Du Front unique aux différentes moutures de l'Union de la Gauche, les relations du PCF et des socialistes

Au sommaire de cet exposé

Sommaire

Les élections législatives n'auront lieu que dans deux ans, en 1998, et cependant les manoeuvres pour préparer ententes et alliances sont déjà largement entamées. Le Parti Socialiste qui a dû quitter le pouvoir en 1993, honteusement déconsidéré, croit de nouveau en ses chances car la droite n'ayant pas mis longtemps à se déconsidérer à son tour, les candidats du Parti Socialiste ont remporté diverses élections partielles. De nouveau, se remet donc en marche la machine à fabriquer des illusions. Ce n'est plus : « la gauche au pouvoir pourra changer la vie », mais c'est, sous la forme plus résignée... : « avec la gauche, ce sera peut-être moins pire... ».

Le Parti Socialiste sait cependant qu'il n'a que peu de chances, même d'ici deux ans, d'obtenir la majorité absolue des sièges comme en 1981 et qu'il lui faut donc rechercher, voire renouer des alliances électorales. Ses dirigeants font, pour cela, des yeux doux aux écologistes et esquissent des sourires crispés au Parti Communiste.

Le Parti Communiste, de son côté, reste méfiant car il ne voudrait pas se voir laminé par son allié comme ce fut le cas depuis quinze ans, mais il réagit volontiers à tout ce qui peut paraître comme un appel du pied. A vrai dire, il a même anticipé. Cela fait plusieurs semaines que le Parti Communiste organise des forums où, sous couvert de débattre démocratiquement de l'avenir, il essaie de fédérer autour de lui-même la gauche non socialiste, de façon à discuter avec le Parti Socialiste dans un meilleur rapport de forces.

Ces forums avaient au début une tonalité plutôt critique à l'égard de feue l'Union de la Gauche en général et du Parti Socialiste en particulier.

Ils sont maintenant de plus en plus unitaires, même si chacun montre ses propres préoccupations de parti et d'appareil. Tandis que le PS se considère tout naturellement comme l'axe d'une nouvelle entente à gauche, le Parti Communiste se prépare à l'accepter, mais voudrait enfin arrêter l'érosion de son électorat.

L'une des récentes déclarations de Robert Hue au colloque du PS sur l'Europe est significative de son état d'esprit conciliant sur l'Europe : « Je suis quelqu'un de concret - dit-il - je vois des propositions à faire dont certaines que je retrouve dans le texte socialiste » (...) et ajoute à propos de la monnaie unique : « C'est un sujet de divergence majeure. Mais je suis très respectueux de ceux qui se battent pour. J'ai entendu Jacques Delors et je crois en sa sincérité ».

Mais dans toutes ces manoeuvres, où sont les intérêts de la classe ouvrière et en quoi est-elle seulement concernée ?

L'intention de la réunion de ce soir est de tenter d'apporter des éléments de réponse à cette question en évoquant le passé et ses expériences.

Depuis que la scission du vieux parti socialiste, la SFIO, au congrès de Tours en décembre 1920, a donné naissance à deux partis distincts, appartenant chacun à une internationale différente, le problème de leur unité revient périodiquement.

Dans quels termes et, surtout, autour de quelle politique et avec quels objectifs ? Voilà les questions auxquelles nous nous efforcerons de répondre en évoquant quatre épisodes très différents dans les relations entre ces deux partis : la politique communiste à l'égard du Parti Socialiste dans les années qui suivirent leur scission, c'est-à-dire au début des années 1920 ; la politique du Front populaire en 1936 ; l'alignement politique du Parti Communiste aussi bien que du Parti Socialiste derrière la dite « Union nationale » de de Gaulle pendant et au lendemain de la guerre et, enfin et surtout, la dernière en date de ces expériences, l'Union de la Gauche et la participation des ministres communistes à un gouvernement socialiste de 1981 à 1984.

Il y eut avant ce dernier épisode, les soutiens que le Parti Communiste apporta en 1956 au gouvernement de Guy Mollet, mais nous n'en parlerons pas en détail car, à cette époque, il était tenu à l'écart de toute « alliance » par la SFIO et toute la gauche social-démocrate.

1922-1924 Après la scission de Tours, la politique de Front unique de l'Internationale communiste

La montée révolutionnaire de l'après-guerre et la scission du mouvement socialiste

A la fin de la Première guerre mondiale, la révolution russe avait soulevé un immense espoir parmi les militants ouvriers des pays d'Europe et les peuples des pays opprimés par l'impérialisme.

Une puissante vague révolutionnaire parcourut la classe ouvrière européenne. En Europe centrale, les anciens empires s'étaient effondrés, la guerre avait bousculé les anciennes frontières, des millions de prolétaires de retour du front avaient conservé leurs armes. Des insurrections ouvrières se produisirent, en Hongrie, en Bavière, où le prolétariat réussit pour quelque temps à s'emparer du pouvoir.

Par contre ce furent des gouvernements socialistes (on disait alors ¬sociaux-démocrates) qui, en Allemagne, en Autriche, en Tchécoslovaquie, sauvèrent la bourgeoisie, écrasant dans le sang les tentatives de révolution.

Mais ces premières défaites n'empêchèrent pas qu'un peu partout en Europe des grèves eurent lieu. En Italie, elles prirent une ampleur particulière qui se traduisit, entre août et septembre 1920, par une vague d'occupations d'usines. La bourgeoisie italienne effrayée réagit en offrant le pouvoir à Mussolini, premier régime fasciste de l'histoire.

Tous ces événements et le plus important d'entre eux, la révolution russe, provoquèrent une profonde fracture dans le mouvement ouvrier. Dans tous les pays des militants de la social-démocratie, des anarchistes, des syndicalistes qui avaient vécu cette guerre, désorientés, démoralisés par les positions nationalistes, le ralliement à l'Union sacrée de l'immense majorité des dirigeants des organisations ouvrières, se tournaient vers la Russie révolutionnaire.

En proposant la création d'une nouvelle Internationale, l'Internationale communiste, la Troisième Internationale, les dirigeants du jeune État ouvrier en Russie, avaient pour ambition de donner une expression organisée à l'élan qui se développait au sein de la classe ouvrière, dans toute l'Europe et même au-delà. Le premier congrès de cette Internationale se tint à Moscou en mars 1919.

Partout les dirigeants bolcheviks appelèrent à la création de partis communistes, sections de cette Internationale communiste.

C'est dans ce contexte que se produisit la scission du mouvement socialiste en France.

La situation en France et la création du Parti Communiste

Il n'y eut pas, en France, de véritable crise révolutionnaire. Mais l'immédiat après-guerre y fut cependant une période agitée.

Huit jours seulement après la signature de l'armistice de novembre 1918, pour faire pièce au déferlement des manifestations patriotiques, se tenaient des meetings monstres où l'on acclamait la révolution russe, Lénine, Trotsky, les Soviets. Les principaux dirigeants du Parti Socialiste étaient présents, mais ils suivaient le mouvement plus qu'ils ne le précédaient.

Dès 1918, les Alliés dont la France, intervenaient militairement contre la révolution russe. Les troupes qui furent envoyées en Russie subirent la contamination des idées révolutionnaires. C'est ainsi qu'en avril 1919, l'agitation dans les troupes françaises envoyées contre la Russie révolutionnaire aboutit à l'insurrection de la flotte de la Mer Noire dans laquelle s'illustra André Marty. Au même moment, en France, l'acquittement de l'assassin de Jaurès entraîna une manifestation monstre au cours de laquelle des anciens combattants jetèrent leurs décorations au pied d'un buste de Jaurès.

En 1919 et 1920, plusieurs vagues de grève se développèrent. A plusieurs reprises la classe ouvrière fit reculer le pouvoir. Mais partout la bourgeoisie réussit à stopper l'offensive ouvrière. C'est elle qui reprit l'offensive, tant sur le plan politique que sur le plan social. L'extension du chômage contraignait la classe ouvrière à se défendre pied à pied contre l'allongement de la journée de travail, l'abaissement du niveau de vie, la remise en question de toutes les concessions faites lors des vagues de grèves précédentes.

La montée révolutionnaire avait cédé la place à des luttes défensives.

C'est dans cette période que se constituèrent officiellement les partis communistes.

En France, la rupture du Parti Socialiste se produisit au congrès de Tours en décembre 1920. D'un côté la SFIO, Section Française de l'Internationale Ouvrière, restait fidèle à la Deuxième Internationale et regroupait le tiers des effectifs de l'ancien parti. De l'autre, le Parti Communiste, section française de l'Internationale communiste (SFIC) se rattachait à la Troisième Internationale. Une scission qui allait marquer l'histoire du mouvement ouvrier jusqu'à aujourd'hui.

Pour les communistes qui, au congrès de Tours, étaient majoritaires et pour les dirigeants de la Troisième Internationale, il était décisif de construire un parti pour conduire les luttes du prolétariat y compris juqu'à la conquête du pouvoir. Pour cela, le regroupement des communistes dans une organisation indépendante, avec un programme clair et une discipline bien définie, était indispensable. La rupture politique et organisationnelle était une nécessité.

Mais cette scission posait d'emblée le problème des rapports entre le jeune Parti Communiste et la SFIO socialiste.

Pour les communistes de l'époque, ce problème ne se réduisait pas aux rapports entre les directions et encore moins aux relations au sein du groupe parlementaire.

C'est qu'une grande partie de la classe ouvrière restait sous l'influence de la SFIO. En période de montée révolutionnaire, comme en période de recul, se posait donc le problème d'influencer, d'entraîner cette fraction de la classe ouvrière qui mettait encore sa confiance dans les dirigeants réformistes.

La politique de Front unique de l'IC : une nécessité pour la classe ouvrière

Devant l'offensive de la bourgeoisie, il fallait éviter que la division politique du mouvement ouvrier se traduise par l'affaiblissement des capacités de défense de la classe ouvrière.

Cette nécessité d'entraîner l'ensemble des travailleurs, ceux qui étaient influencés par le Parti Communiste (SFIC) (il ne s'appelait pas encore « français ») comme ceux qui l'étaient par la SFIO (le Parti Socialiste) et surtout ceux, les plus nombreux, qui n'étaient ni derrière l'un, ni derrière l'autre, était pressante. L'ensemble des travailleurs ressentaient le besoin de l'unité dans l'action parce qu'ils avaient conscience que cela les rendrait plus forts pour résister aux attaques du patronat.

Une telle nécessité s'imposait d'autant plus que la scission politique avait été suivie d'une scission de l'organisation syndicale, la CGT. Cette division syndicale n'avait pas été voulue par le Parti Communiste. Mais les tensions étaient nombreuses au sein de la Confédération. Sa direction réformiste fit le choix, en février 1921, d'exclure de la Confédération les fédérations dirigées ou influencées par les communistes. Ceux-ci se constituèrent, en décembre 1921, en syndicat, la CGT-U, Confédération Générale du Travail Unitaire, ajoutant « unitaire » pour insister sur le fait qu'ils se plaçaient dans la perspective d'une organisation syndicale unique, au sein de laquelle pourraient s'organiser tous les travailleurs.

Les militants communistes affirmèrent par leur attitude qu'ils se voulaient unitaires pour deux.

