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Conclusions

À quoi pouvons-nous attendre pour la période à venir ? Telle est la question que nous posons dans nos textes de congrès sur les relations internationales. On le fait dans ce texte-là et pas dans celui sur la situation intérieure car il est absolument évident que ce n’est pas l’UE ou Macron qui décident de quoi que ce soit. La réponse qui vient à l’esprit est évidemment que tout dépend de l’évolution de la crise économique, notamment de la survenue d’une crise financière grave, avec les réactions sociales susceptibles de modifier les conditions de nos activités militantes. Et il y a les guerres elles-mêmes.

Un état permanent de crise et de guerre

L’Europe dans sa partie occidentale impérialiste n’en connaît pour le moment que les images et le souffle. L’année qui est en train de se terminer a montré avec quelle rapidité le feu guerrier a pu passer de l’Ukraine au Moyen-Orient, sans oublier les multiples flammèches guerrières du Caucase au Soudan. La désta­bilisation de plusieurs États africains, notamment de l’ancien pré carré du colonialisme français, annonce d’autres guerres. D’autant plus que, non seulement la situation ne s’est pas stabilisée dans l’ancienne « Françafrique », mais la rivalité des puissances impérialistes s’est aggravée, remettant en cause l’équilibre colonial élaboré à la conférence de Berlin en février 1885.

À remarquer que les innombrables liens tissés entre les économies des différents pays qui pourraient, devraient, donner à l’humanité une prise formidable pour maîtriser sa vie économique et son organisation sociale, contribuent, au contraire, à aggraver le chaos. Comme le résumait Trotsky au début d’une guerre qui était en train de devenir la Deuxième Guerre mondiale, « la bourgeoisie elle-même ne voit pas d’issue ». Ce qui semble évident à la lumière des deux ou trois années passées, c’est que la société s’est installée dans un état permanent où la crise et la guerre se conjuguent pour donner cette image d’un bateau ivre que plus personne ne contrôle. Pas même, et surtout pas, ceux qui dirigent la société…

Oh, le bateau avance quand même ! Parler même de crise semble une expression trop forte. Certes pas pour les chômeurs et tous ceux qui sont menacés de le devenir et qui savent qu’ils le seront ! Certes, pas pour la majorité des classes populaires ! Certes, pas pour toute cette fraction de la planète – une grande partie, sinon la majorité – pour qui la nourriture quotidienne est un problème. Mais, en même temps, contrairement à ce que raconte la légende de la crise de 1929, les grands bourgeois ne se jettent pas par les fenêtres de leurs gratte-ciel, et les dividendes distribués atteignent des sommets.

Alors, la crise ? Quelle crise ?

La guerre, une opportunité pour les capitalistes

La guerre elle-même ou sa menace constituent de nouveaux marchés. Le président des États-Unis, spéculateur immobilier de son état, peut devant les ruines de Gaza y voir de futures plages, parsemées de clubs Med… Il faut le cynisme incommensurable de crapules de ce genre pour oser de telles phrases. Mettez-vous à la place de la population de Gaza ! Ce genre de crapules au pouvoir, soit dit en passant, c’est une raison de militer.

Les semblables du président américain, plus directement intéressés par l’Ukraine que par le Moyen-Orient, ont déjà intégré dans leurs calculs de faire payer par les Russes, entre autres, la reconstruction de l’opéra de Marioupol.

Si vous vous mettez à la place d’un marchand d’armes, oui, la guerre est un marché. Et d’ailleurs ils n’arrivent même pas à suivre le marché et c’est une caractéristique de la situation. Vous pouvez vendre, mais il n’y a pas assez de produits. « Austérité, le festin des actionnaires », titre Le Monde diplomatique du mois de septembre. On ne peut pas parler de façon plus réaliste ! Alors, de quoi la bourgeoisie pourrait-elle se plaindre ? La bourgeoisie, la grande, la vraie, celle qui exploite des dizaines, des centaines de milliers de travailleurs dans chacun de ses groupes, celle qui, en fermant de grandes entreprises ou même simplement en réduisant les effectifs, peut ruiner l’existence de toute une ville, de toute une région. C’est-à-dire la bourgeoisie impérialiste.

Elle domine tout autant le destin des peuples, elle est en situation de prendre des décisions qui transforment des régions où vivent des milliers de femmes, d’hommes et d’enfants, en champs de ruines, elle dont un certain camarade de l’ancienne génération disait : « Les bourgeois peuvent fermer une entreprise comme on ferme une tabatière. » Certes, aujourd’hui, il n’y a plus de tabatière, mais il y a toujours des entreprises que les bourgeois ferment.

