Pologne 1980-1981 : des grèves de Gdansk à la dictature militaire

Durant la deuxième quinzaine du mois d'août 1980, le monde occidental découvrit le chantier Lénine à Gdansk, sur la côte de la Baltique, en Pologne, et ses 17 000 travailleurs en grève. On apprit le nom d'un ouvrier électricien moustachu, catholique pratiquant, Lech Walesa, principal dirigeant de cette grève. La télévision montra un vice-premier ministre contraint à venir négocier sur place, à l'intérieur du chantier, avec les membres du comité de grève élus par les grévistes, dont Walesa était le président.

Le spectacle de ces négociations fut quelque chose d'extraordinaire. Tous les travailleurs du chantier Lénine, les délégations des centaines d'autres entreprises du littoral qui les avaient rejoints dans, la lutte, purent les suivre en direct puisqu'elles étaient diffusées par haut-parleurs.

Le régime capitula sur toutes les revendications des travailleurs. Il recula sur les augmentations des prix des produits alimentaires qu'il projetait d'imposer. Il promit des augmentations de salaire, il promit de remédier à l'état de pénurie, et puis pour la première fois dans un pays du bloc soviétique, le gouvernement fut contraint de reconnaître le droit pour les travailleurs de s'organiser dans des syndicats libres, c'est-à-dire indépendants du Parti Communiste au pouvoir et de son appendice, le syndicat officiel.

Solidarité, né à Gdansk, en vint à organiser près de dix millions de travailleurs, dans un pays de 35 millions d'habitants. Aucun syndicat dans les pays occidentaux n'a jamais atteint une pareille extension à l'échelle de son pays.

Pourtant, par une nuit de décembre 1981, un général à lunette noires proclamait l'état de guerre en Pologne. La plupart des dirigeant nationaux de Solidarité réunis à Gdansk étaient arrêtés comme l'était des milliers d'autres travailleurs, un peu partout dans le pays. Et d'un seul coup, la Pologne a basculé. Finis les libertés, les droits conquis par les travailleurs. Dissouts, les syndicats indépendants. Annihilé, ce que la classe ouvrière polonaise avait conquis en quinze mois de lutte.

Et pour mieux souligner les raisons du coup d'État, les premières mesures prises par la junte militaire furent d'augmenter les prix alimentaires dans des proportions qu'aucun de ses prédécesseurs n'avait réussi à imposer et en même temps de militariser les entreprises afin de contraindre les travailleurs à travailler plus et plus longtemps.

Il faut comprendre d'abord les raisons de ce coup d'État, et surtout pourquoi ce formidable mouvement ouvrier polonais a pu être vaincu en une seule nuit et pratiquement sans combat.

Il ne suffit certainement pas de se contenter d'évoquer derrière Jaruzelski la bureaucratie russe et son chef d'alors, Brejnev. Il ne suffit pas de constater, même si c'est absolument vrai, qu'en 1953 à Berlin-Est, en 1956 à Budapest et en 1968 à Prague, ce sont les troupes de la bureaucratie soviétique qui ont noyé dans le sang, des révoltes ouvrières dans les deux premiers cas, et un mouvement de revendications démocratiques dans le troisième.

A coup sûr, si Jaruzelski a agi, c'est avec le soutien de Brejnev et il est fort probable que s'il ne s'était pas trouvé un Jaruzelski, Brejnev se serait résolu à faire le travail lui-même. Le fait est cependant qu'il s'est trouvé un Jaruzelski et surtout que ce Jaruzelski a trouvé en Pologne même la force nécessaire pour écraser la classe ouvrière polonaise.

Et il ne suffit pas non plus de se dire, même si là encore c'est tout à fait vrai, que c'est parce que c'est un régime de pouvoir stalinien qu'il ne peut pas tolérer la moindre liberté et la moindre organisation indépendante pour les travailleurs.

Jaruzelski était secrétaire du Parti dit communiste de Pologne, mais il était avant tout général, et c'est en tant que général, à la tête de la hiérarchie militaire et de l'armée qu'il s'est attaqué à la classe ouvrière.

Non, les raisons du coup d'État ne résident pas en ce que la situation de la classe ouvrière polonaise a de particulier, mais au contraire, en ce que les rapports entre la classe ouvrière et les couches privilégiées ont de plus universel. En Pologne comme partout, c'est l'armée, sa force nue, qui est le dernier recours, la dernière réponse des couches privilégiées contre leur classe ouvrière.

Et on peut se demander aussi comment la classe ouvrière polonaise a pu se laisser surprendre. Un long passé de luttes contre le régime en place, en 1956, en 1970, en 1976, avait pourtant beaucoup appris à la classe ouvrière en Pologne. Et dans ce régime qui a toujours été dictatorial, il n'y avait pas de grands partis réformistes ayant pignon sur rue, pour la tromper, pour lui faire croire qu'il suffit, pour la politique, de bien voter, et pour les revendications, de faire confiance aux syndicats. Car il n'y avait pas en Pologne d'élections et il n'y avait pas de syndicats non plus. Mais malheureusement, les idées qui ont été incarnées au Chili par Allende ont surgi en Pologne dans le cours même de la grève ; et les hommes qui représentaient ces idées ont surgi du mouvement des ouvriers lui-même. Avant de se laisser surprendre par l'armée, la classe ouvrière polonaise a été endormie par une direction issue de ses rangs, composée certes de vériles combattants de la classe ouvrière, mais qui combattaient au nom d'idées, au nom d'une politique qui ne pouvaient conduire la classe ouvrière qu'à l'impasse d'abord, à la défaite ensuite.

Alors, il faut comprendre ce qui est arrivé à la classe ouvrière en Pologne. La répression exercée par la junte de Jaruzelski, pour être dure, n'a pas eu la violence de la répression de Pinochet en ses débuts. La classe ouvrière polonaise a été vaincue sans combat, mais pas brisée. Il y a en son sein, aujourd'hui encore, des milliers, des dizaines de milliers d'hommes, de femmes, qui continuent à agir dans des conditions difficiles.

Nous qui nous revendiquons des idées du communisme révolutionnaire, nous sommes et nous devons être entièrement, pleinement solidaires de ces hommes et de ces femmes, quelles que soient leurs idées. Mais c'est notre devoir de révolutionnaires que de discuter ces idées elles-mêmes.

Parce que cette classe ouvrière polonaise qui a fourni les troupes du combat social et politique de la Pologne de l'été 80, doit savoir, et les travailleurs conscients de tous les pays avec elle, pourquoi, malgré l'ampleur de la mobilisation, son combat a échoué.

La classe ouvrière polonaise : un long passé de luttes

A la suite du partage de l'Europe à Yalta, à la fin de la dernière guerre mondiale, la Pologne se retrouva dans la zone d'influence soviétique. Quelques années plus tard, en 1948, le parti stalinien devenait le seul et unique parti au pouvoir. Après la fusion du parti social-démocrate en son sein, il prit une nouvelle appellation : le Parti Ouvrier Unifié de Pologne, le POUP.

Le nouveau régime à la tête duquel il se plaçait se réclamait du communisme. Mais les travailleurs ne mirent pas longtemps à se rendre compte qu'il y avait un gouffre entre les discours des dignitaires du parti et la réalité que chacun pouvait observer.

Les portraits du dictateur stalinien Bierut avaient remplacé ceux du dictateur d'avant-guerre, Pilsudski. Les drapeaux rouges étaient ajoutés aux drapeaux polonais rouges et blancs. Cependant, malgré l'élimination de l'ancien personnel politique au profit du nouveau, malgré un certain nombre de mesures économiques de nationalisation et de planification dans l'industrie, et malgré la réforme agraire, le régime exploitait les ouvriers aussi férocement que celui des militaires d'avant-guerre et il ne leur donnait pas davantage de libertés. Pas même le droit de faire la grève, de se réunir, de se syndiquer, autrement que dans les syndicats gouvernementaux. Et puis, si les bourgeois profiteurs du régime d'avant n'étaient plus là, d'autres privilégiés avaient pris les places.

Certains de ces nouveaux privilégiés étaient issus de la classe ouvrière, et tous prétendaient parler au nom des travailleurs. Mais ils disposaient de villas luxueuses, de leurs cliniques, de leurs maisons de repos, de leurs magasins... Et ces gens-là exigeaient avec arrogance que les ouvriers dépassent les normes de production, viennent travailler le dimanche et acceptent de vivre dans des taudis.

De son côté, la jeunesse estudiantine prenait part avec enthousiasme à la remise en cause du stalinisme.

1956 : de l'émeute ouvrière de Poznan...

En 1956, la classe ouvrière polonaise était à bout de patience. C'est elle qui releva la tête la première. Au mois de juin, la révolte des ouvriers de Poznan éclata. Ce fut la première manifestation d'un mouvement qui allait ébranler plus ou moins profondément plusieurs pays de l'Est.

Le mouvement partit des élissements Staline de Poznan (les usines Zispo) qui comptaient 15 000 ouvriers. Sous prétexte de revoir les classifications, on avait baissé le salaire de cinq mille d'entre eux.

Les travailleurs de Zispo envoyèrent une délégation à Varsovie. Comme le bruit avait couru que les délégués avaient été arrêtés, l'équipe de nuit décida, le 27 juin, la grève totale. Des militants du parti tentèrent de s'y opposer mollement. Le lendemain, ils furent entraînés de fait par la masse des grévistes. Ceux de Zispo envoyèrent rapidement des groupes dans toutes les entreprises. Des dizaines de milliers de travailleurs tenaient la rue. Les responsables du parti avaient fui la ville ou se terraient dans l'immeuble de la Sécurité. Les manifestants criaient « Du Pain, du Pain ! » et finalement ils envahirent la prison, le tribunal, les commissariats, en s'emparant à chaque fois des armes qu'ils trouvaient. L'affrontement sanglant commença devant l'immeuble de la police politique, particulièrement haïe de la population. Les autorités isolèrent Poznan du reste de la Pologne et firent converger des troupes des corps de sécurité et de l'armée avec plus de 200 tanks. Les travailleurs résistèrent pendant plusieurs heures. Il y eut officiellement 53 morts et 434 blessés.

Les ouvriers de Poznan avaient en fait arraché le masque d'un pouvoir qui prétendait représenter la classe ouvrière et qui se comportait en oppresseur et en fusilleur d'ouvriers.

Mais si dans toute la Pologne, les travailleurs étaient passés de la déception au mécontentement ouvert, ils aspiraient à un gouvernement authentiquement communiste, débarrassé de tous ces parvenus qui les traitaient en gardes-chiourme. Ce sentiment gagnait bien des militants ouvriers du Parti.

Les jeunes aussi s'insurgeaient devant le décalage qu'il y avait entre les idées socialistes affichées par le pouvoir et ce qu'ils voyaient autour d'eux et parfois dans leurs propres familles. On leur avait inculqué les idées communistes officielles. C'est au nom de ces idées qu'ils se sentaient plus proches des ouvriers révoltés de Poznan que des dignitaires du régime.

Tout ce cheminement de la jeunesse étudiante allait dans le même sens que celui que les travailleurs effectuaient. jeunes et ouvriers exigeaient que les actes correspondent aux discours sur le socialisme. Le journal étudiant Po Prostu exprimait ces sentiments. Le ton critique qu'il adoptait à l'égard de l'hypocrisie du pouvoir plaisait aux jeunes comme aux ouvriers.

... à l'Octobre polonais

Cette effervescence culmina en octobre 1956. Elle prit un caractère national et cela d'autant plus qu'on vomissait aussi les gens au pouvoir parce qu'ils apparaissaient comme des marionnettes imposées par l'URSS à la Pologne.

Gomulka et ses amis surent canaliser la mobilisation des ouvriers et des étudiants. Gomulka avait été évincé du pouvoir en 1948 et emprisonné par le régime jusqu'en 1954. A ce titre, il apparaissait comme une victime. Il était la seule figure connue du Parti à jouir d'un prestige suffisant dans la population pour canaliser ses espoirs de changement de façon acceple, tant par la bureaucratie soviétique que par les couches dirigeantes polonaises.

La tension fut à son comble en octobre 1956 quand se tint le huitième Plenum du Parti : Gomulka devait y être élu secrétaire général. Sans prévenir, une forte délégation soviétique conduite par Khrouchtchev et composée de plusieurs chefs militaires débarqua à Varsovie. La menace était claire. Moscou voulait écarter Gomulka et maintenir une équipe à sa dévotion. Une vaste mobilisation se produisit dans le pays. Les étudiants occupèrent les facultés, les ouvriers de l'usine Zeran à Varsovie occupèrent leur usine et élurent un conseil ouvrier. L'idée en avait été lancée quelques mois auparavant par des responsables du Parti favorables à Gomulka.

Dans leur esprit, il s'agissait d'associer les ouvriers à la gestion des usines. Mais dans le contexte d'octobre, l'élection d'un conseil ouvrier pouvait prendre un tout autre caractère, d'autant plus que l'exemple de Zeran fut suivi dans toutes les usines du pays.