Cela ne voulait pas dire que les communistes renonçaient à leur drapeau, à leur identité. Ils gardaient pour objectif de regrouper ceux qui, au sein de la classe ouvrière, militaient pour le renversement du capitalisme. Mais ils devaient tenir compte de l'immense majorité de la classe ouvrière qui était bien loin d'être acquise à ces perspectives. Pour gagner du poids, de l'influence, il fallait présenter aux travailleurs des objectifs, avoir à leur égard une démarche qui leur redonne confiance en leur force, il fallait que les travailleurs obtiennent des victoires dans leurs luttes quotidiennes et pour cela qu'ils ne soient pas paralysés par des divisions politiques. Il fallait donc que les actions soient communes. Les succès remportés étaient autant d'encouragements pour d'autres luttes qui convaincraient les travailleurs de l'utilité de s'organiser et augmenteraient leur intérêt pour ce que défendaient communistes et socialistes sur le plan social et politique.

Et c'est finalement au travers de cette politique dite de Front unique telle que la définissait l'Internationale communiste, que le Parti Communiste, en renforçant les travailleurs, renforcerait finalement le nombre de ceux qui comprendraient ses idées. L'intérêt des travailleurs était indissociable de la politique des communistes.

La démarche de la politique de Front unique ne consistait nullement à entraîner les travailleurs influencés par les dirigeants réformistes au moyen de manoeuvres contre leurs propres dirigeants. Les militants du Parti Communiste s'adressaient à l'ensemble du Parti Socialiste, à commencer par les dirigeants réformistes eux-mêmes en faisant des propositions qui répondaient aux besoins des travailleurs dans leur ensemble, qui correspondaient à la situation et dont la nécessité apparaissait évidente aux yeux de tous. Les dirigeants réformistes pouvaient certes les refuser mais ils prenaient alors la responsabilité de se déconsidérer aux yeux de la partie de la classe ouvrière qui leur faisait confiance.

L'essentiel dans cette politique n'était pas de savoir jusqu'où iraient les responsables des organisations réformistes, de les mettre au pied du mur, mais de faire en sorte que leur ralliement, ou même simplement leur feu vert, permette des actions victorieuses. Si les réformistes s'abstenaient ou prenaient des engagements sans les tenir, ce serait aux travailleurs de juger.

Frapper ensemble...

Trotsky, qui suivait de près la politique du Parti Communiste en France, insistait pour que cette façon d'agir s'impose au niveau des actions syndicales. L'Humanité de cette période fait état de nombreuses grèves où des démarches furent faites par la CGT-U auprès des instances dirigeantes locales ou nationales de la CGT. Et bien souvent une telle attitude permettait, en entraînant les travailleurs de la CGT ou de la CGT-U, de renforcer le mouvement dans l'intérêt commun.

Mais cette politique de Front unique correspondait à une autre nécessité.

Les années 1922-24, même si elles furent des années de reflux, étaient toujours des années troublées et agitées. La politisation de la classe ouvrière restait importante. Il fallait offrir des objectifs communs à tous ceux qui étaient prêts à réagir aux attaques de la bourgeoisie, attaques qui ne se situaient pas seulement sur le terrain économique.

Le nationalisme agressif de l'impérialisme français, coûteux pour les masses populaires qui payaient le prix de ses aventures militaires et coloniales - la jeunesse était à nouveau mobilisée dans l'occupation de la Ruhr, dans la guerre du Rif au Maroc - provoquèrent des réactions dans la jeunesse et la population laborieuse, bien au-delà de ceux qui se disaient communistes.

C'est pourquoi, le 11 janvier 1923, quand les troupes françaises pénétrèrent en Allemagne pour occuper la Ruhr, le Parti Communiste multiplia les propositions d'actions et de campagnes communes aux dirigeants de la SFIO, hostiles de leur côté à l'occupation de la Ruhr. Il proposa de dénoncer en commun les sacrifices que cette politique militariste imposait à toute la société. Il proposa des actions de propagande et de dénonciation contre la façon dont l'armée française s'en prenait aux travailleurs allemands. Par ailleurs, il proposa des actions pour obtenir l'amnistie des soldats condamnés pour avoir participé aux mutineries et l'amnistie des syndicalistes condamnés à la suite des grèves de 1920.

Pour le Parti Communiste, c'était un souci constant de démontrer que marcher séparément n'empêchait pas de frapper ensemble.

... et marcher séparément

Cette politique n'avait rien à voir avec les futurs Fronts populaires ou encore avec l'unité de la gauche que l'on a connus plus tard et qui n'étaient que des blocs électoraux qui enchaînaient les travailleurs derrière des politiques de défense des intérêts de la bourgeoisie ! Ce n'était pas l'unité pour l'unité, non plus. Cette politique visait à réaliser l'unité de la classe ouvrière dans l'action afin de renforcer sa combativité, en même temps que sa conviction que ses intérêts de classe étaient fondamentalement opposés à ceux de la bourgeoisie.

Quant à la politique électorale du Parti Communiste, elle était aux antipodes de ce qu'elle fut en 1936 et après. En 1923-1924, le Parti Socialiste et le Parti Radical ont noué une alliance électorale sous le nom de Bloc des Gauches destiné à faire pièce au Bloc National de la droite.

Le Bloc des Gauches suscita dans la classe ouvrière un certain intérêt qui traduisait son mécontentement à l'égard de la droite au pouvoir. Raison de plus pour dire les choses clairement et le Parti Communiste dénonça sans faux semblants ce Bloc des Gauches « comme une manoeuvre d'une partie de la bourgeoisie pour éviter que la manifestation de ce mécontentement légitime nuise aux intérêts vitaux de la bourgeoisie et pour continuer sous une étiquette de gauche à faire servir les mécontents de chair à dividende et de chair à canon au profit du régime capitaliste ». Et l'Humanité précisait que « les partis prolétariens qui se joignent à cette opération livrent à la classe capitaliste une partie du prolétariat et trahissent les intérêts de la classe ouvrière ».

Il n'était pas question pour lui de rallier ce bloc, ni même de le cautionner en laissant croire qu'il pouvait être un moindre mal. Trotsky expliquait que même si le Bloc des Gauches pouvait avoir des aspects positifs, cela ne pouvait être « qu'à condition que le prolétariat n'y participe pas ».

En d'autres termes, la préoccupation des communistes était que, même si le Bloc des Gauches pouvait incarner une politique un peu plus favorable aux travailleurs, ces derniers n'aient pas d'illusions et sachent que, de toute façon, il s'agissait d'une variante de la politique bourgeoise dans laquelle le Parti Communiste n'avait pas à s'impliquer. Il n'était nullement question pour le Parti Communiste de cautionner ce Bloc des Gauches aux yeux des travailleurs en y participant. Pas question pour le Parti Communiste de ¬contribuer à cultiver des illusions sur la politique des socialistes et des radicaux qui favoriserait immanquablement la passivité dans la classe ouvrière. L'optique « Votez pour le Bloc des Gauches et il fera le reste » était non seulement étrangère aux communistes de cette époque, mais ils ne se privèrent pas de dire que cette politique était une trahison des travailleurs.

Les années trente et la politique de Front populaire contre les intérêts politiques de la classe ouvrière

Face à la crise et à la menace de l'extrême droite...

Lorsque, à partir de 1933, la question de l'unité de la classe ouvrière dans l'action se posait de nouveau de façon aiguë, la politique unitaire proposée par le Parti Communiste n'avait plus rien à voir avec la politique de Front unique préconisée par la Troisième Internationale à ses débuts.

Mais, à vrai dire, de par ses perspectives politiques, le Parti Communiste lui-même n'avait plus grand-chose à voir avec ce qu'il avait l'ambition de devenir au temps de Lénine et de Trotsky. Il n'était plus ce parti qui voulait le renversement du capitalisme pour instaurer une société nouvelle, une société communiste, un parti qui s'efforçait dans chaque situation de conduire jusqu'au bout de leurs possibilités les luttes de la classe ouvrière. S'il regroupait encore les meilleurs militants de la classe ouvrière, son appareil, ses cadres étaient de plus en plus sélectionnés dans l'obéissance à la bureaucratie stalinienne de l'URSS. Pour s'orienter dans les événements, le PCF n'avait plus pour boussole les intérêts politiques de la classe ouvrière, mais les exigences de la bureaucratie stalinienne.

Ce n'était plus un authentique Parti Communiste, décidé à faire prévaloir au sein de la classe ouvrière la politique la plus adaptée à la situation, qui faisait face au Parti Socialiste, ce Parti Socialiste qui, de son côté, était par ses perspectives et sa direction un parti de la bourgeoisie, même s'il conservait encore à l'époque une audience importante dans la classe ouvrière.

La classe ouvrière était pourtant confrontée à une situation menaçante.

Menaçante sur le plan économique, en ces débuts des années trente, où la grande crise avait ébranlé l'économie dans ses fondements, poussant des centaines de milliers de travailleurs vers le chômage, la misère et la soupe populaire. Menaçante plus encore peut-être sur le plan politique. En 1933, Hitler avait pris le pouvoir en Allemagne sans que le mouvement ouvrier allemand, bien plus puissant pourtant que le mouvement ouvrier en France, parvienne à l'en empêcher, sans même qu'il ait sérieusement engagé le combat. Les hordes nazies au pouvoir entreprirent la destruction systématique de l'ensemble du mouvement ouvrier organisé par la répression et par la terreur.

En France, le renforcement des ligues fascistes montrait que le mouvement ouvrier français n'était pas à l'abri d'une menace semblable. Mais ni le Parti Socialiste, ni le Parti Communiste, n'offrirent de perspective politique et ne proposèrent de moyens organisationnels concrets pour affronter cette montée du danger représenté par l'extrême droite.

Après 1933, tout comme dans la période précédente, la SFIO continuait à ronronner sur la nécessité de faire confiance à la démocratie afin de faire barrage aux ligues fascistes. Le Parti Communiste était, lui, dans un cours sectaire qui consistait à considérer le Parti Socialiste comme aussi dangereux pour la classe ouvrière que l'étaient les fascistes. Les socialistes, baptisés par le Parti Communiste « social-fascistes » étaient devenus des ennemis à combattre à l'égal des fascistes.

Mais cet apparent radicalisme verbal masquait l'absence d'une politique juste qui mette en avant des moyens réels de faire face à la menace bien concrète que représentait l'extrême droite.

En somme, tout se passa en France, pendant les quelques mois qui suivirent l'arrivée de Hitler au pouvoir, comme si la défaite sans combat de la classe ouvrière allemande n'avait pas eu lieu.

... les travailleurs imposent l'unité dans les luttes

Le 6 février 1934, les ligues fascistes descendirent dans la rue et déclenchèrent une nuit d'émeute, montrant qu'elles étaient capables d'aller au-delà des attaques ponctuelles contre les organisations ouvrières et les militants de gauche. La direction du Parti Socialiste et celle du Parti Communiste réagirent chacune de leur côté.

Le Parti Socialiste et la CGT réformiste ainsi que diverses organisations de gauche ne prévoyaient de répliquer que le 12 février par une grève générale et des manifestations. Le Parti Communiste et la CGT-U lancèrent un appel à une manifestation pour le 9 février, qui fut marquée par de durs affrontements. Il y eut plusieurs tués parmi les manifestants.

Le Parti Communiste, encore dans son cours sectaire, refusa de se joindre à la journée du 12 février. On pouvait lire encore dans l'Humanité du 11 février : « la classe ouvrière condamnera avec dégoût les chefs socialistes qui ont le cynisme et l'audace de prétendre entraîner les ouvriers à la lutte contre le fascisme au chant de la Marseillaise et de l'Internationale ». Le Parti Communiste avait sans doute raison de se montrer choqué par la Marseillaise, mais les causes de son refus étaient bien plus profondes et bien moins justes car elles aboutissaient à la division, à la coupure, face à une situation qui exigeait une riposte de l'ensemble de la classe ouvrière que ces querelles d'appareils désorientaient. La direction du Parti Communiste attendit le dernier moment pour se rallier à la journée du 12 en appelant ses militants et ses sympathisants à se constituer en cortège séparé.