Alors, nous n’allons pas faire ici des tentatives de prévisions sur les guerres à venir. Des dizaines d’états-majors y travaillent, sans parler de tous les généraux ou amiraux à la retraite qui sont approchés par les chaînes de télévision pour donner des avis de professionnels sur l’embrasement généralisé à venir, dont ils ne savent pas grand-chose, mais surtout pour habituer la population à la guerre, à accepter des budgets – votés ou pas votés –, à les financer. Leur message est clair : « Attendez-vous à cela et fabriquez le plus possible de gosses, car, dans l’avenir, ils y auront droit ! »

Disons seulement que personne ne peut même dire pour le moment quels seront les protagonistes, au cas où les différents affrontements militaires locaux, régionaux, conduiraient à la guerre généralisée pour déboucher sur un embrasement général, c’est-à-dire à la troisième guerre mondiale. La seule chose qu’on peut dire, c’est que la guerre a déjà commencé en Russie, en Ukraine, et, depuis bien plus longtemps, au Moyen-Orient. Elle domine déjà la vie sociale même là où les bombes ne tombent pas, du moins pas encore. Alors, oui, la guerre a déjà commencé et, dans le futur, des centaines d’historiens se pencheront sur la question de savoir quand elle a effectivement commencé et quelles en ont été les raisons officielles… Comme toujours, la réponse sera donnée par le camp vainqueur, en toute objectivité bien sûr ! Les vaincus seront les peuples qui en paieront le prix et qui le paient déjà, d’Odessa à Kiev, de la Palestine à Téhéran…

En attendant, la guerre permet déjà aux états-majors d’essayer des armes qu’ils n’ont pas encore maîtrisées, ou de se familiariser avec de nouvelles pratiques de combat. Les drones, omniprésents sur les champs de bataille, ont fait une entrée massive dans les arsenaux. Oh! que voilà une belle expérience que celle de l’armée israélienne qui fouille les tunnels avec des drones ! Remarquons d’ailleurs entre parenthèses que cette guerre, l’État d’Israël ne l’a pas gagnée, car il fait naître les générations qui se disent qu’il faut se venger. Quoi qu’il en soit, les drones sont paraît-il déjà largement utilisés par l’armée américaine contre les gangs en Haïti.

Un chaos profitable

Alors, revenons à la question : quelle crise ? Henry Kravis, cofondateur et coprésident exécutif de KKR, un des trois plus grands fonds d’investissement private equity (c’est-à-dire investissement en capital des PME et TPE généralement non cotées en Bourse), affirmait dans une interview aux Échos : « Ces périodes de chaos ont toujours été le meilleur moment pour investir. » Où est donc la crise pour Henry Kravis ? Celui-ci ajoute : « Malgré l’instabilité politique et économique, la France reste un terrain fertile pour le private equity ».

Un article du journal Le Monde du 30 septembre 2025, titré : « Le retour en grâce du fondateur de Blackwater » et sous-titré : « De l’Amérique latine à l’Afrique, Erik Prince, proche de Donald Trump, a relancé son business de la guerre », permet d’observer d’abord que la suite de la guerre, c’est la mort, les ruines pour beaucoup, mais c’est aussi du business. Et même, depuis des temps immémoriaux, un business fort rentable, qui se traduit par une réalité dont on a quelques images à la télé, en cadavres et en blessés. Blackwater est une sorte d’armée privée qui a gagné ses galons notamment pendant la guerre menée par les États-Unis en Afghanistan. Le Monde commençait ainsi son article : « Erik Prince est de retour. À Haïti ou au Salvador, en passant par le Pérou, l’Équateur et jusqu’à la République démocratique du Congo (RDC), entre lutte contre le trafic de drogue, expulsion de migrants illégaux, guerre contre les groupes armés non étatiques et sécurisation de carrés miniers en Afrique, le fondateur et ancien PDG de la société de sécurité privée Blackwater multiplie les apparitions depuis la réélection, fin 2024, de son meilleur allié à la Maison Blanche, Donald Trump, dont il est un ardent supporteur. » L’article est intéressant par la réalité qu’il décrit. Ledit Erik Prince est un ancien militaire du commando d’élite de la marine américaine, héritier – souligne Le Monde – d’une riche famille établie sur les rives du lac Michigan, et qui prétend diriger « l’armée privée la plus puissante du monde ».

Et qu’est-ce qui le motive pour relancer son business de la guerre ? Ce n’est manifestement pas d’intervenir en Haïti ou au Salvador, des pays d’une pauvreté incommensurable. Mais, en revanche, de l’autre côté de l’Atlantique, il y a la RDC avec ses richesses minières extraordinaires – « un véritable miracle géologique », disait un géographe –, et une multitude de sociétés occidentales majeures qui visent, qui le platine, qui le diamant, qui le cobalt, qui le cuivre, avec le Katanga, « coffre-fort minier du pays ». Oui, mais comment assurer la sécurité de l’exploitation dans un pays dont l’État se décompose ? Dans des pays comme la RDC, la pauvreté entraîne la corruption et l’inefficacité de l’appareil d’État et de ses corps de répression : tout le monde est achetable par tout le monde. La demande de sécurité de la bourgeoisie, et là on parle aussi de la bourgeoisie blanche, impérialiste, ne peut être assurée par l’État. C’est à cette demande que Blackwater répond : elle a senti le besoin d’une « police des mines » chargée de percevoir les recettes fiscales auprès des entreprises minières.