Dans la nuit du 19 au 20 octobre 1956, tout le pays attendit anxieusement le résultat de la confrontation entre les dirigeants polonais et soviétiques. Gomulka se présentait comme le sauveur ou tout au moins comme un moindre mal susceptible d'éviter l'affrontement entre l'armée russe et le peuple polonais... D'un côté, il agitait la menace d'une insurrection ouvrière pour faire accepter au Kremlin son accession au pouvoir. De l'autre, il agitait la menace d'une intervention russe pour dissuader les masses d'aller plus loin.

Son jeu réussit et la délégation soviétique reprit l'avion.

Gomulka s'était servi de la mobilisation ouvrière et des aspirations généreuses de la jeunesse pour accéder au pouvoir. L'appareil d'État national, les dirigeants gomulkistes et les privilégiés y trouvèrent leur compte. Mais ceux qui avaient cru en Gomulka furent floués. Tout ce que Gomulka avait dû lâcher au début comme hausse de salaire et comme améliorations des conditions de travail fut supprimé.

Un an plus tard, le journal Po Prostu était interdit. Et en avril 1958, les conseils ouvriers furent placés sous le contrôle du Parti.

Ainsi en 1956, les ouvriers s'étaient battus en juin à Poznan. Ils avaient appris à se mobiliser en octobre, pour peser sur la vie politique. Mais ils avaient mis leurs espoirs en des gens se réclamant d'un communisme plus libéral mais qui avaient hâte de faire rentrer tout le monde dans le rang. Les ouvriers ne s'étaient donné aucun moyen pour imposer les transformations auxquelles ils aspiraient. Et les jeunes et les intellectuels qui se placèrent à leurs côtés, « la gauche d'octobre », ne furent pas en mesure de les armer politiquement face à Gomulka et à son équipe.

C'était là la première expérience politique importante faite par la classe ouvrière et l'intelligentsia.

1970 : La classe ouvrière fait reculer le pouvoir

Une nouvelle génération prit conscience du caractère odieux du régime, lorsque l'intelligentsia fit une nouvelle expérience politique, cette fois séparément, sans l'intervention des travailleurs, en 1968.

En mars, toute une agitation étudiante se produisit à la suite de l'interdiction d'une pièce de théâtre d'un auteur polonais du XIXe siècle. Les gouvernants avaient pris la mouche parce que les passages anti-russes avaient déclenché l'enthousiasme des spectateurs.

Les étudiants manifestèrent au nom de la liberté d'expression. Dans plusieurs villes des heurts violents opposèrent les étudiants à la police. Pour briser la jeunesse et les intellectuels contestataires, le ministre de l'Intérieur, le général Moczar, provoqua une vaste campagne contre les intellectuels et les juifs. Cette basse démagogie accentuait le visage repoussant du pouvoir.

Les leaders de la contestation étudiante furent condamnés à des peines de deux à trois ans et demi de prison. Quelques rares familles ouvrières envoyèrent des colis aux emprisonnés, mais en règle générale, les ouvriers restèrent en-dehors de l'agitation étudiante. De leur côté, les animateurs de ce mouvement ne songèrent pas non plus à s'adresser aux travailleurs. Mais après coup, un certain nombre de représentants du milieu universitaire et étudiant tirèrent la conclusion que l'intelligentsia ne constituait pas en elle-même une force suffisante pour imposer des réformes au système stalinien.

C'est alors qu'ils furent impressionnés par la capacité de la classe ouvrière à faire reculer le pouvoir.

En effet, en décembre 1970, la classe ouvrière des ports de la Baltique engagea une épreuve de force contre le gouvernement de Gomulka.

Cette fois, c'est la classe ouvrière qui se battit seule, sans soutien d'aucune sorte de la part des intellectuels, et sans espoir de changer le régime.

Le 12 décembre 1970, le gouvernement avait annoncé des hausses de 30 % en moyenne sur les produits de première nécessité. A la veille des fêtes de Noël, c'était une vérile provocation. La grève commença aussitôt aux chantiers navals de Gdansk. Elle gagna rapidement les villes industrielles les plus proches, Gdynia, Sopot et Elblag. Le 14 décembre, des milliers d'ouvriers manifestaient en espérant rencontrer des autorités acceptant de négocier. On criait comme à Poznan en 1956 : « du pain, du pain », mais aussi : « du pain sec pour Gomulka ». La seule réponse des autorités fut d'envoyer la milice tirer sur les ouvriers. Les manifestants attaquèrent les bâtiments du Parti et de la milice. Ils saccagèrent les magasins. Un nouveau slogan apparut : « A bas la bourgeoisie rouge ».

Le lendemain, Gomulka envoyait les blindés et les troupes de l'armée pour appuyer la milice.

L'exaspération des ouvriers fut à son comble. Des miliciens furent lynchés, roulés dans des barbelés et jetés dans les eaux du port. A Gdynia, les ouvriers faisaient grève depuis deux jours et une négociation locale avait donné satisfaction à leurs revendications. Contre toute attente, le comité de grève fut arrêté et le lendemain, la milice et l'armée tiraient à la mitrailleuse sur les ouvriers se rendant au travail. « Assassins ! », « Gestapo ! », hurlait la foule.

Des affrontements meurtriers s'étaient également produits à Szczecin. Les ouvriers y avaient élu un comité de grève prenant en charge toute la vie de la ville.

La répression sur tout le littoral fit entre 200 et 500 morts. Le chiffre est imprécis car les responsables de ces fusillades s'efforcèrent de cacher leurs crimes. Tous les camions frigorifiques du littoral furent réquisitionnés pour ramasser les cadavres ; les enterrements se faisaient à la sauvette.

Les émeutes entraînèrent la chute de Gomulka. Le 23 décembre 1970, il fut remplacé par Gierek, un ancien mineur. Cela ne pouvait duper les travailleurs. En janvier 1971, les grèves reprirent. A Szczecin les ouvriers occupèrent les chantiers, élirent un nouveau comité de grève et contraignirent Gierek à venir en personne discuter sur place durant neuf heures de confrontation avec les grévistes.

Mais les hausses de prix n'étaient toujours pas annulées. Il fallut encore la grève des ouvrières du textile à Lodz le 16 février 1971 pour que Gierek annule enfin pour deux ans les hausses décidées en décembre précédent.

Cette répression sanglante n'avait pas été seulement le fait de la milice, mais aussi de l'armée, cette armée polonaise qui onze ans plus tard accomplit le coup d'État de Jaruzelski. Si des milliers et des milliers de travailleurs gardèrent en mémoire ce qu'avait été la sauvagerie de la répression, ils n'en tirèrent pas, malheureusement, une leçon politique durable : à savoir que l'armée polonaise et tout l'appareil de répression de l'État sont l'ultime recours des couches privilégiées face aux ouvriers qui se battent pour leur pain et pour leur liberté !

Il faut dire que personne parmi les opposants politiques ne fit en sorte que les travailleurs dégagent cette leçon.

L'évolution des intellectuels polonais

Depuis vingt ans, les préoccupations des intellectuels de gauche avaient été tout autres.

Dans leur aspiration à un communisme authentique, ils avaient cherché du côté des courants staliniens qui leur paraissaient les plus libéraux, comme le titisme ou le gomulkisme. Parfois même (ce fut le cas de Kuron et Modzelewski), ils avaient eu une attirance passagère pour des idées teintées de trotskysme.

Maïs ils n'avaient pas su aller jusqu'au bout de leur démarche vers le communisme, vers les seules idées qui permettent de combattre le stalinisme, radicalement, sans tomber dans le camp de la bourgeoisie. Ils n'avaient pas su adopter pleinement les idées de la révolution prolétarienne internationale. Ils n'étaient pas devenus les militants de ces idées-là. Et c'était pourtant la seule voie permettant d'offrir une perspective politique à la classe ouvrière qui soit conforme à ses intérêts.

Après 1968, lorsque le régime poussa l'infamie jusqu'à puiser dans l'arsenal de l'antisémitisme pour pouvoir plus facilement bâillonner les intellectuels contestataires, ils finirent par tourner le dos complètement au communisme et chercher leur inspiration du côté de ces idées social-démocrates qui en Occident, précisément à cette époque, revigorées par l'après-mai 68 français, semblaient connaître une seconde jeunesse. Ils furent séduits par la politique des réformes à petits pas. Elle correspondait à leur volonté d'oeuvrer à des transformations progressives de l'État national polonais dans le sens d'une démocratie parlementaire à l'occidentale.

En regard du visage odieux du régime stalinien, le milieu dont Jacek Kuron était l'un des représentants avait sans doute quelques raisons d'être attiré par les idées à l'eau de rose des sociaux-démocrates occidentaux.

Mais ces idées ne valent pas mieux pour les ouvriers en Pologne que pour les ouvriers en France, même si en Pologne elles peuvent avoir cette apparence de générosité et de désintéressement que leur vaut le fait d'être des idées d'opposition, et condamnées à le rester.

En se cherchant des alliés dans la voie du réformisme, les opposants de gauche rencontrèrent l'Eglise et les intellectuels catholiques.

L'Eglise avait su renforcer ses positions au sein de la société, et vivre en assez bonne intelligence avec le régime depuis les concessions que lui avait faites Gomulka en 1956. Elle était la force d'opposition officieuse, attentive à renforcer son poids dès que les occasions se présentaient, mais soucieuse comme toujours de ne pas mettre de l'huile sur le feu quand des violents conflits ébranlaient le pouvoir.

De leur côté, l'Eglise et le milieu des intellectuels catholiques surent faire des gestes pour faciliter le rapprochement avec les intellectuels revenus du stalinisme et en rupture avec le régime. Les députés catholiques du cercle Znak avaient manifesté d'autant plus facilement leur solidarité avec les étudiants réprimés en 1968 que c'étaient des étudiants ; et qu'ils étaient nationalistes, même lorsqu'ils se voulaient à gauche. Leur journal ouvrit ses colonnes à certains d'entre eux. Ceux qui sortaient de prison au début des années 1970 et étaient exclus des universités d'État, purent continuer leurs études à l'université catholique de Lublin.

Des liens humains se créèrent qui devinrent bientôt politiques. De part et d'autre, on découvrait qu'une entente était possible au nom de la défense des droits de l'homme et des libertés.

L'alliance prit corps en 1975 quand des milliers d'intellectuels de tous les horizons politiques, de la gauche en rupture avec le marxisme à la droite nationaliste, firent campagne contre un projet gouvernemental de réforme de la Constitution.

Cependant, le milieu des intellectuels de l'opposition restait très attentif aux mouvements qui risquaient de surgir au sein de la classe ouvrière. Ils comptaient sur elle comme un groupe social de pression capable de provoquer, selon leurs termes, « l'évolution de la vie nationale vers la démocratisation ».

A la manière des populistes russes qui allèrent vers le peuple au siècle dernier, ils étaient décidés à aller vers la classe ouvrière, pas pour lui permettre de jouer un rôle conscient et révolutionnaire, mais pour s'appuyer sur elle comme sur une masse de manoeuvre susceptible d'imposer des réformes à l'État.

1976 : Des grèves de Radom et Ursus à la fondation du Comité de défense des ouvriers

L'année 1976 marqua une étape importante dans les rapports entre la classe ouvrière et l'opposition intellectuelle.

Le 24 juin 1976, Gierek provoqua un nouveau mouvement de colère de la classe ouvrière en annonçant des hausses de 39 % en moyenne sur les prix alimentaires. Ce fut le signal de grèves dans tout le pays.

C'est à Ursus, dans la banlieue de Varsovie, et à Radom, que le mouvement fut le plus dur. Des milliers de travailleurs occupèrent la rue et attaquèrent les bâtiments du Parti. A Radom, la milice tira sur la foule et dix-sept personnes furent tuées. Mais le gouvernement prit peur. Vingt-quatre heures après l'annonce des hausses, il annonça leur annulation. Il fit payer ce recul aux secteurs les plus combatifs de la classe ouvrière. Des centaines de grévistes furent licenciés, arrêtés et assés dans les locaux de la police. Certains furent condamnés à de lourdes peines d'emprisonnement.

Le gouvernement poussa l'ignominie plus loin. Il organisa une série de meetings monstres qui avaient l'allure de tribunaux pour humilier les participants aux grèves. A Radom par exemple, 40 000 personnes amenées de toute la Pologne et installées dans le stade de la ville insultèrent cinquante travailleurs placés dans une tribune spéciale. L'un d'eux fut contraint de faire un discours d'autocritique au nom de ses camarades.

De nombreuses personnes faisant partie de la petite bourgeoisie intellectuelle allèrent spontanément assister aux procès des ouvriers d'Ursus et de Radom. Ce mouvement de sympathie à l'égard des ouvriers était un fait social relativement étendu. Il débordait les initiatives prises par les opposants politiques comme Jacek Kuron, Adam Michnik et d'autres. Ceux-ci avaient en effet réagi rapidement et en septembre 1976, ils créèrent le KOR, le Comité de défense des ouvriers. Leur groupe se présentait comme dépourvu d'objectifs politiques. En fait, si les membres du KOR venaient d'horizons politiques différents, ils avaient comme dénominateur commun leur attachement aux idées libérales et nationalistes.