Malgré cela, non seulement la journée du 12 février fut un succès au niveau des grèves et des manifestations, mais les manifestants ouvriers transformèrent cette journée en une riposte unitaire en dépit des choix des directions des deux partis ouvriers. Lors de la manifestation, en effet, aux cris de « unité, unité » les manifestants réalisèrent de fait la fusion des deux cortèges, imposant du même coup aux états-majors politiques et syndicaux le « front unique » dans la lutte qu'ils se refusaient à mettre en place jusque-là.

Ces journées montrèrent que la classe ouvrière avait la conscience de la nécessité de faire barrage aux fascistes et que nombre de travailleurs sentaient bien que les bandes fascistes ne s'en prenaient pas simplement à telle ou telle organisation mais, en s'attaquant aux militants, visaient l'ensemble du mouvement ouvrier organisé et, au-delà encore, la classe ouvrière dans son ensemble.

Tout comme ces travailleurs sentaient aussi que cette situation exigeait une riposte aux actions de l'extrême droite pour défendre les locaux des organisations ouvrières, protéger les militants et les grévistes. La conscience de la classe ouvrière était en avance sur celle des partis qui se réclamaient d'elle.

Le revirement du Parti Communiste

Il fallut pourtant attendre plusieurs mois encore pour que le Parti Communiste rompe brusquement avec sa politique sectaire.

Mais la cause de ce revirement n'était ni la pression unitaire des masses populaires, ni la grogne des militants qui se montraient sensibles à cette pression. L'ordre de ce virage politique était venu de Staline.

Car depuis l'arrivée de Hitler au pouvoir, l'URSS stalinienne se sentait menacée. Prenant un virage à 180 degrés en 1934, ses dirigeants qui n'avaient plus, depuis dix ans, l'optique de développer les luttes révolutionnaires dans le monde recherchèrent des alliances diplomatiques et militaires avec les gouvernements des démocraties occidentales. Du coup, en France, le Parti Communiste reçut la consigne de sortir de son isolement et de rompre avec la théorie du « social-fascisme ». D'où l'orientation unitaire qu'il mit en avant à partir de la mi-1934, orientation qui se concrétisa au début du mois de juillet de la même année par la signature avec la SFIO d'un « pacte d'unité d'action » contre le fascisme et la guerre, puis par la mise en oeuvre de la politique de Front populaire.

S'agissait-il de proposer enfin aux travailleurs et aux organisations ouvrières des objectifs communs correspondant à leurs intérêts de classe ? S'agissait-il de réaliser des actions communes pour faire face aux bandes fas¬cistes ? S'agissait-il d'agir pour élargir et généraliser les grèves qui devenaient de plus en plus nombreuses et de plus en plus radicales, en donnant aux travailleurs en lutte des perspectives communes ? S'agissait-il, devant la ruine de l'économie, conséquence de la crise, de proposer des solutions correspondant aux intérêts de la classe ouvrière, quitte à s'en prendre à ce fameux « mur de l'argent » que dénonçaient verbalement même les dirigeants du Parti Socialiste ? S'agissait-il de s'en prendre à la propriété privée ? S'agissait-il enfin d'entraîner dans le sillage de la classe ouvrière les fractions de la petite bourgeoisie les plus touchées par cette crise économique et à qui finalement la classe ouvrière aurait été la seule capable d'offrir des perspectives ?

Eh bien non ! L'objectif du Parti Communiste était tout autre. Pour lui, le Front populaire n'était qu'une entente au sommet avec le Parti Socialiste, se plaçant sur le terrain du parlementarisme.

Le Front populaire : une alliance électorale anti-ouvrière

Rien à voir avec une politique de Front unique destinée à unir la classe ouvrière sur des objectifs de lutte. Il s'agissait d'une sorte de réédition, en pire peut-être parce que la situation était plus grave, de la politique de Bloc des Gauches, des années 1924 dont le PC, non seulement acceptait d'être une composante, mais dont il se faisait l'artisan.

Ainsi quand, à l'automne 1934, les ministres radicaux quittèrent le cabinet Doumergue, les dirigeants du Parti Communiste furent les premiers à proposer à leurs alliés socialistes « d'étendre le pacte aux radicaux » afin de sceller « l'alliance des classes moyennes avec la classe ouvrière ».

Oh ! bien sûr, il aurait été nécessaire de tout faire pour offrir aux fractions de la petite bourgeoisie victimes des effets de la crise, désorientées et en colère, d'autres perspectives que celles que leur proposaient les démagogues fascistes. Mais, pour les rallier aux combats de la classe ouvrière en montrant que leurs intérêts convergeaient, il ne fallait surtout pas contribuer à réhabiliter ce Parti radical, au moment même où la baisse de ses résultats électoraux montrait combien il s'était discrédité auprès de sa clientèle électorale traditionnelle, la petite bourgeoisie.

Ce parti qui comptait dans ses rangs des gens comme Herriot et Daladier, qui avait trempé dans toutes les combinaisons gouvernementales de la Troisième République, qui en février 1934 avait capitulé devant les Ligues fascistes et passé la main au gouvernement réactionnaire de Doumergue, qui était impliqué dans tous les scandales de l'époque, était présenté par le Parti Communiste comme un allié privilégié, la pierre angulaire de l'alliance dans la lutte contre le fascisme.

Un allié qu'il ne fallait surtout pas effrayer, ni gêner par des références à la lutte de classe.

L'aspect réactionnaire et anti-ouvrier de cette alliance ne tarda pas à apparaître. En août 1935, par exemple, d'importantes grèves éclatèrent contre les décrets-lois imposés par Laval qui amputaient de 3 à 10 % les salaires des fonctionnaires, des ouvriers des arsenaux et des cheminots. A Brest, à Toulon, les affrontements avec les forces de l'ordre tournèrent à l'émeute, faisant plusieurs morts parmi les travailleurs. Les dirigeants du Parti Communiste et de la CGT-U pesèrent alors de tout leur poids aux côtés de la CGT réformiste pour empêcher l'extension du mouvement et ramener le calme. Au lendemain de ces émeutes, le PC, faisant l'amalgame entre les agissements du gouvernement, ceux des Croix-de-Feu et les réactions des ouvriers qui s'étaient défendus, condamna ces derniers.

Dans l'Humanité du 7 août 1935, Duclos expliquait : « Nous attachons un trop grand prix à notre collaboration avec le Parti Radical pour ne pas nous dresser contre les provocateurs ». Pour lutter contre les bandes fascistes, le Parti Communiste se contentait de réclamer l'application des récentes lois contre les « ligues fascistes ».

Le programme du Front populaire fut publié en janvier 1936 : il s'alignait sur les propositions des radicaux. A longueur de colonnes on pouvait lire dans l'Humanité que le Parti Communiste préconisait « un soutien incessant des masses » au Front populaire, c'est-à-dire au futur gouvernement socialiste et radical, si le Front populaire remportait les élections.

Lorsque, fin janvier 1936, les ministres radicaux démissionnèrent du gouvernement Laval, le futur allié des nazis dans le régime de Pétain, provoquant sa chute, l'Humanité déclara : « Tout gouvernement décidé à appliquer impitoyablement la loi aux factieux, à suivre une politique de sécurité collective en appliquant honnêtement des sanctions efficaces à l'agresseur, à assurer des élections libres et à garantir les paiements de l'État sans frapper les pauvres, peut compter sur notre soutien loyal ». On chercherait vainement dans cette déclaration une référence aux intérêts de la classe ouvrière.

La CGT fut réunifiée, mais pas pour donner une impulsion aux luttes que ni le Parti Socialiste, ni le Parti Communiste n'entendaient encourager.

La montée des luttes aboutit à une grève générale sans précédent

Les élections du 21 avril et du 3 mai 1936 virent la victoire électorale des partis du Front populaire. L'Humanité cria « Victoire » et le Parti Communiste accorda tout naturellement son soutien au gouvernement de Léon Blum, lui signant un chèque en blanc. L'un de ses dirigeants, Jacques Duclos, affirma le 11 mai : « Notre soutien ne sera pas à éclipses et c'est pourquoi nous ne demanderons point au gouvernement de demain plus qu'il ne pourra donner ». Le Parti Communiste ne demanda pas à participer à ce gouvernement mais expliqua son attitude aux travailleurs en déclarant seulement que « la présence des communistes au ministère servirait de prétexte aux campagnes acharnées de la réaction ». Il faut dire que s'il avait demandé à participer, ses partenaires lui auraient sans doute refusé cette participation.

C'est peu dire que la formidable vague de grèves qui entraîna la classe ouvrière juste après les résultats électoraux n'était ni voulue, ni souhaitée, ni même approuvée par les partis du Front populaire. Cette grève reflétait même une certaine défiance de la part de la classe ouvrière à l'égard des promesses du Front populaire qui considérait qu'elle serait mieux servie par elle-même que par les politiciens qui prétendaient la représenter.

La classe ouvrière n'avait pas attendu l'investiture du nouveau gouvernement pour agir, avec une ampleur sans précédent.

Les grèves illimitées dans les usines, les bureaux, les magasins, confluèrent en une grève générale qui, dans les derniers jours de mai se transforma en vague d'occupations d'usines à propos desquelles le Parti Communiste, qui tentait de calmer le jeu, affirmait à qui voulait l'entendre qu'elles ne remettaient absolument pas en cause la propriété bourgeoise.

Ce mouvement aurait pu être le début d'une contestation plus profonde et plus radicale du système capitaliste et de l'ordre bourgeois si les grévistes, organisés dans des comités où tous se retrouvaient au coude à coude, s'étaient vu proposer des objectifs politiques que permettait et exigeait même la situation.

Mais ils ne les trouvèrent ni du côté des socialistes à qui les élections venaient de confier la gestion de la crise, ni du côté du Parti Communiste qui s'acharnait à réclamer l'ordre et le respect de la légalité bourgeoise en répétant que « tout n'est pas possible » et en dénonçant comme traîtres les trotskystes qui affirmaient que la grève devait se donner d'autre perspective que celle de se mettre à la remorque de ce Front populaire.

Le gouvernement de Front populaire sauveur de l'ordre bourgeois

Il existe sur toute cette période de multiples témoignages qui montrent la profondeur de la mobilisation ouvrière, de la politisation des travailleurs. Mais l'un des témoignages les plus probants est celui de Léon Blum lui-même, lors de son procès à Riom, en mars 1942, quand il expliqua que son gouvernement avait sauvé l'ordre bourgeois. Plaidoyer de circonstance, destiné à innocenter un politicien que Vichy accusait d'avoir mis le feu aux poudres ? Constatons qu'après la guerre, ni lui, ni ses amis ne l'ont jamais prétendu.

Voilà en quels termes Léon Blum s'exprima, le 10 mars 1942 :

« Je vous demande messieurs de vous souvenir. Rappelez-vous que les 4 et 5 juin, il y avait un million de grévistes. Rappelez-vous que toutes les usines de la région parisienne étaient occupées. Rappelez-vous que le mouvement gagnait d'heure en heure et de proche en proche la France entière (...).

