Le bal des hypocrites

Editorial des bulletins d'entreprise
28/02/2011

La révolte du peuple tunisien qui, après s'être débarrassé du dictateur Ben Ali, vient de faire partir son ex-Premier ministre, a donc fait une victime collatérale. Michèle Alliot-Marie, ministre des Affaires étrangères, est mise à la porte par son patron Sarkozy qui en a profité pour effectuer un mini-remaniement ministériel.

Alliot-Marie n'est pas à plaindre, elle ne se retrouve pas sur la paille. Pour Sarkozy qui, dans son discours de dimanche soir, s'est présenté en grand ami des peuples arabes dont « les révolutions ouvrent une ère nouvelle », Alliot-Marie était le rappel permanent que le gouvernement français n'a lâché Ben Ali qu'une fois ce dernier tombé.

Deux jours avant que le dictateur soit contraint de fuir le pays, Alliot-Marie avait proposé à Ben Ali « la compétence universellement reconnue » de la police française dans les tâches de répression. Jusque dans sa lettre de démission elle affirme « n'avoir commis aucun manquement ». Être virée pour ce qu'ont dit et fait tous ses prédécesseurs de tous les gouvernements, l'ex-ministre a de quoi avoir du mal à l'avaler !

Pendant les vingt-trois ans durant lesquels Ben Ali a opprimé son peuple, pas un ministre, pas un gouvernement, n'a dénoncé la dictature, les arrestations arbitraires, les tortures et évidemment encore moins le fait que le dictateur et sa famille s'enrichissaient sur le dos de la population pendant que la majorité exploitée de celle-ci subissait le chômage et les bas salaires.

Et comment donc ! Ben Ali maintenait l'ordre qui permettait à nombre d'entreprises, notamment françaises, de profiter des bas salaires pour réaliser des surprofits et à nombre de dignitaires de l'État français d'y passer des vacances agréables, accueillis par les sommités du pays.

Alors, pendant vingt-trois ans, Ben Ali a été « notre ami », accueilli en grandes pompes à l'Élysée, soutenu par la diplomatie et bon client pour l'industrie d'armement.

Vu les révélations successives sur les vacances de la ministre en Tunisie, sur les petites affaires de ses parents avec un millionnaire tunisien proche de Ben Ali et les quelques menus services que ce millionnaire lui a rendus en prêtant son jet privé, le soupçon est venu assez naturellement que ce soutien au dictateur était très intéressé. Le pire est que ce n'est même pas sûr !

Son monde à elle, le monde qu'elle défend, comme tous ses collègues, c'est le monde des riches, des puissants. Pourquoi s'offusquer de ce qu'un millionnaire tunisien mette son jet privé à sa disposition ? Bolloré en a bien fait autant avec son yacht gracieusement prêté à Sarkozy !

Quant au mépris qu'Alliot-Marie a témoigné aux pauvres de Tunisie, déjà en révolte lorsqu'elle se faisait promener en jet par son millionnaire d'ami, elle l'éprouve tout autant pour les exploités d'ici.

Alors, le discours théâtral de Sarkozy, posant devant les caméras au « capitaine courageux » face à « l'immense bouleversement » sur la rive sud de la Méditerranée, sonnait creux.

La politique extérieure de la France a un axe bien simple : être utile aux bonnes affaires des capitalistes français.

Les peuples de Tunisie, d'Égypte ou de Libye n'ont certes pas trouvé un nouvel ami en la personne de Sarkozy, pour cette première raison qu'en matière de politique extérieure et de diplomatie, il n'y a pas d'ami, il n'y a que des intérêts. Et, malgré les déclamations des dirigeants du Parti socialiste, il n'y a aucune différence entre les politiques extérieures de la gauche et de la droite.

Dans son discours consacré à la politique extérieure, Sarkozy a trouvé le moyen de glisser une petite saleté à usage intérieur lorsqu'en évoquant les catastrophes qui menacent le monde, il a parlé du terrorisme et des flux migratoires, en liant l'un aux autres. Il n'est pas sûr cependant qu'il récupère comme cela les électeurs de droite que Marine Le Pen se prépare à lui chiper.

Alliot-Marie mise à la porte, voilà que Juppé prend sa place. Il est désormais le nouvel homme fort du gouvernement, exulte la presse. Faut-il rappeler que c'est le même Juppé qui, en 1995, alors qu'il déclarait qu'il était « droit dans ses bottes », s'était heurté à la grève des cheminots qui l'avaient obligé à ravaler sa réforme de leurs retraites et l'avaient contraint à la démission ?

Comme quoi les travailleurs ont bien d'autres moyens, et infiniment plus puissants, de peser sur la politique que d'attendre sagement l'occasion de glisser un bulletin de vote dans l'urne !

Arlette LAGUILLER