Au sein du KOR se retrouvaient d'anciens militants du POUP, un prêtre, des intellectuels catholiques, d'anciens militants du Parti Socialiste Polonais d'avant-guerre, d'anciens combattants de la résistance nationaliste, et des écrivains et artistes sans passé politique.

Les membres du KOR étaient des intellectuels courageux qui surent sacrifier toute perspective de réussite sociale personnelle, qui surent payer de leur personne pour vaincre les obstacles et gagner des travailleurs. Ils surent trouver l'estime d'un certain nombre d'entre eux.

Si les membres du KOR, même peu nombreux, gagnèrent la confiance de travailleurs parmi les meilleurs de la classe ouvrière polonaise, ce n'était que justice, car cette confiance, ils la méritaient. Ce qu'ils avaient fait et bien fait, les ouvriers s'en souviendraient en août 1980. Mais le drame, c'est que les travailleurs accorderaient du même coup leur crédit aux idées qu'ils défendaient. Or, ces idées ne pouvaient. pas armer la classe ouvrière et servir ses intérêts.

Sous prétexte de réaliser un large rassemblement de tous les opposants, ils avaient remis en honneur les idées nationalistes et réformistes, ils avaient contribué à parer l'Eglise et le catholicisme de toutes les vertus. Nous ne savons pas si, de la part des responsables du KOR, dire du bien du pape et de la religion découlait d'une conviction ou s'il s'agissait d'un calcul démagogique, d'un truchement facile pour se lier aux masses populaires, pour le compte d'une politique, au fond, social-démocrate.

Mais cela n'y change rien.

La grève de Gdansk d'août 1980

En 1979-1980, la situation était devenue extrêmement critique. La crise mondiale frappait la Pologne de plein fouet. Des centaines de mouvements de grève pour des motifs économiques avaient eu lieu.

Lorsque, le 1er juillet 1980, le gouvernement décida d'augmenter de 50 à 100 % selon les qualités, le prix de la viande vendue directement dans les lieux de travail, le jour même, dans un atelier de l'usine de tracteurs d'Ursus, près de Varsovie, la grève éclata, à l'initiative de jeunes militants proches du KOR. Les grévistes élurent une commission ouvrière.

Ils réclamaient l'annulation de la hausse des prix et l'échelle mobile des salaires. Le lendemain, le directeur et les responsables du Parti promettaient tout ce qu'on voulait.

Le gouvernement, qui tentait d'appliquer sa décision en souplesse, c'est-à-dire en ne touchant pas toutes les régions en même temps, annula les hausses, puis changea d'avis, et il y eut ainsi toute une valse-hésitation des étiquettes, qui n'arrangea rien.

Une deuxième vague de grèves éclata, notamment dans la grande usine d'automobiles de Zeran à Varsovie, et parmi les ouvrières du textile à Lodz, ces mêmes ouvrières qui avaient fait capituler Gierek déjà sur ses hausses de prix, en février 1971. La ville de Lublin vécut plusieurs jours de grève générale à la mi-juillet.

Ainsi, 150 à 200 entreprises furent touchées par des mouvements grévistes durant ce mois de juillet et le début du mois d'août. Des comités de grève furent élus en plusieurs endroits.

Les militants du KOR, qui conseillaient dans leur presse ouvrière de s'organiser à l'intérieur des usines afin de ne pas donner prise directement à la répression comme lors des affrontements antérieurs où les ouvriers étaient descendus immédiatement dans la rue, ces militants furent eux-mêmes surpris par l'ampleur que prenait le mouvement de grèves. Pourtant, ils s'y préparaient.

Les préparatifs de la grève

C'est dans ce climat agité que démarra le jeudi 14 août la grève du chantier Lénine à Gdansk.

Ce déclenchement nous est assez bien connu grâce à des témoignages de militants qui y contribuèrent directement. Ce furent tout particulièrement trois jeunes ouvriers de 23-24 ans, membres depuis un an du groupe fondé en 1977-78 par Bogdan Borusewicz, un intellectuel en liaison avec le KOR. Ce groupe s'appelait le Comité Constitutif des syndicats libres de la Baltique. Lech Walesa, licencié du chantier Lénine depuis 1976, y appartenait. De même, Anna Walentynowicz qui, après une série de brimades et de mutations disciplinaires, venait à son tour d'être licenciée. C'était une équipe soudée par plusieurs années d'expérience commune.

Le jeune Jerzy Borowczak a raconté comment il était entré en contact avec elle :

« Un jour, dans le train pour aller au boulot, on m'a donné un tract des syndicats libres sur lequel un nom était indiqué : celui de Bogdan Borusewicz (...) Je me suis adressé à lui (...) C'était simple. Je voulais participer. (...) Dans mon atelier (...) les gens (...) connaissaient les noms de Borusewicz, de Gwiazda, de Walesa. Il y avait beaucoup de sympathisants Pour moitié, les syndicats libres, c'était des jeunes, souvent originaires de la campagne. Ils n'avaient pas grand-chose à perdre. Mais il n'y avait pas que ceux-là. Par exemple, Lech Walesa, ou Alina Pienkowska qui avait un fils à élever (...). Ces gens-là renforçaient mon courage. »

Ce n'était pas simple en effet de militer dans les conditions de la Pologne.

« (...)On était sous surveillance. Il y avait plein de flics sur le chantier (...) je n'ai jamais été arrêté, mais, une ou deux fois, je l'ai échappé belle (...) Cela devenait dur et l'on se mettait à douter. Les copains allaient danser et nous courions nous réunir dans la forêt. Je n'ai jamais renoncé mais je n'en pensais pas moins (...) Il y avait des gens qui débloquaient et se mettaient à dénoncer (...). Il fallait se tenir coi, prendre garde à toute provocation. « Cependant, les tracts plaisaient aux ouvriers : « (...) Les copains les lisaient et venaient me trouver comme le facteur (...) A celui qui ne me demandait pas de tract, j'en glissais un dans son placard ».

Au printemps de 1980, « les gens commençaient à me demander : « Alors, on va faire grève dans l'atelier ? « Je répondais : « Pour le moment, je ne sais pas. Il faut avant tout que tout le monde soit conscient. Lisez nos bulletins. » « En juillet eurent lieu les augmentations (...) Les gens venaient me trouver et disaient : « Alors, dans les syndicats libres, qu'est-ce que vous en dites ? Qu'allez-vous faire ? Pourtant, vous êtes nombreux, vous avez du monde, qu'est-ce que vous fabriquez ? « Ils ne me laissaient pas le temps de respirer. Chaque jour, ils demandaient : « C'est pour quand la grève ? « (...)

« Dans mon atelier avait eu lieu une réunion concernant la production. On y avait soulevé la question d'Anna Walentynowicz. Elle n'était pas encore licenciée, mais le problème devenait crucial. On parlait déjà beaucoup de sa mutation sur le chantier. « (...).

« Dans mon atelier, j'avais dit : « Il va y avoir grève. Est-ce que vous en êtes ? Est-ce que c'est le moment ? - Bien entendu, répondirent-ils tous. Qu'est-ce qu'on attend ? On va tourner en rond encore longtemps ? « (...) Le 4 août, il y a eu une réunion (entre les militants) L'idée vint qu'il fallait faire quelque chose pour se défendre. Lech Walesa déclara : « La grève. Peut-être qu'il faut faire grève ». C'est tout. Autant dire rien. Mais déjà, Leszek (Il s'agit de Lech Walesa) donnait quelques noms de personnes auxquelles nous devrions nous adresser au chantier (...) Leszek avait travaillé avec eux pendant dix ans et déclaré que c'étaient des gens sûrs.

« Le samedi, Bogdan Borusewicz vint chez moi et m'annonça que Walentynowicz avait été licenciée disciplinairement (...). Nous sommes tombés d'accord pour déclencher la grève et nous avons discuté des moyens à mettre en oeuvre ».

La date fut fixée.

« (...) Nous avions prévu qu'il faudrait rassembler les gens, appeler à créer un comité de grève, y inscrire des noms et nous nous sommes demandé si nous devions en faire partie. Bogdan s'est écrié : « Enfin comment ? Vous déclenchez la grève et vous ne seriez pas dans le comité ? Vous devez obligatoirement faire partie du comité de grève ! « (...) On avait prévu d'avance que Leszek devait diriger la grève (...) Les gens le connaissaient (...) Nous savions qu'il parlait bien, qu'il avait le contact, car c'est lui qui avait prononcé le discours à l'anniversaire de décembre (...) C'était un bon orateur » (...)

« Walesa était issu du chantier. On savait que cela enflammerait les gens dès qu'il arriverait en disant qu'il y avait travaillé dix ans et qu'on l'avait mis à la porte » (...)

« Mon atelier étant peu important, 219 travailleurs, nous étions convenus qu'après les avoir regroupés je me rendrais à l'atelier K3. Là, il y avait 1300 ouvriers, et c'était à l'autre bout du chantier. En y allant avec mon groupe, on apprendrait à tous les ateliers qu'il y avait la grève. Nous déclencherions les sirènes et trancherions les problèmes d'organisation (...) Il y avait trois revendications ; la réintégration d'Anna Walentynowicz, une prime de vie chère et une augmentation de salaires de 1000 zlotys. Nous avions aussi prévu qu'en constituant le comité de grève, il faudrait appeler les travailleurs à formuler d'autres revendications à satisfaire ».

Le 14 août, au Chantier Lénine

« Je n'avais parlé à personne de la grève (...) En tout, cinq membres des syndicats libres étaient dans le coup (...) Entre nous, nous comptions les jours (...) Vous nous sommes donnés rendez-vous avec Lutek, le jeudi à quatre heures et demie (...) A peine Lutek avait-il quitté les vestiaires que les premiers ouvriers y arrivèrent. Aussitôt, je distribuais les tracts, déclarant que tout le chantier allait se mettre en grève ce jour-là, qu'on venait de mettre à la porte Walentynowicz qui travaillait depuis trente ans aux chantiers. J'appelais : « Rassemblons-nous en bas » (...) Ce sont les jeunes qui nous rejoignaient le plus volontiers ».

Une fois un groupe formé, Jerzy l'entraîna, après bien des péripéties, à travers une série d'ateliers voisins où la majorité cessait le travail à leur passage, malgré les pressions des chefs et des responsables du Parti.

« J'avais terriblement peur, dit-il, en marchant à travers le chantier. Pas de moi, mais des gens qui me suivaient. Si on les mettait à la porte, ils pourraient m'en vouloir de les avoir entraînés. Je leur disais sans hésitation : « W4 est arrêté. K3 est arrêté. En avant ! « Mais je ne savais rien (...) je me disais que si j'arrivais là-bas pour y trouver les gens au boulot, ils allaient m'écharper »,

« Il fallait se défoncer, prouver qu'il y en avait qui n'avaient pas peur (...)Nous avons aperçu le groupe de K3 (...) Un cri a retenti : Hourrah ! qui s'est répercuté. Je le savais. C'était la grève. «

« Quand nous nous sommes retrouvés tous les trois, la discussion a surgi entre nous pour savoir ce qu'il fallait dire aux gens. Aucun de nous ne savait parler. Qu'allions-nous dire ? Qu'il y avait la grève ? Cela se voyait. Il n'avait pas de temps à perdre et nous avons continué. » (...)

« Désormais, nous étions sûrs que cela allait marcher. Les ouvriers sortaient des quais et des navires, tout là-haut sur les ponts. Ils nous apercevaient et descendaient. A chaque instant, nous pouvions constater que nous étions un peu plus nombreux. (...) Nous avons aussitôt sauté sur une pelleteuse, bien qu'aucun de nous n'ait l'envie de prendre la parole. Personne ne savait trop que dire. Mais nous devions nous y forcer, et nous nous en sommes sortis. J'ai tout de suite déclaré qu'il fallait créer un comité de grève (...) et j'ai dit : « Nous nous inscrivons au comité de grève. Vous demandons que s'inscrivent aussi des plus âgés, avant tout des ouvriers » (...) le savais qu'en 1970 et 1976 deux chefs d'atelier s'étaient inscrits dans les comités de grève et les avaient tout simplement vendus. Je ne voulais pas que la situation se reproduise (...) Ensuite, c'est le directeur qui s'est amené avec sa suite (...) Nous l'avons aidé à grimper sur la pelleteuse (...) Il était stupéfait. Jamais il n'avait n'en vu de semblable (...)Mais les gens assemblés se mirent à siffler. Ils n'avaient absolument pas envie de l'entendre. J'aperçus Leszek qui arrivait en courant. je l'ai inscrit immédiatement vingt-et-unième sur la liste. Sans rien lui demander (...) Il a bondi sur la pelleteuse. Il avait l'air très énervé et s'est tourné vers le directeur : « Me reconnaissez-vous ? Dix ans, j'ai travaillé sur ce chantier. Et vous m'avez jeté dehors malgré le mandat de confiance du personnel ! « Les gens s'en prenaient au directeur, sans lui permettre d'en placer une.