La panique, la terreur étaient générales. Je n'étais pas sans rapports moi-même avec les représentants du grand patronat... Je me souviens qu'on me disait ou me faisait dire par des amis communs : Alors quoi ? c'est la révolution ? Alors quoi ? Qu'est-ce qu'on va nous prendre ? Qu'est-ce qu'on va nous laisser ? »

Et Blum d'expliquer comment il fut prié par Albert Lebrun, le président de la République de ne pas attendre l'investiture légale de son gouvernement pour prendre des mesures :

« Monsieur Lebrun me répondit alors : « les ouvriers ont confiance en vous. Puisque vous ne pouvez convoquer la Chambre avant samedi, et que certainement dans votre déclaration ministérielle vous allez leur promettre le vote immédiat des lois qu'ils réclament, alors, je vous en prie, dès demain, adressez-vous à eux par la voie de la radio. Dites-leur que le Parlement va se réunir, que, dès qu'il sera réuni, vous allez lui demander le vote rapide et sans délai des lois dont le vote figure sur les cahiers de revendications en même temps que le relèvement des salaires. Ils vous croiront, ils auront confiance en vous, peut-être ce mouvement s'arrêtera-t-il ? »

Et d'ajouter encore comment Lambert Ribot, un des représentants du patronat, le contacta pour que, c'est toujours Léon Blum qui parle :

« Je m'efforce d'établir un contrat entre les organisations patronales suprêmes comme le Comité des Forges et la Confédération générale de la production et d'autre part la CGT » (..) « Sans doute, ajoutait-il, j'aurais tenté de moi-même l'accord Matignon. Mais je dois dire que l'initiative première est venue du grand patronat ».

Et Blum cite les propos des dirigeants de la CGT à propos de l'évacuation des usines :

« Nous nous engageons à faire tout ce que nous pourrons et nous le ferons. Mais nous vous avertissons tout de suite. Nous ne sommes pas sûrs d'aboutir. Quand on a affaire à un mouvement comme celui-là, à une marée comme celle-là, il faut lui laisser le temps de s'étaler. Et puis c'est maintenant que vous allez peut-être regretter d'avoir systématiquement profité des années de déflation et de chômage pour exclure de vos usines tous les militants syndicalistes. Ils n'y sont plus. Ils ne sont plus là pour exercer sur leurs camarades l'autorité qui serait nécessaire pour faire exécuter nos ¬ordres ».

Et Blum de commenter :

« Je vois encore monsieur Richemont qui était assis à ma gauche baisser la tête en disant : C'est vrai, nous avons eu tort. »

Face à une mobilisation qui lui avait fait craindre de tout perdre, la bourgeoisie avait donc cédé les 40 heures, les congés payés et des augmentations substantielles de salaire. Mais le Parti Communiste avait mis tout son poids pour endiguer le mouvement.

Au lendemain des Accords Matignon, Thorez expliquait : « Il faut savoir terminer une grève » ! Le ministérialisme sans ministre du Parti Communiste avait joué pleinement son rôle pour stopper la lutte de classe, du moins du côté de la classe ouvrière, et sauver l'essentiel pour la bourgeoisie.

Les efforts conjugués des partis de gauche, de la CGT réunifiée et du gouvernement de Front populaire réussirent, non sans mal, à saboter la grève de juin 1936. Mais le rôle du Front populaire ne s'arrêta pas là. Une fois l'élan brisé, ces politiciens bourgeois allaient profiter du reflux des luttes pour aider le patronat à reprendre aux travailleurs ce qu'il avait été obligé de céder sous la pression de la grève.

Prenant prétexte du réarmement de l'Allemagne, au nom de la défense nationale, le Parti Communiste et la CGT contribuèrent à faire accepter des attaques contre les 40 heures et le niveau de vie des travailleurs.

Pourtant, la classe ouvrière continuait à faire preuve de combativité et résistait comme elle pouvait, face à une bourgeoisie qui voulait prendre sa revanche. Mais soucieux d'honorer ses engagements à l'égard de ses alliés socialistes et radicaux, le Parti Communiste se garda bien de développer une démarche et une politique qui auraient pu unifier les grèves et enrayer la démoralisation qui atteignait la classe ouvrière.

Quand finalement, un mot d'ordre de grève générale fut lancé en novembre 1938, il était déjà bien trop tard. Cette grève se solda par un échec et des milliers de militants furent licenciés. La classe ouvrière en sortit démoralisée et politiquement désarmée face à la guerre qui approchait.

Alors qu'il s'agissait de la même Chambre de Front populaire, issue des élections d'avril-mai 1936, la direction du Parti Communiste soutint des gouvernements de plus en plus réactionnaires, dont le gouvernement Daladier, un radical. Ce même Daladier était à la tête du gouvernement qui interdit le Parti Communiste en septembre 1939, à la veille de la déclaration de guerre. Et c'est encore cette même chambre des députés qui vota les pleins pouvoirs à Pétain, au lendemain de la capitulation française de juin 1940.

A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l'union nationale derrière de Gaulle - Le Parti Socialiste et le Parti Communiste contre les travailleurs

Comment le PCF s'est mis au service de de Gaulle.

Il ne fallut cependant pas attendre bien longtemps pour que les partis réformistes et staliniens jouent à nouveau leur rôle de gendarmes contre la classe ouvrière en échange de portefeuilles ministériels. Cela n'avait rien de nouveau pour le Parti Socialiste. Mais c'était nouveau pour le parti stalinien.

Ce fut pendant et à la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Cette fois, la collaboration gouvernementale ne résultait pas d'une entente entre des partis prétendant se situer à gauche, dans le but de constituer une majorité parlementaire. A ce titre-là, il ne s'agissait donc pas d'une réédition du Front populaire.

L'initiative venait d'un général que le Parti Communiste qualifiait à juste titre, en 1940, de « général nationaliste et réactionnaire ».

De Gaulle avait certes des raisons spécifiques d'accepter le soutien que le Parti Communiste français lui apportait dès l'été 1941. Obscur sous-secrétaire d'État du gouvernement Paul Reynaud au moment du déclenchement de la guerre, il avait mis du temps pour se faire admettre, une fois à Londres, comme le représentant des intérêts de l'impérialisme français dans le camp des puissances anglo-saxonnes, tandis que Pétain était le représentant des mêmes intérêts dans le camp de l'Allemagne hitlérienne.

Dans les manoeuvres compliquées de de Gaulle pour être reconnu par les alliés américains, anglais, etc, le soutien de la résistance intérieure, où prédominait le Parti Communiste, lui était indispensable. Le Parti Communiste contribua puissamment à donner à ce général réactionnaire une stature d'homme au-dessus des partis, comme l'incarnation de l'intérêt national par-delà les clivages politiques et sociaux.

Mais à cette raison particulière de de Gaulle de s'assurer la collaboration du Parti Communiste français s'ajoutait une raison plus générale. Toutes les bourgeoisies, et pas seulement la bourgeoisie française, appréhendaient la fin de la guerre. Faut-il rappeler qu'à peine plus de 25 ans séparaient la fin de la Deuxième Guerre mondiale de celle de la Première, et de la vague révolutionnaire qui ébranla alors le monde capitaliste ? Quant à la révolution espagnole et à la grande vague de grèves de juin 1936 en France, elles étaient encore fraîches dans tous les esprits.

Et, dès lors que le sort de la guerre entre les deux camps de brigands impérialistes allait définitivement basculer du côté des puissances anglo-saxonnes, la principale préoccupation de leurs dirigeants était de prévenir et d'éviter les explosions révolutionnaires. C'est à cette nécessité que répondait, sur le plan international, la sainte alliance conclue entre les dirigeants de l'impérialisme du camp anglo-saxon et la bureaucratie de Staline. L'entrée du Parti Communiste dans le gouvernement était la concrétisation, en France, de cette sainte alliance.

Vers l'entrée de représentants du PCF au gouvernement

En mars 1944, de Gaulle fit entrer des représentants du PCF dans le Comité Français de Libération Nationale qui allait devenir, en juin de la même année, le Gouvernement Provisoire de la République Française.

La première fois où le Parti Communiste accepta des responsabilités gouvernementales et où lui-même et le Parti Socialiste allaient collaborer dans un même gouvernement, ne fut pas dans un gouvernement d'union de la gauche mais dans un gouvernement d'union nationale dirigé par un homme de droite !

De Gaulle n'avait pas accepté des ministres communistes par bonté d'âme. Au lendemain du débarquement américain, il s'était assigné comme objectif de mettre en place le plus rapidement possible un État français. Il ne fallait pas qu'il y ait un vide étatique après le départ de l'armée allemande. L'état-major américain, pour parer à ce risque, avait d'ailleurs envisagé d'installer une administration militaire américaine. Ce n'était certainement pas la solution la plus avantageuse pour la bourgeoisie française que d'être privée d'un appareil d'État national. L'embryon d'armée mis en place par de Gaulle à Londres, puis en Afrique, ne suffisait pas à l'affaire. Il fallait une administration et une police françaises capables de prendre le relais des troupes allemandes.

Voilà pourquoi de Gaulle avait besoin du PCF. En contrepartie de ses postes de ministres, le PCF mit toute son influence dans la balance pour permettre à de Gaulle de reconstruire au plus vite l'appareil d'État.

La collaboration de classe au niveau politique...

L'appareil d'État qui occupait la place, des sommets à la base, de ses Papon à ses policiers exécutant docilement la rafle du Vel' d'Hiv', s'était trop compromis pendant l'Occupation. Le PCF aida à monter la comédie de « l'insurrection de la police parisienne » afin de dédouaner cette dernière d'avoir été l'instrument de Vichy et, par là même, des occupants allemands. Il mit tout son crédit pour détourner la colère populaire vers des lampistes du régime de Vichy, vers quelques miliciens de base, vers des femmes qu'on tondait pour avoir eu des relations avec des soldats allemands.

Mais pas question pour le PCF de désigner les véritables responsables, ces hauts responsables de l'État et, surtout, cette bourgeoisie française qui s'était enrichie pendant la guerre.

Cette période reste une de celles dont la direction du Parti Communiste continue de se revendiquer avec fierté. C'est en effet à ce moment-là que le PCF a été estampillé comme un parti digne de fournir des ministres dans un gouvernement gérant les affaires de la bourgeoisie.

Mais, si le bilan que le Parti Communiste tire de cette période est, à ses dires, « globalement positif », il n'y a pas lieu d'en dire autant du point de vue des intérêts de la classe ouvrière !

Car en plus de l'aide accordée à la reconstruction de l'État de la bourgeoisie, le PCF a rendu à cette bourgeoisie un autre service, dans le domaine économique.

... comme au niveau économique

L'appareil de production ayant été sérieusement endommagé après la retraite de l'armée allemande, la bourgeoisie, pour maintenir ses profits, avait besoin que la classe ouvrière se remette au travail, accepte des conditions de vie lamentables, sans rechigner et surtout sans revendiquer.

Le PCF, et à sa suite la CGT, acceptèrent de jouer ce rôle de contremaître au service de la bourgeoisie. Ils proclamaient qu'il fallait « produire d'abord et revendiquer ensuite ». Mais ils se gardèrent de poser la question : au profit de qui les entreprises allaient-elles redémarrer ?

Car c'est de cela qu'il s'agissait, aussi bien au moment de la Résistance que de la Libération, aussi bien au moment où Thorez et Billoux, les dirigeants du PCF d'alors, affirmaient qu'il faut « s'unir, s'armer, se battre » jusqu'en août 1944, que plus tard quand les mêmes préconisaient de « s'unir, combattre et travailler », ou ensuite lorsque Thorez parlait de « produire, produire, produire ».

