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- Lutte ouvrière n°2163
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Dans le monde
Italie : La révolte des ouvriers africains
Après les événements de Rosarno en Calabre, nous publions ci-après la correspondance de nos camarades italiens de « l'Internazionale »
Rosarno, dans la plaine de Gioia Tauro, est une petite ville calabraise de moins de 16 000 habitants. Comme l'ont largement rapporté les journaux, ce petit centre fameux pour ses plantations d'agrumes et pour la domination de la 'ndrangheta, la mafia calabraise, a vécu trois à quatre jours d'une véritable guerre civile.
Deux jeunes brutes du lieu, dans la nuit du 6 janvier, se sont amusées à tirer au fusil à air comprimé sur trois immigrés, blessant gravement l'un d'eux. Ce n'était pas la première fois. Les centaines d'immigrés travaillant dans les plantations d'agrumes qui s'étendent à perte de vue autour de la ville ont été de nombreuses fois l'objet de ce type d'agression, ainsi que de provocations en tout genre. Cette fois ces travailleurs agricoles n'étaient pas en humeur de baisser la tête, et ils ont réagi. Au nombre de plusieurs centaines ils se sont dirigés vers Rosarno à partir des champs où ils travaillaient et des refuges où habituellement ils trouvent un abri indigne d'un être humain. Il s'est produit ce qui se produit dans de telles circonstances. La colère des travailleurs des champs, presque tous africains, s'est portée de façon aveugle sur les vitrines des magasins, sur les voitures des Rosarnais, sur quelques personnes. En ayant assez d'être traités comme des bêtes, assez de la misère où les maintiennent ceux qui exploitent leur travail, et désespérés aussi par l'aggravation de la crise, ils ont répondu de façon instinctive.
La révolte a peu duré. L'intervention de la police a amené les immigrés à retourner vers leurs refuges.
UNE VÉRITABLE CHASSE À L'HOMME
Ce qui s'est produit le lendemain et les deux jours suivants ressort des premières pages des principaux quotidiens du 9 janvier : « Rosarno, chasse aux immigrés » titrait par exemple le Corriere della Sera. Et cela a été vraiment une chasse. Des groupes de citoyens indignés contre les « bêtes » qui travaillent dans les champs du matin au soir ont organisé un véritable lynchage. Ils ont tiré, battu jusqu'au sang, incendié les baraques, les voitures, les abris de fortune.
À la fin, ce qu'un journaliste a défini comme du nettoyage ethnique a atteint son but. Accompagnés par la police et les carabiniers qui les embarquaient dans des cars, un millier de travailleurs africains sont partis au milieu des insultes d'une foule d'imbéciles. Beaucoup n'ont même pas touché les quelques sous avec lesquels on les rétribue d'habitude. Le jour précédent, alors que les bâtons brandis par les bandes s'abattaient encore sur les travailleurs africains, le ministre de l'Intérieur Maroni, membre de la Ligue du Nord, déclarait : « Il y a eu trop de tolérance envers les clandestins » !
Les jours suivants, les bulldozers ont détruit les constructions, pour la plupart des usines abandonnées, où vivaient les immigrés. Pendant des années, à la saison de la récolte des oranges et des mandarines, ces travailleurs ont dormi dans des logements sans eau, sans électricité, sans hygiène. Tous le savaient : les institutions, la justice, la police, les autorités sanitaires. Le fait était si connu que des reportages de journalistes courageux avaient pu sortir, des émissions de télévision avaient été tournées, etc., Mais personne n'a rien fait.
Y a-t-il dans les désordres de Rosarno une responsabilité de la 'ndrangheta ? Y a-t-il un rapport avec le contrôle que cette association mafieuse exerce sur tout le territoire ? Y a-t-il un rapport avec les nouveaux critères fixés par l'Union européenne pour rétribuer la culture des agrumes, non plus sur la base du produit mais sur la base du nombre d'hectares cultivés ? Y a-t-il un rapport avec la baisse du prix des oranges du fait de la concurrence internationale ? Probablement oui, probablement tout cela a influé. Parmi les bandes violentes, parmi les « libérateurs » de Rosarno on a pu voir, certainement pas par hasard, le fils d'un des chefs de famille les plus puissants de la 'ndrangheta locale. Le fait ensuite que les financements aux entreprises agricoles arrivent forfaitairement, 1 500 euros à l'hectare, indépendamment de la quantité produite, s'ajoutant à l'écroulement du prix de vente des agrumes, rend souvent plus adéquat de laisser pourrir les fruits sur les arbres plutôt que de les récolter. Évidemment cela rend inutiles une quantité de bras. Et déclencher une sorte de pogrom peut avoir été utile pour éloigner des alentours de la petite ville une masse d'esclaves devenue trop importante et socialement « dangereuse ».
Tout cela est vrai en effet, ou au moins plausible. Mais quel sera le destin de ces travailleurs agricoles ? Envoyés dans d'autres centres du sud de l'Italie, sans travail, sans rien, ils seront victimes d'autres mafias ou camorras, d'autres patrons sans scrupules.
Le gouvernement s'est dit décidé à affronter le problème du travail illégal dans les campagnes. Le ministre Sacconi promet la « tolérance zéro » pour les exploiteurs. Bavardages que l'on a déjà entendus des milliers de fois.
ET LA CGIL ?
Entre-temps la proposition circule d'une grande grève nationale des travailleurs immigrés qui devrait avoir lieu le 1er mars. Les promoteurs s'inspirent d'une initiative analogue organisée en France le même jour.
Le responsable aux « politiques migratoires » de la confédération syndicale CGIL, Piero Soldini, a mis en doute la possibilité d'une telle grève dans une interview à l'Unità du 7 janvier. « Que les immigrés un jour s'arrêtent tous et fassent sentir leur utilité est une belle suggestion, mais difficilement réalisable » à cause des chantages que beaucoup peuvent subir, dit Soldini, car ils vivent « dans des conditions d'assujettissement, de sujétion, d'esclavage moderne dans certains cas ». Cela rend très difficile qu'ils puissent se mettre d'accord et que « même un jour seulement ils puissent relever la tête ». Le dirigeant confédéral poursuit son raisonnement en soutenant que la grève des seuls immigrés est une forme d'auto-ségrégation qui serait une erreur stratégique et que mieux vaudrait une grève générale, même d'une heure seulement, mais de tous contre le racisme.
Mais le problème est le suivant : si la confédération syndicale la plus forte d'Italie, la CGIL justement, avec ses plus de cinq millions d'inscrits, n'a pas été amenée à la grève générale par ces épisodes honteux de lynchage, de chasse au Noir, si des ouvriers agricoles pris pour cible à coups de bâton et de fusils n'ont pas été un motif suffisant pour déclarer immédiatement une grève générale ou au moins pour exprimer d'une façon forte et puissante la solidarité avec les ouvriers africains, comment peut-on prétendre que les immigrés ne cherchent pas leur propre voie, y compris peut-être en courant vraiment ce risque d'auto-ségrégation ?
Du reste, aussi bien la CGIL que les autres syndicats ont encore tout le temps d'unir leurs forces et d'appeler tous les travailleurs, italiens et étrangers, à une mobilisation qui ne soit pas seulement symbolique contre la surexploitation qui frappe, certainement avec des formes et des modalités diverses, tout le monde du travail. Contre le racisme, qui est le poison répandu par tous ceux qui, au nord comme au sud, craignent que le mécontentement et la colère des ouvriers immigrés conflue avec celui des ouvriers italiens.