« J'ai remis le papier à Leszek pour qu'il lise la liste du comité de grève. Il voit son nom et dit : « Même moi, on m'y a inscrit. M'acceptez-vous ? « Instantanément, tous applaudissent. Il a lu toute la liste et il (...) a commencé à dire qu'il fallait rassembler les revendications et s'organiser. Nous avons décidé que nous n'entreprendrions pas de négociations tant qu'il n'y aurait pas de haut-parleurs et tant qu'Anna Walentynowicz ne serait pas parmi nous. Les gens se sont mis à scander. Quelqu'un, je ne sais pas qui, avait lancé le mot d'ordre la ramener avec la voiture du directeur, il a donné son accord.

Tous ceux qui étaient inscrits au comité préparèrent les revendications, « La première étant qu'on ne nous vide pas après la grève., (...) Le point le plus important, c'était la création de syndicats libres. Nous savions bien que si nous n'obtenions pas cela, nous n'obtiendrions rien ».

(Ces passages sont extraits du récit intitulé L'homme naît et vit libre recueilli par Krzystof Wyszkowski - « Solidarnosc », 14 août 1981. Il a été publié en français dans Quand les journalistes polonais parlaient, recueil de textes présentés par Pierre Li - Editions Mégrelis, 1982.)

Le Comité de grève inter-entreprises se constitue

Dans l'agglomération de Gdansk, la nouvelle de la grève se répandit comme une traînée de poudre. Presque tous les autres chantiers de la baie ainsi que les entreprises travaillant pour l'industrie navale s'y joignirent dès le lendemain, le vendredi 15 août.

De leur côté, les autorités faisaient couper toutes les communications téléphoniques entre Gdansk et le reste du pays.

N'ayant rien obtenu lors des premières discussions, le comité de grève du chantier Lénine décida l'occupation. Les négociations durèrent jusqu'au samedi 16.

Finalement, la direction proposa une augmentation de 1500 zlotys et la majorité des délégués accepta d'abord le compromis. Cependant, les ouvriers dehors scandaient : 2000 ! 2000 ! Si bien que lorsque Walesa vint annoncer la fin de l'occupation, ce fut un moment critique. Il fut acclamé, mais en même temps, les ouvriers voulaient continuer. Les autres entreprises en grève n'avaient rien eu, même pas des promesses. Des délégués de ces entreprises étaient consternés : « Si vous reprenez, personne n'obtiendra rien ailleurs » .

Alors, Walesa prit la parole et déclara : « Il faut accepter le compromis même s'il n'est pas fameux, mais nous n'avons pas le droit de lâcher les autres : nous devons continuer la grève par solidarité jusqu'à la victoire de tous » . Cependant, précisa-t-il, « celle grève est différente, il faut élire de nouveaux délégués d'atelier. Ceux qui veulent rentrer chez eux le peuvent » .

On était à un tournant des événements. Le soir même de ce samedi 16 août, les délégués du chantier Lénine et de vingt et une autres entreprises constituèrent un comité de grève inter-entreprises, le MKS, qui fut dès lors la direction reconnue de la grève pour Gdansk et sa région.

Le lundi 18, la plupart des ouvriers qui avaient quitté le chantier le samedi, revinrent prendre part à l'occupation, tandis que le mouvement prenait de l'ampleur dans toute la région. 156 entreprises se retrouvèrent représentées dans le MKS ce lundi. Le lendemain, elles étaient 253. Une semaine plus tard, elles seraient plus de 600.

Durant le week-end, le MKS avait mis au point la liste des revendications : 21 points qui furent vivement débattus, avec en préalable le rélissement des lignes téléphoniques. La revendication mise en tête, portait sur l'acceptation de syndicats libres, indépendants du Parti et des employeurs (c'est-à-dire de l'État). Puis venaient la revendication du droit de grève, de la liberté d'expression, la réintégration des licenciés de 1970 et 1976, la libération des prisonniers politiques, une information correcte des médias sur la grève, ainsi que des initiatives ayant pour but de sortir le pays de la crise, notamment « la possibilité donnée à tous les milieux et groupes sociaux de participer aux discussions sur un programme de réforme » . La liste comprenait ensuite des revendications portant sur les salaires, l'approvisionnement, les retraites, la santé et les crèches, le logement, les transports, le samedi libre. Un point particulier réclamait la suppression des privilèges de la milice, de la police et de l'appareil du Parti en matière d'allocations familiales et de ventes réservées. Ce point demandait en même temps que les cadres soient désignés sur la base de leur qualification, et non d'après l'appartenance au Parti.

C'était tout un programme d'inspiration démocratique, qui allait être largement repris dans le pays.

La grève s'étend et s'organise

Les travailleurs de Gdansk se sentaient d'autant plus forts que, dans l'autre grand port de la Baltique, à Szczecin, les transports en commun, puis le chantier naval, se mirent en grève eux aussi les 16 et 18 août.

Et l'intervention de Gierek en personne à la télévision n'était pas à même d'enrayer le mouvement. Tout en annonçant des augmentations de salaires et en promettant la « débureaucratisation » des syndicats officiels, Gierek refusait toute concession politique et brandissait la menace des réactions du voisin soviétique. Ce fut peine perdue.

Les grévistes de Gdansk ne se laissèrent pas non plus contourner par la méthode de négociation choisie par le pouvoir, c'est-à-dire entreprise par entreprise. Il était politiquement important pour les autorités de ne pas reconnaître officiellement le MKS. Celui-ci dénonça la manoeuvre. En fait, seulement 17 usines sur les 253 en grève à ce moment-là, répondirent à la convocation et aucune ne reprit le travail. Si bien qu'une semaine, jour

pour jour, après le déclenchement de la grève au chantier Lénine, soit le jeudi 21 août, le négociateur en fonction fut remplacé par un autre vice premier ministre, nommé Jagielski.

Au même moment, le gouvernement continuait à exercer sa pression et sa répression : 18 militants du KOR étaient arrêtés à Varsovie, dont Jacek Kuron et Adam Michnik. Ils ne furent libérés qu'après la victoire des grévistes.

Du 21 au 28 août, au cours de cette deuxième semaine d'occupation dans les chantiers de Gdansk, la grève s'est d'une part étendue dans le pays et d'autre part elle s'est organisée et consolidée au chantier Lénine et autour de lui dans la vaste agglomération.

Dans le pays, à Szczecin, les entreprises en grève sur la ville fondèrent elles aussi leur MKS, et de même dans la ville industrielle d'Elblag. La grève devint générale dans la grande aciérie de Nowa Huta, près de Cracovie, ainsi que dans le combinat de cuivre de Glogow, en Basse Silésie. Les grévistes appuyaient les vingt et une revendications de Gdansk et demandaient qu'une négociation globale soit engagée par le gouvernement avec le MKS.

A Gdansk, les difficultés ne manquaient pas. Mais les grévistes tinrent bon. La milice était omniprésente non seulement aux abords du chantier Lénine mais aussi dans la ville et dans la région. Les délégués qui sortaient de l'enceinte des chantiers étaient constamment suivis par ce genre d'anges gardiens. Les miliciens essayaient d'entraver l'arrivée des délégations, de les bloquer sur les grands axes routiers, d'empêcher l'acheminement des tracts.

Pourtant, les délégués défilaient dans le chantier Lénine.

En même temps que l'espoir naissait, la méfiance des travailleurs restait profonde. Ils entendaient juger sur pièces. Pour cela, chaque délégué avait un magnétophone, il enregistrait tout ce qui se disait lors des négociations mais aussi dans la salle du comité de grève, et au retour dans son usine, les cassettes étaient diffusées à l'ensemble des travailleurs et à la population autour par la radio intérieure.

Le chantier Lénine mit sur pied un service d'ordre efficace, capable de le renseigner sur les mouvements de troupes dans la région, et d'écouter en permanence la radio qui reliait les voitures de la milice entre elles.

Six à dix mille personnes séjournaient dans le chantier où la consommation d'alcool était interdite. La population les soutenait pour le ravitaillement, notamment des paysans de la région, au prix de ruses pour échapper à la milice. Le MKS autorisa certaines entreprises à travailler pour le bien de tous. Il organisa la distribution du charbon et des médicaments dans les hôpitaux et les crèches.

C'est toute une population qui se montra solidaire des ouvriers en lutte. Les étudiants et les lycéens apportèrent leur aide. La crise atteignit le Parti Communiste lui-même. Dans les usines et les bureaux, à Varsovie notamment, les réunions d'information convoquées par le Parti se mirent à tourner à l'explosion de critiques. D'ailleurs, parmi les délégués au MKS, une bonne proportion avaient la carte du Parti.

Le gouvernement contraint à négocier avec le comité de grève

Du côté du gouvernement, la nomination, le 21 août, du vice-premier ministre Jagielski comme négociateur amorçait un tournant. Jagielski prit des contacts avec le MKS, et le samedi 23 août, il capitulait, entamant sa première négociation officielle avec la direction centrale des grévistes de Gdansk et de sa région.

Quelle victoire pour les travailleurs lorsque ce gros bonnet de vice-premier ministre dut pénétrer dans le chantier Lénine, escorté par Walesa, entre deux rangées d'ouvriers acclamant ce dernier !

Contraint à reconnaître le MKS comme interlocuteur, le ministre se résolut à donner du « Mon cher président » à Walesa lui-même et à se présenter à chaque membre du Présidium du MKS personnellement.

La revanche des ouvriers n'alla pas plus loin ce jour-là, car cette première séance n'aboutit pas.

Mais Gierek pouvait bien limoger son Premier ministre et remanier l'équipe au pouvoir, il pouvait faire des promesses de changement, les travailleurs n'en étaient plus là. Cela les laissa indifférents. Ils ne nourrissaient plus aucune illusion de ce côté-là. Comme dit une ouvrière d'Elblag : « En 1956, il y a eu Gomulka. Ma mère pleurait de Joie (...). Après est arrivé Gierek (...). Il nous a invitées, nous les ouvrières, à l'aider. Nous l'avons fait. J'ai coupé deux tonnes de toile par jour pour aider Gierek. Personne n'est venu nous demander pour combien d'argent nous bossions si dur. (Aujourd'hui) J'ai dit à mes copines que si dans l'entreprise les grèves ne donnent que 2000 zlotys d'augmentation, nous recommencerons pour obtenir 4000. On ne nous prendra pas pour des cons une fois de plus (...) . Et j'ai répété aux femmes de l'usine « Mettez-vous bien ça dans la tête. Dieu ne nous tombera pas du ciel » .

Le mardi 26 août fut une journée importante. Ne cédant toujours pas sur la question des syndicats indépendants, Jagielski promit le droit de grève. C'était un nouveau pas que le pouvoir avait été contraint de franchir.

De leur côté, les sommités de l'Eglise invitaient les grévistes à faire preuve de sagesse.

Le Primat de Pologne en personne, Wyszynski, apparut à la télévision appelant les grévistes à la modération, voire à la reprise du travail. Il avait rencontré secrètement Gierek la veille, et il vint à la rescousse des gouvernants : « Je considère que parfois il ne faut pas réclamer, exiger, revendiquer beaucoup, pourvu que l'ordre règne » .

Les curés étaient sans doute remplis d'aise que les ouvriers en grève écoutent la messe, mais l'Eglise aurait préféré qu'ils ne fassent qu'écouter la messe. Seulement, il se trouve que même ces prières dans la cour des usines n'étaient possibles que parce que, justement, les ouvriers ne se contentaient plus de prier...

Un autre fait nouveau, et qui eut son importance, se produisit au cours de ces quelques jours. Deux intellectuels réputés avaient proposé leur aide au MKS de Gdansk et comme ils ne suffisaient pas, le MKS demanda officiellement que d'autres viennent se joindre à eux, pour l'assister en tant qu' » experts » dans les négociations décisives qui se déroulaient. Le préfet, après avoir consulté en haut lieu, obtint des sauf-conduits et des places d'avion pour faire venir de Varsovie plusieurs personnalités de l'intelligentsia, économistes, juristes, sociologues. Plus tard, Walesa dira à leur propos : « Je n'ai pas tellement de conseillers. Il y a M. Mazowiecki, le professeur Geremek, le professeur Kukolowicz et jacek Kuron C'est tout pour les gens sérieux » .

Pour le moment, Kuron était sous la garde de la police. Mazowiecki était rédacteur eh chef d'une revue catholique, c'était un ancien député et un ami personnel du pape. Geremek était un professeur d'histoire de mentalité libérale, et Kukolowicz le représentant personnel du cardinal Wyszynski auprès de Walesa, l'oeil de l'église en somme.