Pour le PCF de cette époque-là, l'opposition d'intérêts fondamentaux dans la société ne passait plus entre les bourgeois et les prolétaires, mais entre les « patriotes » et les « traîtres ». Il y avait les bons patrons patriotes dont on respectait les intérêts et les mauvais patrons qui, aux yeux du Parti Communiste, méritaient l'expropriation. Mais, la plupart de ces « mauvais patrons » trouvèrent le moyen de se faire passer pour des patriotes. La propriété bourgeoise ne fut jamais menacée.

Le PCF contre la défense des intérêts de la classe ouvrière

Le Parti Communiste disait alors, et répéta par la suite, que l'heure du socialisme n'avait pas sonné. Le PCF atteignait à cette époque son audience électorale maximum, avec 26 voire 28 % d'électeurs. Mais la direction du Parti Communiste invoquait que cette minorité, même si elle était importante, ne votait pas pour la révolution. Soit. Mais le problème n'était pas là. Il était dans le fait qu'au lieu de défendre, dans ce contexte, les intérêts spécifiques des travailleurs, dans une période particulièrement dure pour la classe ouvrière, le Parti Communiste se mit entièrement au service de la bourgeoisie et interdit à la classe ouvrière jusqu'à l'expression de ses intérêts propres.

Sur le problème des nationalisations, par exemple, le Parti Communiste ne manquait pas de rappeler qu'il fallait s'en tenir au programme bourgeois, semblable à celui des radicaux, revu et corrigé par de Gaulle en 1944. Le PCF affirmait haut et fort que de telles nationalisations n'avaient rien à voir avec le socialisme. Mais, en même temps, il jouait sur les illusions accompagnant cette mesure pour inciter les travailleurs à renoncer à toute grève, comme ce fut le cas dans les houillères nationalisées, à propos desquelles les dirigeants du PCF expliquaient : « Des gens qui n'ont aucun sens de classe n'ont pas compris les changements survenus... Ils oublient que les houillères sont nationalisées, qu'elles sont à nous, qu'elles sont aux camarades et ils osent les assimiler aux exploitations éhontées de jadis ».

La grève était devenue « l'arme des trusts », c'est-à-dire une trahison. Et il faut voir avec quelle fierté les responsables du PCF et de la CGT parlaient de leur capacité à neutraliser la classe ouvrière. Ainsi, dans l'Humanité du 28 mars 1945, on pouvait lire : « Un mécontentement légitime s'est développé dans les rangs de la classe ouvrière. Si malgré cela les grèves ont été à peu près inexistantes, on le doit uniquement à la haute conscience nationale des travailleurs ainsi qu'à l'autorité de la CGT et de ses militants ». Les dirigeants du PCF, et de la CGT qui lui étaient liés, ne pouvaient afficher plus clairement qu'il s'agissait de leur part d'une politique délibérée. Et le secrétaire de la CGT en profitait, au passage, pour jeter l'anathème sur les « fauteurs de désordre » et pour dénoncer « les provocations d'éléments trotskystes ».

Les grèves déclenchées par la base furent systématiquement condamnées comme des provocations.

Pour justifier sa politique, le Parti Communiste invoquait des arguments qu'il voulait de « bon sens ». Il fallait remettre sur pied l'économie et donc produire du charbon, du fer, de l'électricité. Il fallait reconstruire les villes, faire marcher les transports. Mais ces affirmations formulées sur le ton de l'évidence dissimulaient au profit de qui les travailleurs étaient en train de remettre l'économie en marche.

La classe capitaliste entendait que l'on reconstruise l'économie à son seul profit. C'est-à-dire en engrangeant des bénéfices, comme elle en avait engrangé dans la période de crise, comme elle en avait engrangé tout au long de la guerre.

Une autre politique était possible pour les travailleurs

Pour défendre ses intérêts, il aurait fallu que la classe ouvrière soit en situation de contrôler ce que la bourgeoisie et son gouvernement faisaient de tout ce qui était produit. Il aurait fallu qu'elle puisse demander des comptes sur la façon dont étaient utilisés les capitaux, sur les bénéfices que faisaient les patrons. Il aurait fallu que la reconstruction soit soumise au contrôle des travailleurs et de la population. Il aurait fallu empêcher que les capitalistes puissent faire des bénéfices juteux alors que nombre de travailleurs n'avaient pas encore de logements décents et que la nourriture elle-même était rationnée.

Au lieu de cela, le Parti Communiste, comme le Parti Socialiste d'ailleurs, proposait à la classe ouvrière de faire confiance à ces ministres de gauche - ceux du Travail et de la Production n'étaient-ils pas des ministres communistes ? En guise d'ersatz de contrôle, on concéda aux travailleurs des comités d'entreprise qui avaient, en fait, pour fonction de faire collaborer, dans les usines, patrons et représentants des travailleurs, sans que ni les travailleurs, ni leurs délégués n'aient le moindre pouvoir réel.

Pour que les travailleurs puissent contrôler la remise en route de l'économie, pour qu'ils puissent défendre leurs intérêts, il aurait fallu que la classe ouvrière se donne des formes d'organisation indépendante qui n'aient rien à voir avec ces organismes de collaboration de classe. Mais de cela, il n'en fut pas question, ni pour les dirigeants du Parti Communiste, ni pour les dirigeants du Parti Socialiste.

Le Parti Communiste et le Parti Socialiste étaient tellement à l'unisson dans la mise en oeuvre d'une telle politique qu'il y eut des pourparlers en vue de regrouper les deux partis dans un seul grand parti ouvrier national. Ces pourparlers n'aboutirent pas. Néanmoins, l'existence d'un tel projet reflétait le fait que le Parti Communiste n'estimait plus sa politique différente de celle du Parti Socialiste.

A défaut de fusion, ces deux partis, qui se partageaient la quasi-totalité de l'électorat ouvrier, surent fort bien s'unir pour mener la politique de la bourgeoisie.

Dans ces circonstances, les appels lancés par le PCF, par le PS, par les dirigeants syndicaux à produire « avec ardeur, avec abnégation » étaient un formidable soutien à la bourgeoisie pour accroître l'exploitation des travailleurs. Et tout le poids du Parti Communiste, sa force électorale, sa position de plus en plus hégémonique dans la CGT, ne furent pas utilisés pour infléchir la situation en faveur des travailleurs. Ni au niveau gouvernemental, ni dans les usines et les bureaux.

La mise en place des systèmes de protection sociale durant cette période ne contredit pas cela. Ils étaient, de l'aveu même de de Gaulle, destinés à faire accepter à la classe ouvrière, une politique de bas salaires, qui n'empêcha d'ailleurs pas que leur financement soit en grande partie à la charge des travailleurs.

Pendant tout cet immédiat après-guerre, les deux partis ouvriers accomplirent loyalement la mission à laquelle de Gaulle les avait associés, le Parti Communiste y mettant encore plus d'ardeur militante que le Parti Socialiste tant était grand son désir de se faire admettre comme un parti responsable et efficace aux yeux de la bourgeoisie.

De la désunion.... à l'Union de la Gauche

1956 : Le PCF vote les pouvoirs spéciaux, dont Guy Mollet se sert pour intensifier la guerre en Algérie

Ecarté du gouvernement en mai 1947, une des préoccupations politiques majeures du PCF était sinon d'y revenir, du moins d'être une des composantes d'une nouvelle union. Sauf que, durant la période dite de guerre froide, les partenaires se firent plutôt distants.

Ainsi en 1954, Mendès-France, chargé de gérer le retrait de l'impérialisme français en Indochine après la défaite de Dien-Bien-Phu, déclara, par avance, qu'il ne compterait pas les voix du PCF dans le vote pour son investiture. Cette rebuffade ne refroidit pas les démarches unitaires des dirigeants du PCF.

Ainsi deux ans plus tard, en 1956, après la victoire du « Front Républicain », alors que Guy Mollet, le leader de la SFIO, agissait de même, récusant à l'avance les voix du PCF, ce dernier vota son investiture, mêlant ses voix à celles de la droite. C'était, expliqua alors le PCF, pour tirer le gouvernement socialiste vers la gauche. Deux mois plus tard, le PCF vota les pouvoirs spéciaux que Guy Mollet réclamait afin d'avoir, déclarait-il, les mains libres pour gérer la situation en Algérie.

Là encore, les dirigeants du PCF expliquèrent que c'était pour peser sur Guy Mollet afin de l'aider à faire la paix que le leader de la SFIO avait promise. Guy Mollet fit exactement le contraire, s'engageant plus à fond, ou plutôt engageant la jeunesse, dans la guerre coloniale.

Le PCF n'obtint pas l'union qu'il recherchait, mais la jeunesse mobilisable y obtint le triste privilège de passer ses vingt ans à faire un sale boulot de répression coloniale dans les Aurès, grâce à la gauche, unie dans ses votes !

L'arrivée de de Gaulle en 1958, auquel s'était ralliée la SFIO - Guy Mollet entra alors au gouvernement ainsi que Jules Moch, un socialiste célèbre pour avoir été déjà ministre de l'Intérieur en 1948 et à ce titre responsable de la répression sanglante de la grève des mineurs - ne rendait pas facile les démarches unitaires du PCF.

1965. Les débuts d'un mythe : Mitterrand, homme de gauche

Une opportunité se présenta de nouveau, en 1965.

Pour le première fois, cette année-là, le Président de la République devait être élu au suffrage universel. Cela faisait des mois que la gauche se perdait dans de ténébreuses manoeuvres pour trouver le candidat à opposer à de Gaulle. Toutes ces manoeuvres échouèrent.

Quand tout à coup, le 20 septembre, à trois mois de l'échéance électorale, prévue pour la fin de l'année, Mitterrand annonça sa candidature. Il n'avait pris aucun engagement vis-à-vis des forces politiques susceptibles de le soutenir. Il se faisait d'ailleurs gloire d'avoir les mains libres. C'est ce qui le mettait d'ailleurs en situation de force.

Mitterrand était tout sauf un homme de gauche. Personne ne le prétendait sérieusement, même pas lui. Mais comme il était un des rares politiciens, à l'exception des dirigeants du PCF, à s'être positionné dès le début contre de Gaulle et la constitution gaulliste, il avait l'auréole d'opposant au pouvoir personnel. C'était bien maigre pour en faire le représentant de la gauche, et plus encore celui des travailleurs.

Et pourtant, c'est à ce moment-là qu'a commencé la fabrication - c'est bien le mot - du mythe de Mitterrand, homme de gauche.

Guy Mollet et la SFIO se rallièrent quasi immédiatement à sa candidature. Ce n'était pas une surprise. Tous deux s'étaient côtoyés dans de nombreux gouvernements, en particulier celui du Front Républicain, en 1956. La nouveauté vint du PCF, dont le ralliement fut inattendu. Lors d'une réunion du Comité central du PCF qui se tint quelques jours à peine après que Mitterrand ait rendu publique sa candidature, le PCF décidait de la soutenir. Waldeck-Rochet, son secrétaire général de l'époque, balayait en une phrase les questions que l'on pouvait, légitimement, se poser sur le passé réactionnaire du personnage : « quelles que soient les remarques qui peuvent être faites sur la personnalité de Mitterrand, il est incontestablement un opposant résolu au régime de pouvoir personnel ».

