenues mais pas à la hauteur de ce qui est digne d’une société du 21ème siècle.

Les sans-abris ont connu un confinement encore plus difficile que le reste du temps. Que proposez-vous pour les sans-abris en France ?

Les sans-abris c’est le haut de l’iceberg, il y a aussi tous les mal-logés, ceux qui vivent dans des logements insalubres, trop petits. Il faut tout changer. C’est très simple, il faut construire des logements. Depuis l'appel de l'abbé Pierre,  qui date de 1954, on pleurniche sur cette question-là ! Quand va-t-il y avoir un grand plan de construction? Il y a un tas de chose à faire mais aujourd’hui, la bourgeoisie, c’est devenu un boulet. Un boulet qui ramasse l’argent et qui n’investit pas. Parce qu’investir dans les logements, ce n’est pas assez rentable.

L’ancienne patineuse artistique Sarah Abitbol victime de violences sexuelles durant son adolescence réclame « la non-prescription pour les crimes sexuels » comme cela existe en Suisse, au Pays de Galle et en Californie, êtes-vous en faveur de cette proposition ?

Oui, je suis plutôt en faveur de la non-prescription. Ça fait partie des oppressions, des rapports de domination qui vont de pair avec cette société. La violence vis-à-vis des femmes c’est dans tous les milieux. Plus on a du pouvoir, plus on est en situation de l’imposer.

Qu’avez-vous à répondre au nouveau Ministre de l’intérieur lorsqu’il parle d’ « ensauvagement » de la société ?

Le capitalisme est une société sauvage. Que cette société sauvage fasse des sauvages et bien oui. Mais les sauvages on les retrouve d’abord dans les conseils d’administrations des grandes entreprises comme Bridgestone qui se fichent de priver d’avenir des familles entières. Eux, ils se comportent comme des sauvages.

En même temps que l’ouverture de la fête de LO se tenait à Lyon une journée contre le déploiement de la 5G. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Cela serait normal dans une société vraiment démocratique que toutes ces questions-là soient débattues. Que tous ces plans qui engagent l’avenir ne soient pas décidés dans des conseils d’administrations. Est-ce qu’on nous demande comment on fabrique les voitures, si on veut plus de transport en commun ? Est-ce qu’on nous donne le choix de définir ces grandes priorités qui constituent notre vie entière. Je comprends ceux qui ne trouvent pas ça normal.

Que représente pour vous Gisèle Halimi, décédée ce 28 juillet ? Quels sont les enseignements qu’on peut retirer de ses combats ?

Une grande dame qui avait un courage inouï, une aspiration à la justice. Que ce soit son combat pour les droits des femmes et l’émancipation des femmes mais aussi pour celui en faveur de l’indépendance de l’Algérie, pour la libération des peuples colonisés. Je crois qu’il lui a fallu encore plus de courage pour mener ce combat. Défendre des militants du FLN dans cette période-là lui a coûté des menaces, l’opprobre… et elle l’a fait avec des convictions tellement profondes, une telle évidence. Je trouve ça formidable et très inspirant.

 

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