De son côté, le ministre avait aussi ses conseillers. Les uns et les autres se connaissaient très bien. Une sociologue, qui faisait partie du groupe des experts dans le camp du comité de grève, a par la suite commenté la situation en ces termes : « Les intellectuels des deux bords faisaient plus ou moins partie de la même société varsovienne. Les experts du gouvernement étaient des spécialistes un peu critiques mais surtout loyaux envers le régime, et nous, des spécialistes plus ouvertement critiques mais acceples tout de même » .

Et elle a précisé par ailleurs : « Je pense que la présence des experts n'a pas été particulièrement favorable aux ouvriers. Cela a bien permis une bonne synthèse de leurs revendications, mais cela a aussi faussé l'expression authentique de leur mouvement. Car les ouvriers étaient très opposés au système, au point qu'ils ne voulaient même pas y toucher, et encore moins le réformer. Ils étaient contre, un point c'est tout » .

De son côté, Jan Litynski, un responsable du KOR, expliqua, quelques mois plus tard : « En ce qui concerne les salaires, les experts auraient pu (...) suggérer un système conforme aux exigences des ouvriers, à la fois simple et égalitaire. Or, on a introduit, dans un système salarial déjà compliqué, une suite d'augmentations respectant ce système, pour le compliquer davantage » .

D'après lui, ces experts jugeaient « irréalistes » toutes les revendications salariales, en n'en voyant que les conséquences inflationnistes. Ils cherchaient à les réduire au maximum. « Ils n'ont pas compris qu'un mouvement né de revendications concernant les salaires, le prix de la viande et un meilleur approvisionnement, ne pouvait pas finir en y renonçant » .

S'ils ne l'ont pas compris, c'est que leur incompréhension était politique, et plus encore sociale. Ces « experts » avaient leurs idées politiques, et ces idées ne partaient pas des aspirations de la classe ouvrière avec la volonté de les satisfaire jusqu'au bout - et surtout ces « experts » faisaient eux-mêmes partie des couches privilégiées polonaises. Ils avaient, sans aucun doute, des options politiques différentes de celles des hommes du régime, mais ils ne savaient que trop bien qu'on ne pouvait satisfaire les revendications ouvrières sans toucher à tous les privilèges.

La capitulation provisoire du pouvoir : les accords de Gdansk

Dans ces derniers jours du mois d'août, le rapport de force s'améliora encore en faveur des grévistes. La grève faisait tache d'huile dans le pays.

Le journal central du Parti pouvait bien évoquer le danger d'une intervention soviétique, les intellectuels s'en effrayer, les travailleurs se mettaient en grève maintenant à Wroclaw où ils fondaient un MKS c'est-à-dire un comité central de grève pour l'ensemble de la ville ; l'usine de Zeran s'y mettait à son tour ; et puis ce fut le tour des travailleurs de Lodz et, le 28 août, celui des mineurs de Silésie. Dans les comités de grève des mines de Jastrzebie, en Silésie et y compris à leur tête, figuraient des travailleurs qui étaient membres du Parti, ce qui ne les empêchait pas de dénoncer les privilégiés de l'appareil du Parti au pouvoir, « ceux qui s'enrichissent et qui ont des comptes en Occident ».

La production de charbon menacée, la situation devenait très sérieuse pour le pouvoir, d'autant que des ultimatums venant de diverses régions parlaient de grève générale pour le 1 er septembre.

Pour lui, il fallait en terminer rapidement.

Le 30 août, un accord était effectivement conclu à Szczecin (où 300 entreprises étaient en grève) sur toutes les revendications.

A Gdansk, le 30 août également, on aboutit à un accord de principe. Une séance fameuse se déroula, au cours de laquelle le ministre Jagielski répondit par un laconique « J'accepte, je signe » à l'énoncé de chacun des vingt et un points des revendications ouvrières. Et cela retransmis dans tout le chantier.

Quand Jagielski renâcla à garantir l'immunité pour les personnes ayant aidé les grévistes au même titre que pour les grévistes eux-mêmes, c'est-à-dire en l'occurrence surtout les militants du KOR, les délégués tempêtèrent.

La méfiance des travailleurs était d'autant plus vive que, depuis plusieurs jours que duraient ces négociations, il y avait eu bon nombre de conciliabules d'experts entre eux et de séances de travail à huis clos. Les dirigeants avaient relativement négligé de fournir informations et explications. En outre, l'accord de principe du 30 août reconnaissait explicitement le rôle dirigeant du Parti tandis qu'il ne garantissait pas explicitement le droit aux syndicats libres pour tout le pays, en dehors de Gdansk. Ce qui accrut le mécontentement.

Et puis l'imminence de la fin de la grève faisait aussi craindre pour l'avenir. Eparpillés dans leurs ateliers et non plus tous ensemble, les travailleurs seraient-ils assez forts en face des chefs, des secrétaires du Parti, de la milice ?

Les délégués du chantier « Commune de Paris » en particulier se montraient amers.

Dans une atmosphère houleuse, quelqu'un au micro réclama passionnément la libération des militants du KOR emprisonnés, certains depuis quinze jours, d'autres depuis. la veille : « Ils nous ont aidés depuis 1976« . Les travailleurs imposèrent alors à Walesa réticent d'exiger du ministre qu'il s'engage par écrit à obtenir leur libération ; sur quoi Walesa accepta et prononça même le mot de « ultimatum » - les ouvriers applaudirent, les experts blêmirent.

Finalement, le dimanche 31 août, alors qu'un groupe de soldats était venu au chantier informer que plusieurs de leurs camarades commençaient une grève de la faim en solidarité, qu'à Lublin des miliciens refusaient de se rendre à Gdansk en renfort, le ministre Jagielski réapparut : il confirmait ses engagements de la veille, s'engageait sur la libération des prisonniers politiques, et il signa l'ensemble des accords en moins d'une heure.

La cérémonie de signature fut diffusée le soir même à la télévision. C'était un événement sans précédent. « Nous avons gagné le droit de grève » commenta Walesa « nous avons reçu certaines garanties civiques et - c'est là le plus important - tout le peuple travailleur peut maintenant, volontairement, former ses syndicats » .

Une victoire des travailleurs, mais une direction politique au service d'autres intérêts

Les travailleurs de Gdansk avaient en effet obtenu une victoire politique de première grandeur.

Victoire politique en effet. Car même si les grèves avaient démarré sur des questions de salaires et de prix, la lutte avait évidemment d'emblée une portée politique. Le pouvoir était directement mis en cause par le simple fait que des milliers d'ouvriers avaient fait irruption sur ses chasses gardées, s'étaient organisés et s'étaient exprimés en toute indépendance vis-à-vis de lui.

C'est la classe ouvrière qui avait fait trembler l'édifice vermoulu de la dictature. C'est elle, c'est son combat qui avaient fait apparaître d'un seul coup tous ces ministres, tous ces secrétaires et au sommet tous ces secrétaires généraux - au pluriel parce que les événements de 1980-1981 en consommèrent deux - comme des pantins impuissants.

Mais si, grâce à la combativité ouvrière, le régime tremblait sur ses bases et se montrait, dans un premier temps, incapable de faire face à la situation, il y eut bien des forces politiques pour tenter de recueillir l'héritage.

Parce que sous l'apparent monolithisme de la dictature du Parti à peu près unique, il existait une vie politique souterraine, voire officieuse, des regroupements, des coteries.

Les uns étaient proches de l'Eglise, de ses idées cléricales et réactionnaires.

Les autres rêvaient de la Pologne de Pilsudski. Et la Pologne de Pilsudski, c'était celle des princes Radziwill ou Poniatowski, c'est-à-dire celle de richissimes propriétaires terriens d'un côté, et de la misère paysanne de l'autre ; c'était celle aussi de ce chef de guerre qui avait combattu l'Armée rouge en 1920.

D'autres encore regardaient vers l'Occident et rêvaient d'un régime parlementaire à l'occidentale.

D'autres encore se satisfaisaient du régime en place pour peu qu'il fût un peu plus indépendant de la tutelle soviétique.

Mais, au-delà de toutes leurs divergences et même de leurs oppositions, ils avaient tous sans exception quelque chose en commun, du cardinal Glemp à Lech Walesa, en passant par Jacek Kuron : c'est qu'ils étaient tous, les uns comme les autres, aussi hostiles au communisme vérile, c'est-à-dire à la destruction de l'appareil d'État par la révolution prolétarienne et à son remplacement par la dictature du prolétariat, que pouvaient y être hostiles les Gierek, Kania et Jaruzelski. C'est-à-dire qu'en fait tous ces gens-là, Walesa compris, non seulement ne se battaient pas pour les intérêts politiques fondamentaux du prolétariat, mais avaient tous la même crainte fondamentale, que le prolétariat s'engage sur la voie révolutionnaire et détruise cet État national polonais que, eux, voulaient tout au plus aménager, mais dans tous les cas préserver.

Ils préféraient tous se sacrifier, et sacrifier la classe ouvrière avec, plutôt que de voir le prolétariat s'engager sur cette voie.

Et c'est en ce sens que toutes ces forces, au-delà de leur diversité, se plaçaient fondamentalement, politiquement, dans le camp de la bourgeoisie.

Bien sûr, il n'y a pas de bourgeoisie puissante, en chair et en os, en Pologne, encore qu'il existe une petite bourgeoisie dont les privilèges ne sont pas liés pour tous à leur appartenance à l'appareil d'État. Mais la bourgeoisie est une classe internationale, et même là où elle n'est pas physiquement présente, ses intérêts politiques peuvent être représentés, et largement, sur toute la gamme du jeu politique.

Car tout de même ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de bourgeoisie en Pologne que le cardinal Wojtyla, futur pape Jean-Paul II, représentait d'autres intérêts que ceux de la bourgeoisie, ceux de l'impérialisme, ceux de la réaction !

Mais dans cet été 1980, par la force des choses et surtout par la force de la classe ouvrière, tous ces courants politiques prétendaient se placer dans le camp des ouvriers, prétendaient parler en leur nom. On faisait des messes pour la cause des travailleurs, et c'est dans les locaux des syndicats ouvriers qu'on affichait les portraits d'un Pilsudski qui, pour avoir été inconteslement anti-russe, n'en avait pas moins été un massacreur d'ouvriers.

Toutes ces forces voulaient capter l'énergie formidable déployée par les travailleurs, au service de leurs propres perspectives politiques. Et malheureusement il n'y avait que la classe ouvrière qui n'avait pas de perspectives politiques qui lui aient été absolument propres, indépendantes de l'influence des autres forces sociales. Il n'y avait pas de force politique cherchant à s'adresser à la conscience de classe de la classe ouvrière polonaise, à la développer, à la renforcer, à placer son combat revendicatif dans une perspective plus vaste, plus large. Il n'y avait pas de force politique exclusivement préoccupée de préparer la classe ouvrière à donner ses propres réponses aux problèmes qui se posaient à la société polonaise.

Toutes ces forces politiques tournaient autour de Solidarité, ou plus exactement dans et à la tête de Solidarité. Mais si la masse des travailleurs voyaient en Solidarité le syndicat indépendant dans le cadre duquel ils pouvaient s'organiser, se défendre, se battre, obtenir satisfaction à leurs revendications, en revanche les courants politiques qui cherchaient à utiliser Solidarité y voyaient, eux, la possibilité de mettre en place un appareil indépendant du régime, susceptible de peser sur lui, tout en composant avec lui, susceptible de briser par la petite porte le monopole du pouvoir politique exercé par le parti stalinien. En somme, un appareil susceptible de jouer avec plus de moyens et au service peut-être de perspectives politiques quelque peu différentes, le même rôle que celui qu'avait joué, de fait, au cours des années précédentes, l'Eglise - celui d'un parti d'opposition officieux, qui ne dirait pas son nom.

Alors, il y avait certainement une coïncidence entre les projets politiques de ceux qui voulaient mettre en place un appareil centralisé et s'en servir, et les aspirations de la masse des travailleurs qui ont créé et fait vivre les syndicats de Solidarité. Mais c'était une coïncidence. Pas une identité d'intérêts. Et surtout pas une identité d'intérêts de classe et donc de perspectives de classe.

Et Solidarnosc aura été tout cela à la fois. L'expression de la volonté revendicative et de l'énergie organisatrice de la classe ouvrière elle-même. Et en même temps une organisation politique qui ne disait pas son nom mais qui, avec son cléricalisme affiché, avec son nationalisme affirmé, avec son réformisme par rapport à l'appareil d'État, déployait clairement un drapeau.

Et si finalement l'État polonais ne put tolérer Solidarnosc, ce n'est certainement pas en raison du deuxième aspect.

Ce n'est certainement pas le nationalisme et le cléricalisme de la direction officielle de Solidarité qui gênait le régime ; ce n'est peut-être même pas son projet politique inavoué.

Non, ce que le régime voulait briser, c'est ce qu'il y avait derrière, c'est ce qui avait permis à tout cela d'exister : le mouvement des travailleurs.