Cette volte-face du PCF n'était pas contre nature ; depuis 1942 et même depuis 1936, la direction du PCF en avait fait d'autres ! Mais elle prit à contre-pied nombre de militants, surtout au sein des jeunesses et des étudiants communistes qui avaient plus que d'autres des raisons de se souvenir de ce ministre de l'Intérieur d'un gouvernement qui généralisa la guerre d'Algérie.

Le PCF ne se contenta pas de soutenir du bout des lèvres ce candidat qui, pourtant, ne promettait rien de plus que « la révision de la constitution, une plus juste répartition des fruits du travail, la priorité à l'éducation nationale et le rétablissement de la laïcité, l'abandon de la force de frappe, la reconnaissance de la frontière Oder-Neisse ». Il déploya dans ce soutien un zèle peu commun. Sans doute les dirigeants du PCF pensaient-ils se positionner pour le long terme. Mitterrand lui aussi préparait son avenir politique. Mais avec beaucoup plus de bonheur... comme la suite nous l'a montré.

Grâce au PCF, il trouva dès 1965, en la personne des dirigeants et surtout des militants du PCF, des zélateurs nombreux, influents, efficaces au sein de la population laborieuse. Mitterrand se présentait comme un homme qui n'était lié par rien ni personne. Mais cela n'arrêta pas les dirigeants du PCF. Ils s'engagèrent à fond derrière lui et y engagèrent tous les militants. Les premiers jours, l'Humanité présentait encore Mitterrand comme le « candidat de l'union sans exclusive de tous les démocrates, auxquels, écrivait-elle, les communistes apporteraient un soutien loyal et résolu». Mais il ne fallut pas bien longtemps pour qu'il passe du statut de grand démocrate à celui d'homme de gauche. L'Humanité du 18 novembre 1965 titrait, par exemple : «Mitterrand définit la ligne de départ d'une gauche moderne»... On a pu voir le résultat à l'arrivée, 16 ans plus tard.

Pour donner une idée de la façon dont l'Humanité présentait Mitterrand à ses lecteurs, voici un écho de quelques lignes qui, après avoir signalé que les gaullistes tenaient réunion à Neuilly, se concluait en ces termes : « François Mitterrand, lui, vient parler à Billancourt. Publiquement. Chacun chez soi ». Mitterrand était donc consacré non seulement comme un homme de gauche mais comme un homme qui était chez lui devant les travailleurs de l'usine Renault avec le parrainage du PCF... qui en était fier.

Passons rapidement sur la période suivante, et en particulier sur 1968. La CGT y a joué le rôle que l'on sait. Pour ne pas se laisser déborder dans la classe ouvrière, elle appela à la journée de grève générale du 13 mai. Ce faisant, elle contribua à déclencher la vague de grèves qu'elle n'avait pas souhaitée mais dont elle prit le contrôle pour la conclure par les modestes accords de Grenelle. Le PCF, en tant que tel, n'y prit guère d'initiative politique, à part de foncer tête baissée dans le piège des élections législatives proposées par de Gaulle pour enterrer le mouvement.

Quant à Mitterrand, il fit parler de lui au travers d'une péripétie peu flatteuse. Croyant le pouvoir vacant, parce que De Gaulle n'avait pas donné signe de vie pendant 24 heures, il se mit sur les rangs en se proposant comme candidat à la Présidence et mit en avant Mendès-France comme possible Premier ministre. L'opération fit long feu, et on n'en parla plus, sauf pour en rire.

1971-1972 : vers le Programme commun

La deuxième étape de la mise sur orbite de Mitterrand date des années 1971-1972.

En 1971, en effet, eut lieu le congrès d'Epinay qui réunissait la SFIO et quelques petites formations de gauche. C'est à cette occasion que Mitterrand réalisa une véritable OPA sur le Parti Socialiste.

La démarche de Mitterrand et ses calculs n'étaient d'ailleurs un secret pour personne. En 1970 il écrivait que la victoire de l'Union de la Gauche passait par « la formation d'un mouvement politique apte à équilibrer d'abord, à dominer ensuite le PC et à détenir par la suite une vocation majoritaire ». C'est franc, ne trouvez-vous pas ?

Il était hardi, avant cette époque, d'envisager une possible participation du PCF à un gouvernement. Depuis le début de la guerre froide, les USA qui faisaient office de gendarme du camp impérialiste s'y opposaient. Mais cette attitude était en passe de changer.

A partir du début des années 1970, l'incapacité de l'impérialisme américain à vaincre au Vietnam et la nécessité de se dégager de cette guerre de plus en plus difficilement acceptée aux États-Unis mêmes avaient amené les dirigeants américains à changer de stratégie vis-à-vis du bloc soviétique et de la Chine. A la politique dite de « containment » allait succéder une politique de compromis avec l'URSS et la Chine. Il en résulta un assouplissement des États-Unis à l'égard de l'éventualité d'une participation communiste à un gouvernement occidental.

Ainsi, pour la première fois depuis 1947, c'est-à-dire depuis l'éviction des ministres communistes des gouvernements occidentaux, des ministres furent acceptés dans le gouvernement portugais, en 1974, après la « révolution des oeillets ».

Le calcul de Mitterrand était de réduire l'influence du PCF, y compris éventuellement en l'associant au gouvernement, le cas échéant. Mais en ce qui concernait cette éventualité, il n'avait bien évidemment pas pris le moindre engagement.

Le congrès d'Epinay s'inscrivait dans une telle perspective. Et pour ce faire, Mitterrand ne reculait pas devant... les mots. Tels, ces propos incendiaires qu'il y tenait :

« Réforme ou révolution ? J'ai envie de dire - que l'on ne m'accuse pas de démagogie, ce serait facile dans ce congrès - oui, révolution. Et je voudrais tout de suite préciser, car je ne voudrais pas mentir à ma pensée profonde, que pour moi, sans jouer sur les mots, la lutte de chaque jour peut être révolutionnaire. Mais ce que je viens de dire pourrait être un alibi si je n'ajoutais, par une deuxième phrase, violente ou pacifique, la révolution c'est d'abord une rupture - la méthode, cela passe ensuite. CELUI QUI NE CONSENT PAS A LA RUPTURE AVEC L'ORDRE ETABLI - politique cela va de soi, c'est secondaire - avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, ne peut être adhérent au PS».

Eh oui, l'auteur de cette profession de foi est bien ce François Mitterrand que nous avons subi durant 14 ans comme président de la République ! Aucun des pontes du PS n'a rendu sa carte ce jour-là, ni les jours suivants.

Sur cette lancée, le PS signa avec le PCF, en juin 1972, l'accord sur un programme commun de gouvernement. Cet accord engageait les partis signataires - engageait c'est vite dit, car comme les traités entre États sont faits pour être violés, les accords politiques sont faits pour être trahis, et celui-là autant que les autres - les signataires de ce programme promettaient, s'ils arrivaient au pouvoir de satisfaire quelques revendications minimum des travailleurs, de procéder à un certain nombre de nationalisations, de prendre quelques mesures sur les problèmes de société, comme l'abandon de la force de frappe, la réduction du service militaire, l'abolition de la peine de mort, ou encore l'introduction de la proportionnelle dans les élections.

Quelques mois plus tard, les radicaux de gauche ajoutèrent leur signature à ce programme, ce qui confirme, s'il en était besoin, qu'il n'avait rien d'effrayant ni pour la bourgeoisie, ni pour la droite.

Pour Mitterrand, une union aux dépens du PCF

Mitterrand s'empressa d'ailleurs de rassurer ses amis socialistes des autres pays, en même temps que les gouvernements et les bourgeoisies de tous les pays, y compris la bourgeoisie française. Devant l'Internationale Socialiste qui se réunissait à Vienne, en Autriche, il expliquait :

« Notre objectif fondamental, c'est de construire un grand parti socialiste sur le terrain occupé par le Parti Communiste afin de faire la démonstration que sur les cinq millions d'électeurs communistes, trois millions peuvent voter socialiste... »

Ces propos ont été tenus en 1972. Le PCF ne pouvait donc pas ignorer à quelle sauce Mitterrand voulait le manger.

D'ailleurs, à la veille même de la signature du « programme commun », la direction du PCF mettait les travailleurs en garde contre une phraséologie de gauche. En mai 1972, son comité central déclarait :

« Les travailleurs, les démocrates français ont (...) la triste expérience du Front républicain, en 1956, qui sous des déclarations de gauche, conduisait en fin de compte au coup d'État de 1958. Et bien non, il ne faut pas recommencer 1956, et les travailleurs peuvent être certains que nous y veillerons... ».

Mais, dès la signature du Programme commun, le PCF s'engagea une nouvelle fois dans une propagande sans réserve en faveur de ce programme et, du même coup en faveur du PS et surtout en faveur de son premier secrétaire, Mitterrand. Ainsi le 1er décembre 1972, eut lieu à la Porte de Versailles, à Paris, un meeting unitaire où parlèrent Georges Marchais, Robert Fabre et François Mitterrand. Chacun y dénonça, à sa façon, avec de grandes phrases, les méfaits du pouvoir de l'argent. L'Humanité du lendemain titrait « Mieux qu'en 36 ».

La répétition de 1974

Pour le PCF, il allait tellement de soi qu'il ne fallait mettre aucun obstacle à l'élection de Mitterrand qu'il n'envisagea à aucun moment de présenter son propre candidat. Et lorsque Pompidou mourut en avril 1974, précipitant l'échéance présidentielle, c'est sans manifester la moindre réticence, ni la moindre réserve qu'il se rallia, pour la seconde fois, à la candidature de Mitterrand. Celui-ci, en dépit de la signature du Programme commun de gouvernement, se refusa tout net à la moindre négociation avec ses partenaires, qui s'inclinèrent d'ailleurs de bonne grâce.

Seule notre camarade Arlette Laguiller, candidate pour la première fois, troubla ce concert hypocrite, expliquant à la télévision, devant des millions de travailleurs : « Mitterrand n'est pas des nôtres. La caution des grands partis qui se réclament de la classe ouvrière ne suffit pas à faire oublier qu'il a du sang d'ouvriers et d'opprimés sur les mains. Non, mille fois non ! D'autant qu'il ne renie pas son passé. L'avons-nous entendu, ici, nous en parler, dire qu'il regrette, que si c'était à refaire il ne le referait pas ? Non, pas du tout »...

Et si cette fois, au second tour, elle appela à voter pour Mitterrand, c'était en des termes qui ne laissaient aucune ambiguïté : « Tous ceux qui... ont voté pour ma candidature ont choisi la lucidité... Ils ont dit clairement qu'ils n'entendaient être ni bernés, ni laissés pour compte. Ils ont exprimé leur réserve à l'égard de Mitterrand et lui ont dit leur méfiance. Ceux-là peuvent aujourd'hui sans hésitation, sans réticence, voter Mitterrand au second tour. Ils l'ont averti au premier, ils ont donné à leur vote du second tour un sens politique parfaitement clair. »

Oui, parfaitement clair. Car si, par solidarité avec cette grande majorité des travailleurs qui voulaient mettre fin à seize ans de pouvoir ininterrompu de la droite, Arlette Laguiller ne voulait pas faire obstacle à l'élection de Mitterrand, elle ne voulait pas laisser croire, comme tous l'ont fait, y compris à l'extrême gauche, que Mitterrand se situait, ne serait-ce qu'à son corps défendant, dans le camp des travailleurs.