Pas plus les couches privilégiées et l'État polonais que la bureaucratie russe ne pouvaient tolérer le fait que Solidarité, au-delà des projets politiques des uns et des autres, était le canal par lequel s'exprimait la classe ouvrière et par lequel elle posait des revendications, revendications qui menaçaient directement les positions, les privilèges, les sources de richesses de ces couches privilégiées.

Septembre 1980 - Mars 1981

Solidarité, un pôle pour l'ensemble de la société polonaise

La victoire des travailleurs de Gdansk eut des répercussions dans toute la société. Le pouvoir n'était donc pas intouchable, il pouvait être contraint à prendre en compte la volonté des masses. Et cela, c'était la classe ouvrière qui l'avait imposé. Ce sont sa détermination dans la lutte, son courage qui l'avaient rendu possible. C'est une des plus grandes leçons de l'été polonais, la démonstration éclatante de la puissance des travailleurs, du fait qu'ils représentent la force décisive dans la société, la seule capable de faire reculer le pouvoir.

Un espoir était né et le syndicat ouvrier devint un pôle pour toute la population. On s'adressa à Solidarité pour faire régler toute une série de problèmes de la vie sociale dans un sens pour une fois favorable à la population. Et chaque catégorie entreprit de fonder son syndicat indépendant et autogéré. Des étudiants aux paysans, en passant par les acteurs, jusqu'aux bonnes de curés, tout le monde s'y mit.

L'onde de choc provoquée par les accords de Gdansk se propagea ainsi pendant plusieurs mois jusqu'aux coins les plus reculés du pays.

Le parti officiel fit peau neuve. Le 6 septembre 1980, Gierek, officiellement malade, était remplacé par Stanislaw Kania, qui assura que les accords seraient respectés, en chargeant l'équipe Gierek de tous les péchés.

Le 22 septembre, quelque cinq cents représentants des nouveaux syndicats se réunirent en congrès à Gdansk. Une anecdote qui en dit long : une délégation arriva du fin fond de la Pologne, en taxi. Toute l'usine s'était cotisée pour payer le voyage, environ un mois de salaire.

La Fédération des Syndicats Solidarité - Solidarnosc - fut organisée non par métiers ou par branches mais sous forme territoriale, les syndicats régionaux, les MKZ.

Les travailleurs faisaient leur apprentissage de la liberté syndicale. A Varsovie, le vieil appartement qui, au début, servit de local à Solidarité, était envahi par les travailleurs venant déclarer leur nouveau syndicat, une foule de questions à la bouche : comment organiser une réunion, peut-on exiger un panneau d'information...

Un nouveau genre de queue apparut (ce n'est pas l'expérience de faire la queue qui manque aux Polonais), mais cette fois c'était pour apporter les adhésions par paquets.

Solidarité grossit de cinq millions d'adhérents à sept, puis huit, et jusqu'à près de dix millions. La quasi-totalité des ouvriers des grandes entreprises en faisaient partie.

Faire respecter les accords de Gdansk

Cependant, si l'impulsion donnée par la victoire ouvrière continuait sur sa lancée, rien n'était en fait acquis pour les ouvriers. D'emblée, ils durent systématiquement entrer en lutte pour faire respecter les accords de Gdansk.

Dès la fin septembre, Solidarité dut brandir l'arme de la grève pour arracher au gouvernement qu'il augmente les salaires dans les délais prévus par les accords, et pour faire pression afin d'avoir accès aux grands moyens d'information.

De mois en mois, jusqu'au printemps 1981, le gouvernement engagea contre Solidarité une série d'épreuves de force. Il n'avait reculé à Gdansk que contraint et forcé, dans la crainte d'une explosion générale dévastatrice, mais il entendait bien reconquérir sans tarder le terrain perdu.

La reconnaissance légale du syndicat fut l'occasion de la première de ces épreuves de force, et c'est tout un symbole. Le tribunal de Varsovie prétendit imposer que les statuts du syndicat mentionnent expressément le rôle dirigeant du Parti. Le 3 octobre, grève nationale d'avertissement d'une heure. Le 24 octobre : coup de force, le tribunal enregistrait de faux statuts, corrigés par ses seuls soins. Les travailleurs le ressentirent comme une provocation, et il y eut une poussée très large pour lancer une grève générale.

Mais le pouvoir recula : le 10 novembre, la Cour suprême cassa le faux enregistrement du tribunal de Varsovie, et ordonna l'enregistrement des statuts de Solidarité sans modification.

Dix jours plus tard, nouvelle épreuve de force. La milice arrêta un responsable de Solidarité de Varsovie. Il risquait plusieurs années de prison pour détention de « secrets d'État ». Les secrets d'État en question, c'était le texte d'une circulaire confidentielle du Procureur général sur les mesures policières à prendre contre les opposants, les « éléments anti-socialistes » comme ils osent dire. Les intentions répressives du pouvoir apparurent ainsi au grand jour.

Un atelier de l'usine d'Ursus se mit en grève illimitée pour obtenir la libération des militants arrêtés. Du même coup, les grévistes mirent en avant un ensemble de revendications destinées à contrôler les forces de police. L'affaire cristallisait l'exaspération accumulée depuis septembre devant les provocations du pouvoir, et devant la menace de répression toujours suspendue au-dessus de la tête des ouvriers.

Une nouvelle fois, le gouvernement jugea prudent de reculer.

Le 27 novembre, les troupes du Pacte de Varsovie effectuaient des mouvements menaçants. Les « partis frères » de RDA, de Tchécoslovaquie, dénonçaient une nouvelle fois l'ingérence impérialiste dans les affaires de la Pologne...

Quelques jours plus tard, Kania et son ministre de la Défense, un certain général Jaruzelski, se retrouvaient à Moscou pour une réunion au sommet de ce pacte de Varsovie. La déclaration finale affirmait : « La Pologne est, et restera, un maillon solide de la Communauté des États socialistes » , tout en assurant néanmoins de sa confiance les dirigeants polonais.

Mais la classe ouvrière demeurait mobilisée. A chacune des épreuves de force qui jalonnèrent cette période, c'est sous sa pression que le pouvoir fut amené à composer.

Tout l'hiver fut marqué par une multitude de conflits locaux. Des grèves sauvages éclataient un peu partout.

Dans la plupart des branches industrielles, les travailleurs faisaient pression pour obtenir des augmentations de salaires.

Et l'espoir né de Solidarité engendrait également des revendications plus ouvertement politiques. Des grèves éclatèrent pour exiger le départ du Voïvode - l'équivalent du Préfet - du chef de la police, de responsables du Parti. Dans ces circonstances, les griefs accumulés sortaient sur la place publique. « Quand une nation est pauvre, faut-il construire des palais pour le Parti pendant que les gens n'ont pas où se loger ? « , demanda par exemple un jeune ouvrier sous les applaudissements de la foule lors d'un tel procès public à Czestokowa.

Dans ce contexte, la cérémonie qui eut lieu à Gdansk le 15 décembre pour inaugurer le monument à la mémoire des victimes de décembre 1970 fut la démonstration délibérée d'une unanimité nationale parfaitement trompeuse. En présence d'une foule de plusieurs centaines de milliers de personnes, les dirigeants de Solidarité s'affichèrent significativement aux côtés des officiels du Parti et de l'État, des autorités ecclésiastiques, et même de l'amiral commandant la flotte de guerre.

Aux yeux de la masse des travailleurs, tout cela ne pouvait signifier qu'une chose : c'est qu'entre Polonais, les choses pouvaient s'arranger et qu'on pouvait s'entendre malgré tout.

Et il est vrai que la direction du mouvement syndical, tout comme le chef du gouvernement, l'archevêque et l'amiral présents, prétendait parier au nom des intérêts nationaux polonais. Là-dessus, en effet ils auraient pu trouver un terrain d'entente. Seulement, le problème c'est que les privilégiés polonais et les représentants de l'État n'avaient pas du tout l'intention, même au nom du nationalisme, d'accepter les revendications des travailleurs ni le fait qu'ils s'organisent pour les défendre.

Ces gens-là savent distinguer l'intérêt national et l'intérêt de classe. Le nationalisme n'est trompeur que pour les travailleurs.

Là où il n'y avait pas de terrain d'entente possible à terme, c'était entre le mouvement ouvrier en expansion et le pouvoir en place. Sur ce plan, croire à la possibilité d'un compromis, c'était pour le moins une illusion.

Le faire croire précisément devant un monument aux morts, un monument aux ouvriers assassinés par le même État avec son armée seulement dix ans auparavant, cela relevait de la trahison.

La tâche de l'heure n'était certainement pas d'endormir la classe ouvrière par des manifestations fallacieuses d'un prétendu intérêt général. L'heure était à organiser la défense des acquis d'août 1980. Et le pouvoir pour sa part ne se laissait pas endormir. Immédiatement, il repassait à l'offensive, revenant sur la promesse contenue dans les accords de Gdansk d'accorder aux travailleurs la semaine de cinq jours. Les mouvements de grève se multiplièrent d'un bout à l'autre de la Pologne, et Solidarité lança une grève nationale d'avertissement d'une heure le 3 février 1981.

« La situation est dangereuse, déclarait Walesa. Nous avons besoin d'unité nationale. Pour ce faire, nous, gouvernement et ouvriers, devons faire route commune, tous unis dans l'intérêt du pays. Nous, ouvriers, tendons donc la main au gouvernement. «

Après des négociations à l'usure, le gouvernement lâcha trois samedis libres par mois.

Mais, entre temps, le général Jaruzelski eut de la promotion. Il était ministre de la Défense. Le 9 février, il devint en plus Premier ministre.

Mars 1981 : la crise de Bydgoszcz

Le point culminant de la crise entre les travailleurs et le régime fut atteint en mars 1981. Le 19, dans la ville de Bydgoszcz, la milice et la police politique intervinrent brutalement dans la Préfecture, sur les lieux même où se déroulait une négociation entre des représentants de Solidarité et des représentants du gouvernement. Elles évacuèrent la salle en passant les syndicalistes à ac, en blessant plusieurs gravement, notamment un dirigeant national du syndicat. Et cela, sans que le représentant du gouvernement, présent, un vice-premier ministre, intervienne.

C'était une pure et simple provocation.

Dans le pays, l'émotion fut générale.

Les matraquages de Bydgoszcz avaient fait en quelques jours resurgir le spectre de la milice détestée, et fait se dresser la population, et notamment les jeunes ouvriers des grandes entreprises.

La menace constituée par les forces de répression de l'appareil d'État pouvait être concrètement montrée du doigt.

En mars 1981, l'affrontement fut différé, encore une fois in extremis. La grève générale n'eut pas lieu. Le 30 mars, veille du jour prévu pour le déclenchement de la grève, Walesa accepta un compromis sans contenu vérilement substantiel et de sa seule initiative annula le mot d'ordre.

Ce fut un tollé dans les instances dirigeantes de Solidarité. A vrai dire, les critiques émises ne portaient pas sur le contenu de l'accord conclu mais sur la manière peu démocratique dont la direction du, syndicat avait été mise devant le fait accompli.

Parmi les travailleurs, il y eut de la déception et même quelquefois de la rage.

Solidarité et le régime, face à face

La crise de mars 1981 marqua un jalon important dans le déroulement des événements.

Dans le camp des travailleurs, la montée revendicative des masses était arrivée alors peut-être à son point culminant.

Dans le camp du pouvoir, la période des compromis de façade se terminait.

En ce printemps-été 1981, la partie de bras de fer entre les deux forces sociales en présence devint plus serrée. Si Solidarité avait déployé sa puissance pour finalement ne pas s'en servir, la combativité de la classe ouvrière était bien loin d'être désamorcée. Les difficultés quotidiennes des travailleurs, la pénurie et même la faim s'installaient, et des explosions populaires, souvent marquées par le désespoir, allaient se produire pendant toute cette période.

En face, dans le camp du pouvoir, le Parti était devenu un instrument hors d'usage pour encadrer et tromper la population. L'appareil était incapable de mobiliser ses militants par sa politique : le Parti s'était progressivement vidé d'une bonne partie de ses membres, et les autres étaient de toute façon touchés eux aussi par la contagion de Solidarité.

Mais le Parti ne comptait plus pour l'État polonais, à ce moment-là.

Dans ce pays soi-disant communiste, face à l'agitation populaire, aux revendications, le dernier recours des privilégiés reste, comme partout, la force nue de l'armée.

Et à cette heure critique, où chacun ressentait que la situation ne pouvait plus guère se prolonger, qu'il fallait que l'un des deux camps l'emporte, ces privilégiés n'avaient plus que faire d'un parti politique impuissant.

L'heure pour le pouvoir n'était plus aux secrétaires généraux, mais aux généraux tout court.

Pour les travailleurs, l'heure aurait dû être à se préparer en face de cette menace. C'était difficile ? Oui, sans doute. Etait-ce impossible ? On peut être certain en tout cas que le bouillonnement social autour de Solidarité n'avait pas pu ne pas avoir un effet corrosif sur les forces de répression.

Une illustration en fut donnée par ce simple fait : quatre miliciens, malgré les risques qu'ils couraient, vinrent quelques mois plus tard demander l'aide du Congrès de Solidarité pour organiser un syndicat, au nom de 42 000 miliciens qui se déclaraient prêts à y adhérer, disaient-ils. Ils racontèrent aux journalistes qu'ils en avaient assez de se voir cracher à la figure par la population, et qu'ils voulaient retrouver son estime.

Et c'est bien significatif.

Seulement, pour que de tels cas d'espèce aient pu se transformer en un mouvement plus général, il aurait fallu que le milicien qui n'avait plus envie de se faire cracher à la figure, ou que le soldat qui n'avait pas envie de se transformer en gendarme contre ses frères, ses soeurs, ses parents, ou ses copains, il aurait fallu qu'ils soient accueillis par le mouvement ouvrier et encouragés ; il aurait fallu que ceux qui, comme ces miliciens, voulaient s'organiser à l'intérieur même des forces de répression, puissent avoir la conviction qu'ils ne resteraient pas isolés, qu'ils seraient au contraire suivis par d'autres.

Le formidable mouvement de la classe ouvrière polonaise avait entraîné toutes les catégories sociales sans exception. Et au sein de celles-ci, certains, tout civils qu'ils fussent, étaient bien plus loin des ouvriers que les ouvriers sous l'uniforme et encasernés.

La classe ouvrière polonaise a trouvé en elle au cours de toute cette période des ressources prodigieuses d'organisation, de dévouement, de détermination. Si elle avait consacré ne serait-ce qu'une fraction de ces ressources d'initiative et d'énergie à prendre contact avec les soldats, à les entourer, à les inviter aux réunions de Solidarité, à les assurer qu'elle ne les laisserait pas à la merci de la répression de la hiérarchie militaire, à populariser parmi eux les idées de Solidarité, l'avenir aurait pu être différent.

La classe ouvrière polonaise avait probablement la possibilité de désagréger l'armée, au moins de la rendre inapte à la répression.

Seulement pour cela, il faut une volonté politique.

Les ouvriers ne semblent pas s'être, spontanément, adressés de cette façon aux soldats, du moins pas à un point nole, et c'est peut-être là une des limites internes du mouvement lui-même. Peut-être. Mais ce qui est certain, en revanche, c'est que ses dirigeants avaient la volonté politique de l'éviter.

Par nationalisme - sans aucun doute - en ce sens qu'ils considéraient l'armée comme le garant de cette Pologne au nom de laquelle ils prétendaient mener leur combat ; mais surtout, par réformisme profond.

Même les dirigeants les plus déterminés du mouvement n'avaient pas pour perspective la destruction de l'État au nom des travailleurs. Ils concevaient leur rôle comme celui d'avocats des travailleurs auprès de l'État, c'est-à-dire en réalité des avocats de l'État auprès des travailleurs.

Par exemple, Adam Michnik déclarait, dans une conférence publique à Varsovie : « Les intérêts des ouvriers ne sont pas seuls en jeu ; ceux du pouvoir le sont aussi, quand bien même ce pouvoir ne s'en rend pas compte. Car si gênant que soit Solidarité pour le pouvoir... il lui offre une chance de dialogue avec la société. Car ce n'est pas avec une foule inorganisée et révoltée, qui incendie les comités du Parti, force les portes des prisons et des postes de milice, qu'il pourrait avoir cette chance... »

Adam Michnik ne voulait absolument pas s'identifier et se faire le porte-parole de cette « masse inculte » qui incendie les comités du Parti, force les portes des prisons et des postes de la milice. Et pourtant, c'est devant ces forces brutes que le pouvoir avait tremblé en août 1980 au point de reculer. Michnik, comme ses amis, savaient s'appuyer dessus, mais au fond ils en avaient peur.

Ils préféraient jouer les conciliateurs entre les deux camps, alors qu'aucune conciliation n'était possible. En offrant le dialogue, c'était les travailleurs que Michnik et les siens trompaient. Certainement pas les hommes du pouvoir. Ceux-ci l'ont montré quelques mois plus tard.

Vers le coup de force de l'armée polonaise

Les sommets dirigeants de l'armée se mirent au cours du printemps et de l'été 1981 à préparer leur solution à la crise.

A la fin juillet, deux nouveaux généraux entraient dans le gouvernement qui en comptait déjà un, sans parler du général Premier ministre. Tous les quatre seraient membres de la junte du coup de force en décembre.

En août, les bruits de bottes s'amplifièrent. Des manoeuvres en commun entre l'armée polonaise et celles des « pays frères » eurent lieu, tandis que Jaruzelski rencontrait le commandant en chef russe des forces du Pacte de Varsovie.

Le 6 août, le gouvernement annonça la diminution des rations de viande ainsi que la hausse par deux ou par trois des prix des denrées alimentaires de base. Et il rompit brutalement les négociations en cours sur les problèmes de ravitaillement.

Désormais, le pouvoir fermait toutes les portes. Il défiait ouvertement les travailleurs et Solidarité sur le terrain même où la classe ouvrière s'était mobilisée un an auparavant, sur la question des prix et du ravitaillement. Inabordables pour la bourse des travailleurs dans le circuit commercial, les produits concernés par le rationnement se faisaient de plus en plus rares. Souvent, les tickets d'un rationnement déjà sévère ne pouvaient même pas être honorés, et c'était des heures et des heures de queue pour rien. Les choses élémentaires, le savon, le dentifrice, le coton, tout faisait défaut.

Dans de telles conditions, syndicat ou pas, des explosions populaires ne pouvaient manquer de se produire.

Des manifestations, des actions diverses eurent lieu, en particulier à Varsovie. Des marches de la faim rassemblèrent des dizaines de milliers de femmes dans une série de villes. Ce fut le cas notamment à Lodz, où les travailleurs avaient des conditions de vie terribles. Les ouvrières, après des heures de queue durant la, nuit, allaient directement à l'usine pour trouver des conditions de travail dignes du XIXe siècle. Elles étaient tout simplement exténuées en permanence. A 50 000, elles défilèrent derrière une banderole proclamant : « Affamés de tous les pays, unissez-vous » . Dans d'autres secteurs de la classe ouvrière, parmi les jeunes ouvriers des grandes entreprises en particulier, l'impatience allait grandissant

Et que proposaient les dirigeants de Solidarité en riposte à la violence de la provocation du pouvoir en place ?

Eh bien, ils discutaient de projets et de contre-projets détaillés sur l'art et la manière de mettre sur pied des conseils de travailleurs destinés à gérer les entreprises à travers l'élection de leurs directeurs.

Walesa et Kuron, les leaders les plus populaires en milieu ouvrier, volèrent bien des fois à là rescousse pour convaincre des grévistes de reprendre le travail, durant cette période. Car, disait Kuron : « plus les gens seront nombreux à combattre la crise et à forger le système autogestionnaire, une nouvelle structure de conseils du peuple, etc..., plus on a de chances de faire preuve de patience face à celle période difficile ».

La hiérarchie militaire, elle, ne faisait plus preuve de patience. Elle fourbissait ses armes.

La rupture des négociations entre Solidarité et le gouvernement donna le signal d'une campagne de presse sans précédent contre Solidarité et l'opposition politique, c'est-à-dire avant tout le KOR. Le journal de l'armée polonaise était particulièrement virulent. Il y eut de nombreuses inculpations de syndicalistes et interpellations de militants.

La direction de Solidarité multiplia les preuves de sa bonne volonté : elle demanda aux travailleurs de se remettre au travail pendant huit samedis libres. Elle se déclara prête à accepter certaines augmentations de prix, à condition d'être consultée auparavant, et à condition que ces augmentations soient intégrées à une réforme économique d'ensemble. Puis elle appela à cesser toutes grèves et marches de la faim jusqu'à l'ouverture du premier Congrès national du syndicat, en septembre.

Solidarité battait en retraite.

La désorientation, le sentiment d'impuissance d'une partie au moins des travailleurs s'exprimèrent nettement dans ces paroles lancées à Kuron par un ouvrier gréviste refusant de reprendre le travail : « Pendant longtemps, on nous a menti. je ne connaissais pas la vérité. Et puis, toi et les autres, vous êtes arrivés. Et puis merde, ça a ouvert quelque chose dans ma tête. J'ai compris qu'il ne fallait pas se laisser faire. Et maintenant, c'est toi qui me dis de laisser tomber ! »

Le Congrès de Solidarité fut une dernière démonstration éclatante de la puissance qu'il représentait, et la démocratie qui régna dans ces débats était l'image de la liberté que la classe ouvrière polonaise avait conquise. Malheureusement pour les travailleurs polonais, la seule politique qui fut mise en avant n'allait pas dans le sens de leurs intérêts.

Le 18 octobre 1981, le général Jaruzelski - Premier ministre et ministre de la Défense - évinçait Kania et devenait Premier secrétaire du Parti. Il faisait entrer au Bureau politique son ami le chef d'état-major de l'armée, ancien commandant des troupes polonaises d'invasion en Tchécoslovaquie en 1968.

Les préparatifs du coup de force se firent de plus en plus flagrants.

Et, dans la nuit du samedi 12 au dimanche 13 décembre, un Conseil militaire de Salut National présidé par Jaruzelski proclama l'état de guerre.

Le chef de l'Eglise lança un appel à la soumission, qui fut retransmis par la radio : « Je demanderai même si je dois le faire à genoux et les pieds nus, qu'un Polonais ne lutte pas contre un Polonais. Ne donnez pas vos têtes, frères ouvriers et travailleurs des grandes entreprises » .

Les chefs militaires, eux, ne se gênaient pas pour tirer sur des ouvriers polonais. jamais une classe exploiteuse n'est gênée de tirer sur « ses » ouvriers lorsqu'elle juge ses intérêts menacés.

En une nuit, l'appareil de Solidarité se trouva annihilé En quelques jours, la résistance des grandes usines allait être brisée, malgré quelques combats d'arrière-garde, désespérés et sans perspective dans plusieurs mines et usines.

Le correspondant du journal Le Monde pouvait écrire : « La réalité de l'état de guerre, c'est une armée qui a vaincu son propre peuple... » .

La nécessité d'une politique indépendante pour la classe ouvrière, la nécessité d'un parti ouvrier révolutionnaire

Aujourd'hui encore, après quatre ans de dictature, la classe ouvrière polonaise continue à payer le prix de la défaite sans combat à laquelle l'a, de fait, conduite la politique de la direction de Solidarité.

Nous ne savons pas dans quelle mesure la direction de Solidarité représentait les aspirations, les idées, les préjugés de la classe ouvrière elle-même. En d'autres termes, nous ne savons pas si le mouvement des ouvriers de 1980-1981 avait en lui-même les ressources suffisantes pour dépasser le cadre qu'entendait lui fixer la direction de Solidarité. Cette direction qui ne savait peut-être pas très bien ce qu'elle voulait et dont sans doute, bien des membres cherchaient sincèrement leur voie, mais qui s'est mise au service de forces politiques qui, elles, savaient, ô combien, ce qu'elles ne voulaient pas : c'est-à-dire détruire l'appareil d'État national par les moyens de la révolution prolétarienne, et le remplacer par le pouvoir des ouvriers en armes.

La direction de Solidarité était inconteslement une direction démocratique, au sens où ce n'est pas par l'intermédiaire d'un appareil incontrôlé qu'elle faisait passer sa politique dans la classe ouvrière.

Mais pour savoir si l'orientation de Solidarité correspondait à l'état d'esprit des travailleurs eux-mêmes, il aurait fallu que les travailleurs aient le choix d'une autre orientation.

Malheureusement, personne n'a défendu une autre orientation, une autre perspective, c'est-à-dire une perspective de révolution communiste.

Mais si la classe ouvrière polonaise a été vaincue, elle n'a pas été brisée. Et finalement, malgré l'aboutissement tragique de 1981, la classe ouvrière polonaise a eu raison de lutter. Parce que, même vaincue, elle ne paie pas plus cher pour sa lutte, que ce que les classes ouvrières des autres pays de l'Est paient pour leur résignation.

Paradoxalement en effet, malgré la brochette de généraux et de militaires qui gouverne ce pays, la classe ouvrière polonaise a conquis une forme de liberté que toutes les classes ouvrières de tous les pays de l'Est, et les classes ouvrières de la plupart des pays de l'Ouest, pourraient lui envier. Car il y a, aujourd'hui, dans la Pologne de Jaruzelski, plus de libertés ouvrières que dans la Roumanie de Ceaucescu ou dans la Tchécoslovaquie de Husak. Parce que des milliers de travailleurs continuent à agir, à militer, à s'organiser. Des milliers de tracts circulent sous le manteau, des centaines de journaux, de publications ouvrières sont publiés clandestinement. Et les travailleurs polonais continuent à développer un trésor d'imagination, d'ingéniosité et de courage pour les faire circuler.