De rapprochements en ruptures

Mitterrand ne fut pas élu cette fois-là, mais il sortit de l'épreuve avec un crédit renforcé dont il était redevable en grande partie au PCF et aux efforts de ses militants. A tel point que cela se traduisit, dans les élections qui eurent lieu dans les mois suivants par une progression des scores du PS au détriment de ceux du PCF. Du coup, ce dernier adopta un ton plus critique à l'égard de ce partenaire qui était en train de devenir un rival électoralement inquiétant. Il l'accusa avec de plus en plus de virulence de glissement vers la droite. Ce qui n'était pas entièrement faux, à cette différence qu'il ne s'agissait pas d'un glissement nouveau, mais d'une constante de sa politique.

D'ailleurs le Parti Socialiste ne se défendait guère d'un tel reproche. Car garanti de pouvoir disposer des voix des électeurs de gauche, il racolait vers la droite. Comme en témoigne cet article de Jean-Pierre Chevènement paru, en juin 1976, dans une revue des gaullistes de gauche : « Qu'est-ce que le programme commun sinon la variante moderne du programme du CNR (Comité national de la Résistance) ? Il permet la nationalisation des secteurs de pointe. Je pense que si le général de Gaulle vivait, il ne verrait aucun inconvénient à adopter l'essentiel des dispositions économiques du Programme commun de gouvernement, s'il était en situation de les promouvoir, comme en 1944 ».

La querelle entre le PCF et le PS aboutit à la rupture de l'Union de la Gauche, en septembre 1977. Ce n'était plus, dès lors, dans l'Humanité que dénonciation des trahisons du PS, celles du passé, celles du présent mais aussi celles qu'il se préparait à accomplir.

Ainsi, le 12 janvier 1981, six mois avant que des ministres communistes siègent bien sagement dans un gouvernement désigné par Mitterrand, on pouvait lire dans l'Humanité :

« Les hommes qui ont porté les plus lourdes responsabilités (dans l'avènement de de Gaulle au pouvoir en 1958) sont toujours là, François Mitterrand, Chaban-Delmas, Gaston Defferre. Et surtout il y a de cette expérience une leçon à tirer dont le comportement du PS depuis 1977 montre la valeur fondamentale. Dans une période d'aiguisement de la lutte de classe, en raison de sa nature, et sous la pression de la bourgeoisie, et aussi dans la mesure où le mouvement populaire n'a pas le niveau requis, le PS accepte de jouer le rôle de renfort et de relais de la droite, pour sauvegarder la domination du capital et même l'aggravation de sa politique ». L'auteur de ces propos ? C'est Georges Marchais.

Ce rappel du passé que certains ont connu, mais dont ils ont peut-être oublié les détails, que d'autres n'ont pas vécu, se justifie surtout parce que cela éclaire ce qui se dit aujourd'hui.

Vers la victoire électorale de Mitterrand

Lors de l'élection présidentielle de 1981, le PCF avait décidé, à la différence de 1965 et de 1974, de présenter son propre candidat. Il avait d'ailleurs annoncé cette décision presque un an à l'avance. Mais ce candidat, Georges Marchais, à mesure que la campagne avançait, remisait ses critiques de Mitterrand, n'insistant plus que sur la nécessité de « battre la droite », insistant aussi, au cas où Mitterrand l'emporterait, sur le fait qu'il faudrait qu'il prenne des ministres communistes, seule garantie - expliquait-il - contre une dérive droitière.

La virulence que le PCF perdait au fil des jours à l'égard du PS et de Mitterrand, était transférée en partie contre Arlette Laguiller, accusée d'être « la candidate des préfets ». C'était la formule consacrée. Le journaliste qui s'était spécialisé dans cette rubrique était un certain Jean-Luc Mano qui est devenu, grâce à la victoire de la gauche, journaliste à la télévision et est aujourd'hui une sommité de France 2. Comme quoi la gauche a su accomplir quelques réalisations !

Cette fois encore, notre camarade fut la seule à dire clairement aux travailleurs ce que Mitterrand et la gauche leur prépareraient. « Tout le passé de Mitterrand - écrivait-elle dans sa profession de foi - incite à la défiance (...) Il a toujours défendu quand il était au gouvernement des industriels et des banquiers. Et une fois élu, il ne mènera certainement pas une politique différente de celle de Giscard. »

Et elle ajoutait : « Mais quelle confiance faire à Marchais qui, il y a sept ans, n'avait aucune critique à adresser à Mitterrand, qui a rompu l'Union de la Gauche en 1977, qui s'est réconcilié avec Mitterrand pour une semaine entre les deux tours aux élections de 1978... Si le Parti Communiste obtenait des ministres, Marchais remettrait vite dans sa poche toutes ses critiques contre Mitterrand ».

Et, au second tour, si elle appela « sans illusion, mais sans réserve » à voter Mitterrand, c'était, expliqua-t-elle « par solidarité avec l'ensemble de la classe ouvrière et l'ensemble de l'électorat de gauche... s'il doit décevoir ses électeurs, autant que la vérification soit faite ». Et elle précisait : « Nous pensons que, dans cette situation de crise, il n'y a pas deux politiques possibles au service de la bourgeoisie, que François Mitterrand est tout autant au service de cette bourgeoisie que Giscard, et donc que cette élection ne changera rien de fondamental ».

Mitterrand fut donc élu à sa troisième tentative. Grâce à l'électorat de gauche mais aussi grâce à l'apport d'une partie des électeurs de Chirac. Car ce dernier n'avait guère montré d'enthousiasme à faire voter pour son « ami » Giscard.

Mais l'un des faits marquants de cette élection fut qu'avec 15,5 %, Marchais ne retrouvait pas les scores que faisait habituellement le PCF. Le PCF ne le retrouva pas non plus lors des élections législatives qui eurent lieu en juin. Et pourtant, au lendemain de l'élection de Mitterrand, le PCF s'était complètement incliné devant le PS sans que cela l'aide à remonter la pente.

Lors de ces élections législatives, le PS obtenait la majorité absolue au Parlement. Du coup, il n'avait nullement besoin des voix des députés du PCF dont le nombre était descendu de 86 à 44.

Mitterrand prend des ministres communistes

C'est à ce moment-là, alors que rien ne l'y contraignait - et justement parce que rien ne l'y contraignait - que Mitterrand choisit de faire entrer des ministres communistes au gouvernement. Oh pas beaucoup : quatre. Et à des postes qui n'étaient pas parmi les plus importants. Un geste, un simple geste. Mais qui n'était pas un geste gratuit.

Faut-il rappeler ce qu'il disait, en 1972, au lendemain de la signature du programme commun, devant le congrès de l'Internationale socialiste. Son ambition, disait-il alors, était de reprendre trois millions d'électeurs communistes. En 1981, c'était en grande partie réalisé. Les ministres communistes ne procuraient pas un tremplin au PCF, comme le disait démagogiquement la droite en guise d'épouvantail, mais c'était au contraire une opération destinée à réduire encore plus son influence électorale et son autorité sur la classe ouvrière. Car ces ministres étaient là pour servir de caution à une politique anti-ouvrière que Mitterrand et le PS se préparaient à mettre en oeuvre.

Cela figurait d'ailleurs noir sur blanc dans le pacte signé entre le PCF et le PS, un véritable pacte d'allégeance du PCF au PS. « Conscients des devoirs que leur dicte la situation, les deux partis se déclarent décidés à promouvoir la politique qu'ont choisie les Français en élisant François Mitterrand.

Ils le feront à l'Assemblée Nationale, dans le cadre de la majorité qui vient de se constituer. Ils le feront au gouvernement dans une solidarité sans faille. Ils le feront dans les collectivités locales et régionales et dans les ¬entreprises... »

L'Humanité avait titré, au lendemain de l'élection de Mitterrand - encadré de bleu-blanc-rouge s'il vous plaît ! - « QUE LE CHANGEMENT COMMENCE ! ». Et pourtant le PCF n'avait pas encore de ministre.

Le gouvernement d'Union de la Gauche contre les travailleurs

Eh bien ce changement commença bientôt, mais pas dans le sens qu'espéraient les électeurs de gauche. Il ne fallut pas attendre bien longtemps pour en faire le constat. Nous n'allons pas énumérer l'ensemble des attaques contre les travailleurs et les catégories laborieuses, mais quelques mesures et quelques attitudes significatives.

Dès septembre 1981, le gouvernement annonçait, pour rassurer l'État-Major, qu'un septième sous-marin atomique allait être mis en chantier et que, contrairement à l'une des promesses de Mitterrand, le service militaire serait maintenu à 12 mois. Et si la décision de nationaliser 5 groupes industriels, 36 banques et 2 groupes financiers fut prise en octobre 1981, on apprit que les gros actionnaires, et pas seulement les petits, seraient copieusement indemnisés, une indemnisation qui fut d'ailleurs réévaluée à la hausse par le Conseil Constitutionnel. C'est avec cet argent-là que les gros bonnets du monde industriel, les Dassault, les Ambroise Roux, Vernhes de la banque du même nom, la famille Riboud et quelques autres vont ensuite spéculer, jouer au monopoly en rachetant et en revendant des sociétés, des usines, durant toute la période.

Et lorsque Bérégovoy se flatta, dans les années qui suivirent, du fait que les socialistes avaient réconcilié le socialisme et la Bourse, c'est à ces faits- là qu'il faisait allusion. Et on peut effectivement lui en reconnaître le mérite. Mais cela n'est pas un titre de gloire auprès des travailleurs et des électeurs de gauche.

L'argent va donc tomber désormais dans l'escarcelle des capitalistes, mais dans le même temps, pour les travailleurs, ce sont les coups qui vont pleuvoir. Après quelques mesures d'annonce, comme il y en au lendemain de chaque élection présidentielle, telle l'augmentation du SMIC, dont le gouvernement et la sécurité sociale devaient supporter pour moitié la charge, est arrivée très vite l'heure des remises en cause.

Ainsi, dès novembre 1981, le gouvernement Mauroy annonçait que pour financer le déficit de la Sécurité sociale - cela rappelle le discours de Juppé - il allait rétablir le 1 % de cotisation supplémentaire sur les salaires que Barre, le Premier ministre de droite du gouvernement précédent, avait instauré, puis supprimé démagogiquement, à la veille de l'élection ¬présidentielle.

Une autre mesure qui ramène à une actualité récente : ce fut en septembre 1982 que Bérégovoy instaura le forfait hospitalier, de 20 F par jour à l'époque. C'était, expliquait-on déjà, pour combler le « trou » de la Sécurité sociale. Et le gouvernement eut l'audace de diminuer l'horaire légal de la semaine de travail... d'une heure, la ramenant à 39 heures. Mais c'était sans même imposer l'obligation pour les patrons de la payer. Ce qui entraîna à l'époque de nombreuses grèves.

A propos de grève justement, dès octobre 1981, le tout nouveau ministre des Transports du PCF, Charles Fitterman déclarait, qu'il « se réservait la possibilité de faire intervenir la police » contre des grévistes qui occupaient un poste de triage. Et des attitudes comme celle-là, il y en eut d'autres, plus significatives encore.

C'est en juin 1982, au bout d'un an, que Mauroy et son ministre des Finances Delors décidèrent le blocage des salaires, l'annulation de toutes les clauses qui, dans les accords d'entreprises, instauraient peu ou prou, une corrélation automatique entre l'évolution des prix et celles des salaires. La politique d'austérité, qui sévit encore aujourd'hui, était officiellement mise en place. En quelques mois, les attaques contre la classe ouvrière et ses droits se succédèrent sans relâche. Ce furent les plans décidant de dizaines de milliers de suppressions de postes dans la sidérurgie, dans la construction navale et dans l'automobile.

Les dirigeants du PCF se livraient durant cette période à un délicat jeu d'équilibrisme qui consistait à critiquer - un peu - dans l'Humanité de telles mesures, en rendant responsable bien plus le patronat que le gouvernement, pour apporter, en fin de compte, leur soutien à ce gouvernement, dans lequel ils continuaient de siéger. Le dirigeant du PCF Ralite n'était-il pas ministre du Travail et de l'Emploi au moment de la grève Talbot ?

Un autre exemple illustre cette attitude : à l'occasion du plan acier qui prévoyait le suppression de 25 000 emplois dans la sidérurgie, l'Humanité protesta violemment contre ce projet gouvernemental. Marchais déclara le matin même du débat parlementaire sur cette question : « Les communistes ne se coucheront pas. Nous ne sommes pas des inconditionnels. Le PCF n'est pas une femme de ménage ». Mais le soir, les députés communistes votèrent la confiance au gouvernement, ce qui impliquait l'acceptation de ce plan acier.

Cela se passait en avril 1984.

Trois mois plus tôt, en décembre 1983, Georges Marchais expliquait : « Le bilan des deux dernières années (celles où participaient les ministres communistes) est bien supérieur à celui qui a caractérisé la période du Front populaire et à celui qui pouvait être fait au lendemain de la -Libération ».

Le bilan pour le Parti Communiste

Si finalement le PCF décida de quitter le gouvernement en juillet 1984, c'est moins parce qu'il avait avalé des couleuvres, et surtout qu'il en avait fait avaler copieusement à la classe ouvrière, qu'à la suite d'un nouveau revers électoral. Lors de l'élection européenne de 1984, la liste conduite par Marchais n'obtenait que 11,24 %. Un nouveau et net recul. Il y eut alors de longs débats au sein de la direction du PCF. Elle se décida de mettre fin à sa participation gouvernementale. Ni le PS, ni Mitterrand ne retinrent les ministres communistes. Pour reprendre une expression que Mauroy appliquait au PS, le PCF avait fait le « sale boulot » et on lui disait, en quelque sorte qu'il pouvait disposer.

Le PCF est donc sorti considérablement affaibli de sa politique d'Union de la gauche, et sur le plan électoral, et sur le plan militant. Mais n'a-t-il pas tressé les verges pour se faire battre ? S'il ne s'agissait que du sort de ses dirigeants, il n'y aurait pas lieu de s'en désoler ! Mais il ne s'agissait malheureusement pas que de cela. Car c'est la classe ouvrière dans son ensemble qui a payé le prix de cette politique. Sur le plan matériel, bien sûr, avec les salaires bloqués, les garanties sociales réduites, le chômage accru. La droite n'a eu par la suite qu'à inscrire sa politique antisociale dans le sillon tracé par un gouvernement d'Union de la gauche.

Mais plus lourde encore de conséquences pour l'avenir a été la démoralisation de la classe ouvrière et, en particulier, de sa fraction militante. La politique anti-ouvrière de l'Union de la gauche contribua à discréditer l'idée même qu'une politique favorable aux intérêts des travailleurs était réalisable. Et les militants que leurs dirigeants avaient mis au service de cette politique et qui ont usé leur crédit auprès de leurs camarades de travail à défendre une politique indéfendable et des mesures inacceptables, sont sortis de cette période, au mieux, désorientés et démoralisés mais, pire encore, parfois même moralement corrompus par la politique de droite qu'ils ont été amenés à défendre.

Aujourd'hui encore, si les militants présents dans la classe ouvrière sont moins nombreux, si certains d'entre eux ont moins le moral, s'ils se heurtent à plus d'indifférence, quelquefois à plus d'hostilité de la part de leurs camarades de travail, c'est le résultat de la politique qui, de 1965 a conduit à 1981 et à la situation d'aujourd'hui. Celle du PS bien sûr, mais Mitterrand ne faisait que mettre en oeuvre ce qu'il s'était engagé à faire. Mais aussi et surtout celle des dirigeants du PCF.

Et aujourd'hui

Et c'est cela que Hue et les dirigeants actuels du PCF proposent de rééditer. Bien sûr, ils répètent sur tous les tons qu'ils ne veulent pas refaire ce qui a échoué, qu'il faut faire du neuf. Mais la politique de recherche d'un accord électoral avec le Parti Socialiste a sa logique.

Certes on pourrait se dire que discuter permet de mieux connaître les idées des uns et des autres. Même pas. Car les discours n'engagent absolument pas ceux qui les tiennent. Le rappel de la période précédente en est l'illustration. Ce serait une erreur de croire que les débats actuels, qui ne débouchent sur rien de concret, seraient de toute façon sans conséquence. C'est faux.

Des conséquences il y en a. Nocives pour les travailleurs. Car ces démarches contribuent à faire croire que des politiciens comme Jospin, Mauroy, Rocard, Delors pourraient incarner de nouveau les intérêts des travailleurs ! Pire encore, elles accréditent une fois encore l'idée qu'il n'y aurait pas de perspectives pour les travailleurs et la population laborieuse si n'existe pas l'unité avec ces gens-là ! Ces idées sont néfastes.

Les dirigeants du PCF tiennent aujourd'hui plusieurs discours. Certains, quoi qu'ils en disent, ne concernent pas les intérêts des travailleurs, telle cette campagne contre Maastricht et la monnaie unique qui contribue à masquer les vrais responsables et les vrais problèmes. En effet, ce n'est pas se mettre sur le terrain de la défense des travailleurs que de leur faire croire que les responsables de leurs problèmes sont les capitalistes des autres pays - en particulier ceux d'outre-Rhin - et ne seraient pas leurs exploiteurs « bien de chez nous », de faire croire qu'il pourrait y avoir la moindre solidarité entre les travailleurs et Calvet, par exemple, le PDG de Peugeot-Citroën, parce qu'il se déclare contre Maastricht, ou que Pasqua serait, au moins sur ce terrain, un allié possible des travailleurs.

Cette démagogie nationaliste du PCF est d'ailleurs en contradiction avec la cour qu'il fait au PS, puisque celui-ci se trouve dans le camp des pro-Maastricht.

Le PCF tient parfois, rarement il est vrai, un autre discours, plus spécifiquement destiné aux travailleurs et à ceux de ses militants qui acceptent mal les ronds-de-jambe devant le PS. C'est ainsi que, dans l'Humanité du 22 février, paraissait une déclaration de Robert Hue qui sonnait presque comme une autocritique. « Il y a urgence, disait-il. Pas question d'attendre. Le temps de la réflexion est dépassé » en préambule à la présentation d'un « plan choc pour la France ».

« Le PCF prend ses responsabilités » expliquait-il. Et après avoir montré du doigt les bénéfices des grosses sociétés industrielles, il proposait que le SMIC soit porté à 7 500 F, que dans l'immédiat les salaires soient augmentés d'au mois 1 000 F pour ceux qui sont inférieurs à 15 000 F.

Il dénonçait le fait que l'argent des entreprises, les fonds publics étaient utilisés pour l'essentiel à des activités financières, c'est-à-dire à la spéculation, et réclamait un droit de regard « pour les salariés, les citoyens, leurs élus aux différents niveaux. Cela implique, ajoutait-il, la transparence et l'information sur les mouvements de fonds... Fonds accordés pour l'emploi et la formation... Fonds des entreprises, qu'ils proviennent des résultats de l'entreprise ou du crédit. Les salariés, les comités d'entreprises doivent être informés et pouvoir intervenir. Ils doivent notamment disposer d'un droit suspensif des plans de licenciements permettant de proposer d'autres solutions. »

Ou encore, c'est toujours Hue qui parle : « Des mesures doivent être prises pour impulser une autre orientation de l'argent ». Et, plus loin : « Le taux de l'impôt sur les sociétés doit être relevé à 50 % ».

Ces formules à double lecture, pourraient être lues comme la promesse de mesures concernant les intérêts des travailleurs.

Mais, même lorsqu'il choisit de s'adresser aux travailleurs en son nom propre, le PCF est volontairement vague et surtout il évite tout engagement.

Même en restant dans le cadre des objectifs évoqués par Hue - et ne discutons pas ici de ses limites pour réduire sensiblement le chômage et pour arrêter la chute du pouvoir d'achat des travailleurs - pourquoi le PCF n'affirme-t-il pas clairement :

« Oui, nous nous engageons à ce qu'un gouvernement auquel nous participerions, autoriserait les travailleurs, les consommateurs, la population à contrôler les comptes des entreprises et leurs mouvements de fonds.

Oui, nous nous engageons à autoriser des comités de travailleurs élus à stopper les plans de licenciement.

Oui, nous nous engageons à augmenter tous les salaires de 1000 F.

Oui, nous nous engageons à exproprier les capitaux spéculatifs dont le contrôle des travailleurs aurait permis de déterminer le montant.

Oui, nous nous engageons à impulser une autre orientation de l'argent en obligeant, sous peine de confiscation, que l'argent privé, consacré actuellement à la spéculation, soit investi dans la production de biens utiles, dans le maintien et l'amélioration des services publics.

Oui, nous nous engageons à ce qu'un gouvernement dont nous ferions partie impose les sociétés au taux de 50 % ».

Et surtout, pourquoi le PCF ne s'engage-t-il pas par avance à ne soutenir qu'un gouvernement qui mènerait cette politique, quitte à renverser un gouvernement socialiste.

Car, par delà des propositions ambiguës du PCF, reste entière la question de savoir ce qu'il compterait faire pour imposer cela au PS et comment il pourrait faire respecter de tels engagements.

Et comment imposer ces mesures ? En votant bien, en élisant une majorité de gauche ? Ou bien en expliquant dès à présent que quelle que soit la majorité, aujourd'hui celle de Juppé, demain peut-être celle de Jospin, les travailleurs devront se battre pour imposer ces mesures. Que c'est en recommençant et en élargissant des luttes comme en novembre-décembre 1995 qu'il serait possible d'imposer aux députés et au gouvernement le vote de mesures indispensables aux travailleurs et, surtout, de les imposer au patronat.

Un tel langage et une telle politique sont incompatibles avec la recherche d'alliance avec le PS (et les radicaux). Car les dirigeants de ces partis sont des politiciens bourgeois, fondamentalement en désaccord avec des mesures en faveur des travailleurs et quel que soit le nombre de votes obtenus par le PC - si tant est même qu'il n'en perde pas dans le cadre d'une alliance électorale avec le PS, comme il le fait depuis vingt ans -, c'est le PS qui sera au pouvoir et c'est sa politique anti-ouvrière qui prévaudra, sauf si c'en est une autre qui lui est imposée.

La classe ouvrière a incontestablement besoin d'unité pour se défendre face à la bourgeoisie. Mais l'unité dont elle a besoin c'est l'unité autour de ses revendications propres et sur son terrain de classe.

Aussi la seule discussion utile avec les travailleurs qui se reconnaissent dans le Parti Communiste et éventuellement dans le Parti Socialiste serait une discussion sur ce terrain. La discussion autour des objectifs qu'il faudra atteindre en tant que travailleurs pour se défendre face à la montée du chômage, face à la dégradation des conditions d'existence de la classe ouvrière, et quels devraient être les moyens pour les atteindre.

Pour notre part, c'est en tout cas cette discussion que nous souhaitons avoir avec les travailleurs qui se revendiquent du Parti Communiste et du Parti Socialiste, comme avec tous les autres.

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