Jaruzelski et son régime ne sont pas au bout de leurs peines. Et le répit dont bénéficie ce régime est peut-être de courte durée. Car si c'est grâce à l'armée et grâce à la politique de la direction de Solidarité que Jaruzelski a pu prendre le pouvoir, il ne lui est pas donné pour autant de résoudre les problèmes économiques de la Pologne et de satisfaire les classes populaires dans ce pays, de toute façon pauvre, et que la crise a rendu plus pauvre encore.

Mais le problème de la direction politique de la classe ouvrière reste

Les principales tendances existant dans la classe ouvrière ont capitulé devant le nationalisme et devant le cléricalisme.

Evidemment les prétentions « socialistes » des dictatures anti-ouvrières au pouvoir dans les pays de l'Est, comme la prétention « communiste » de la bureaucratie soviétique qui les protège et les tient en tutelle, ont de quoi désorienter politiquement la classe ouvrière. Et les capacités de combat des travailleurs qui ont pu être canalisées en Pologne sur le plan politique au profit de forces nationalistes visant seulement à faire évoluer l'État polonais dans un sens pro-occidental, peuvent encore être canalisées ainsi dans l'avenir, en Pologne comme dans les autres pays de l'Est.

Mais tant qu'il y a des milliers de travailleurs en Pologne qui ne rentrent pas dans le rang et qui cherchent, n'en doutons pas, une explication aux causes de leur défaite, qui cherchent à comprendre, nous avons la conviction que tous les espoirs sont permis.

Parce qu'il y a une autre politique pour la classe ouvrière en Pologne, comme plus généralement pour les classes ouvrières des pays de l'Est. Une Politique de classe, une politique qui chercherait des alliés pour la classe ouvrière, contre la bureaucratie soviétique, non pas du côté des forces qui représentent les intérêts politiques de la bourgeoisie, d'ailleurs occidentale plus que polonaise, mais du côté des travailleurs des autres pays de l'Est, à commencer par les travailleurs de l'Union soviétique.

C'est au nom du réalisme que parlent tous ceux qui ne veulent pas que la classe ouvrière prenne conscience de ses intérêts et se batte pour renverser le pouvoir de la bureaucratie russe et des États nationaux des pays de l'Est, pour le remplacer par le pouvoir du prolétariat. Mais justement, décembre 1981 a montré clairement que c'est ce réalisme-là qui est utopique.

En Pologne comme plus généralement dans les pays de l'Est, la seule voie réaliste pour la classe ouvrière, c'est de se préparer à régler les problèmes de la société par les moyens de la révolution prolétarienne. Et c'est justement au nom de cette voie, que le prolétariat polonais peut s'adresser aux prolétaires tchécoslovaques, hongrois, roumains et surtout russes. C'est au nom de cette voie-là, qu'il devra aussi s'adresser aux prolétaires d'Occident.

Il n'y a pas de solution particulière pour la classe ouvrière polonaise. Pas plus que pour aucune classe ouvrière du monde. Toute solution particulière n'est en fait qu'une solution pour d'autres classes qu'elle.

Si parmi les militants qui agissent aujourd'hui en Pologne, il y a ne serait-ce qu'une fraction qui comprenne cela et qui se mette à militer sur cette base, la classe ouvrière polonaise aura ouvert une perspective, et pas seulement pour elle-même, mais pour tous les prolétaires du monde.

Annexe : Pologne 1918-1981, chronologie sommaire

18 novembre 1918 : formation du premier gouvernement de la Pologne indépendante après 124 années de non-existence d'un État polonais et de l'occupation du pays par la Russie, l'Allemagne et l'Autriche. Josef Pilsudski (1867-1935) devient chef de l'État.

1920-1921 : guerre entre la Russie soviétique et la Pologne, terminée par le traité de Riga, qui détermine le tracé de la frontière Est de la Pologne.

3 mai 1921 : début de la troisième insurrection silésienne à l'issue de laquelle une grande partie de la Haute Silésie revient à la Pologne.

25 mai 1926 : Josef Pilsudski, depuis plusieurs années écarté du pouvoir, y revient au moyen d'un coup d'État.

Le Parti Communiste fondé en décembre 1918 est illégal depuis 1921.

Avril 1935 : promulgation de la nouvelle Constitution qui limite les droits de l'opposition et les droits civiques.

1935-1939 : La « dictature des colonels » (notamment le colonel Beck) succède à Pilsudski.

30 septembre 1938 : à la faveur de la conférence de Munich et du rattachement des Sudètes tchécoslovaques à l'Allemagne de Hitler, le régime polonais lance un ultimatum à Prague et s'empare d'un territoire de Silésie (zone de Teschen).

1938 : dissolution par le Komintern du Parti Communiste polonais. Ceux de ses membres qui se trouvent en URSS sont pour la plupart assassinés par la police politique de Staline.

1er septembre 1939 : agression allemande contre la Pologne ; début de la Seconde Guerre mondiale.

17 septembre 1939 : agression soviétique contre la Pologne, consécutive au pacte Hitler-Staline ; internement des officiers et soldats polonais ; déportation massive des populations civiles des territoires polonais incorporés dans l'URSS.

28 septembre 1939 : capitulation de Varsovie. Un gouvernement polonais s'installe en exil à Londres.

Janvier 1940 : création de l'Union de la lutte armée qui, le 14 février 1942, deviendra l'Armée de l'intérieur (A.K.) et qui est subordonnée au gouvernement polonais de Londres.

5 janvier 1942 : création, avec la participation des communistes polonais envoyés de l'URSS, du Parti Ouvrier Polonais, nouvelle mouture du PC.

19 avril 1943 : début de l'insurrection du ghetto de Varsovie, écrasée par les troupes SS en juin.

21 Juillet 1944 : création sur les territoires libérés par l'armée soviétique d'un gouvernement provisoire.

1er août 1944 : début de l'insurrection de Varsovie (soixante-trois jours). Varsovie détruite à 90 %.18 000 combattants et 150 000 personnes civiles tuées.

17 janvier 1945 : libération de Varsovie par les troupes polonaises et soviétiques.

27 mars 1945 : arrestation de seize dirigeants de la résistance anti-allemande, qui seront jugés à Moscou.

15-18 décembre 1948 : fusion imposée au PPS (socialistes) par le PPR (communistes), création du POUP.

Août 1951 : arrestation de Gomulka, ancien premier secrétaire du Parti Ouvrier Polonais.

25 septembre 1953 : arrestation et déportation dans un cloître du cardinal Wyszynski, primat de Pologne.

12 mars 1956 : mort de Bierut, premier secrétaire du POUP depuis 1948.

27 avril 1956 : amnistie partielle pour les prisonniers politiques ; 35 000 personnes retrouvent la liberté.

28 juin 1956 : grève et manifestation des ouvriers de Poznan écrasées par la police et les troupes.

21 octobre 1956 : Gomulka devient premier secrétaire du POUP.

28 octobre 1956 : libération du cardinal Wyszynski.

Octobre 1957 : fermeture du journal estudiantin Po prostu.

1965 : condamnation de Jacek Kuron et Karol Modzelewski à des peines de prison pour avoir rendu publique leur Lettre ouverte au Parti.

8 mars 1968 : début d'une vague de grèves et manifestations étudiantes dans les élissements d'enseignement supérieur de la Pologne. La répression des étudiants s'accompagne d'une purge de différentes institutions culturelles et d'une violente campagne antisémite (officiellement : antisioniste).

15 décembre 1970 : commencement de la grève dans les Chantiers navals à Gdansk en réponse à une hausse des prix des articles de première nécessité et une aggravation des conditions de travail. Le gouvernement fait appel à l'armée. Plusieurs grèves dans les autres villes polonaises.

20 décembre 1970 : chute de Gomulka ; Edward Gierek devient le premier secrétaire du POUP.

Décembre 1970 - février 1971 : vague de grèves en Pologne.

Décembre 1975 : lettre des 59 intellectuels qui exigent la restitution des libertés fondamentales.

25 juin 1976 : nouvelle tentative de procéder à une hausse des prix ; révolte ouvrière à Ursus, Radom et Plock ; répression policière contre les ouvriers.

23 septembre 1976 : création du Comité de défense des ouvriers (KOR).

Automne 1977 : le KOR se transforme en Comité d'autodéfense sociale (KSS-KOR).

Novembre 1978 : Karol Wojtyla, archevêque de Cracovie, est élu Pape.

Juin 1979 : visite du pape Jean-Paul Il en Pologne.

1980

Juillet : début de la vague de grèves en riposte à une tentative de procéder à une hausse des prix.

14 août : début de la grève dans les Chantiers navals de Gdansk.

24 août : plénum du Comité central du POUP ; changements au Bureau politique.

30 août : un nouveau plénum du Comité central ratifie les résultats des négociations à Szczecin et à Gdansk ; signature des accords de Szczecin.

31 août : signature des accords de Gdansk.

3 septembre : signature des accords de Jastrzebie (Haute Silésie).

6-7 septembre : plénum du Comité central du POUP : élimination de Gierek ; Stanislaw Kania devient premier secrétaire du POUP

17 septembre : au cours d'une réunion à Gdansk, les délégués des trente-huit comités de fondation des syndicats indépendants et autogérés décident de créer un syndicat agissant dans l'ensemble du pays, qui prend pour nom Solidarité.

3 octobre : grève nationale d'avertissement organisée par Solidarité ; première grève légale dans un pays communiste.

24 octobre : le tribunal de Varsovie enregistre Solidarité, tout en modifiant arbitrairement la teneur de ses statuts.

29 octobre : le même tribunal refuse d'enregistrer un syndicat paysan.

30 octobre : visite de MM. Kania et Pinkowski à Moscou.

10 novembre : enregistrement définitif de Solidarité par la Cour suprême qui rélit les statuts dans leur version originale.

15 novembre : rencontre de Kania avec Lech Walesa.

24 novembre : arrestation de deux syndicalistes accusés d'avoir polycopié une instruction secrète du procureur général ; ils seront libérés le 27 après que le syndicat eût menacé d'avoir recours à la grève.

5 décembre : sommet du pacte de Varsovie à Moscou avec la participation des dirigeants polonais ; menaces d'intervention armée.

17 décembre : inauguration solennelle à Gdansk du monument aux morts de décembre 1970.

31 décembre : Kania, à Gdansk, dépose une gerbe devant ce monument.

1981

Janvier : vague de grèves dans l'ensemble du pays, exigeant l'application des accords et notamment la réduction du temps de travail (samedis libres) : grèves paysannes avec occupation des locaux officiels.

27 janvier - 6 février : grève générale dans la voïvodie de Bielsko.

6 février : le cardinal Wyszynski accorde son appui à la lutte des paysans pour un syndicat indépendant et autogéré.

9 février : plénum du Comité central du POUP ; le général Jaruzelski, ministre de la Défense, devient Premier ministre.

20 février : signature à Rzeszow d'un accord entre les représentants du gouvernement et les paysans en grève.

2 mars : annonce du rationnement de la viande à partir du 1er

avril.

4 mars : les dirigeants polonais, appelés à Moscou, signent un communiqué commun avec les dirigeants soviétiques. Il exprime notamment la « certitude » que « les communistes polonais ont la possibilité et les forces pour renverser le cours des événements » .

18 mars : annonce des manoeuvres du Pacte de Varsovie « Soyouz 81 ».

19 mars : intervention de la police contre les syndicalistes à Bydgoszcz.

28 mars : grève générale d'avertissement (quatre heures) ; Solidarité menace d'organiser une grève générale et illimitée si ses revendications ne sont pas satisfaites.

31 mars : un nouveau compromis entre Solidarité et le gouvernement qui promet d'accélérer la réalisation des accords ; la grève générale et illimitée n'aura pas lieu.

2 avril : parution du premier numéro de l'hebdomadaire de Solidarité Solidarnosc avec un tirage de 500 000 exemplaires. Le cardinal Wyszynski reçoit les représentants de Solidarité paysanne et les assure du soutien de l'Eglise.

12 mal : enregistrement de Solidarité paysanne.

28 mai : mort du cardinal Wyszynski.

27-28 juin : 150 000 personnes participent à Poznan aux cérémonies du 25e anniversaire de la révolte ouvrière et à l'inauguration d'un monument à la mémoire des ouvriers tués par les forces de l'ordre.

7 juillet : Mgr Glemp est nommé primat de Pologne.

14-20 juillet : Congrès extraordinaire du POUP

3-5 août : manifestation à Varsovie contre la pénurie, organisée par Solidarité.

5-10 septembre : premier tour du Congrès de Solidarité.

26 septembre - 7 octobre : deuxième tour du Congrès de Solidarité,

18 octobre : Kania est remplacé par le général Jaruzelski qui devient premier secrétaire du POUP, tout en restant Premier ministre et ministre de la Défense.

4 novembre : rencontre à trois entre le général Jaruzelski, Glemp et Lech Walesa.

13 décembre 1981 : coup d'État du général Jaruzelski. Instauration de la loi martiale.p

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