Voilà le besoin (la demande), Blackwater se propose d’assurer l’offre. Au fond, Blackwater, c’est le sanguinaire chef de gang et ex-policier Barbecue, en Haïti, en plus grand et en plus ambitieux. Voilà l’impérialisme sénile qui réinvente le mercenariat du Moyen-Âge !

Signalant l’afflux en RDC d’une foule bigarrée, composée de tous ceux qui sont attirés par la perspective de faire fortune ou, en tout cas, de trouver du travail, le reportage du Monde ajoute : « Rien ne dit que ces Sud-Américains sont là dans le cadre du contrat d’Erik Prince. Une partie de l’Est non contrôlée par le M23, et Kisangai, est devenue une tour de Babel avec des contractuels slaves, sud-américains, turcs, est-européens, israéliens… Sans parler des forces armées congolaises. On ne sait pas qui fait quoi. » Il y a dans cet article l’indice d’une évolution qui dépasse le cas de Blackwater, pour donner une prémonition d’une évolution plus générale.

Des appareils d’État déliquescents

Les révolutionnaires communistes ne sont certainement pas les défenseurs des appareils d’État de la bourgeoisie, ni en France, ni aux États-Unis, ni en RDC. Ils militent pour leur destruction par et au profit de la classe ouvrière, du prolétariat, qui produit tout et pourtant ne contrôle rien.

Mais l’incapacité des puissances impérialistes à remplacer les feus pouvoirs coloniaux par des régimes non corrompus ne remplace pas l’armée, la police, un appareil de répression efficace pour tenir les masses. Or l’entretien d’un appareil de répression coûte cher. L’appel au privé se situe dans ce contexte. Les États de la bourgeoisie eux-mêmes ont été bâtis au cours des siècles, et leur mise en place a représenté un progrès considérable pour l’humanité. En représentant les intérêts de la bourgeoisie contre l’ordre féodal, ils incarnaient le progrès.

Haïti, avec ses gangs, ses policiers chefs de gang à la Barbecue, avec sa population livrée à la prédation des uns comme des autres, est plus annonciateur de l’avenir que la bourgeoisie des pays impérialistes prétendument plus civilisés. D’ailleurs, sur le fond, y a-t-il tellement de différences entre les deux ? Entre la plus grande et la plus riche démocratie bourgeoise et les autres ? Que l’on songe seulement à ce 6 janvier 2021, à la veille de la prise de fonction de Biden, que l’on songe à la foule bigarrée mais réactionnaire qui avait pris d’assaut le Capitole !

Quelqu’un a écrit qu’on en était au même niveau en France à la veille de la Révolution française qu’au 13e siècle. Bien des phénomènes, depuis les épidémies comme la Grande Peste ou les guerres de Trente ou Cent Ans, expliquent que le niveau de production et de développement, même après des siècles, n’ait pas tellement évolué. Malgré cela, la longue construction d’un appareil d’État en France, entre Philippe le Bel et la révolution de 1789, a été un progrès historique. Aujourd’hui, cet appareil d’État au service direct de la grande bourgeoisie représente en même temps, plus ou moins directement, toutes les classes privilégiées, y compris les plus anachroniques. Au Cameroun par exemple, où l’armée française avait été envoyée pour rétablir l’ordre, ce sont les rois et les chefferies qui ont été rétablis, comme partout ou presque dans les colonies (voir l’article du Monde sur le Cameroun de Paul Biya).

La déliquescence des États de la bourgeoisie, la multiplication, en particulier dans les pays pauvres, d’États corrompus jusqu’à l’os, incapables d’assurer efficacement une forme de protection de la bourgeoisie, sont un retour en arrière, un des aspects du recul de l’humanité vers la barbarie.

Le prolétariat, garant de l’avenir de l’humanité

Il fut un temps où, pour connaître l’évolution future de la société, il fallait regarder vers les pays impérialistes les plus avancés. Aujourd’hui, c’est la déliquescence de l’état de la société, la pourriture généralisée qui indiquent avec le plus de fidélité ce que sera la société, telle que la bourgeoisie décadente nous l’impose et nous l’imposera de plus en plus.

Alors, et nous là-dedans ? C’est d’une banalité grossière que d’affirmer que nous n’avons pas de prise sur cet avenir et que nous le combattons. Mais, en même temps, nous faisons confiance au prolétariat. Nous avons confiance en sa capacité de reprendre l’initiative, et de reprendre ou, plus exactement, de prendre la direction de la société pour la bonne et simple raison qu’il est le seul dans cette société à avoir la capacité et la force pour le faire. Et notre confiance dans le prolétariat repose en dernier ressort sur notre confiance en l’humanité.

L’histoire humaine n’a jamais été un long fleuve tranquille. La société humaine n’est pas marquée par une marche en avant glorieuse. Trotsky avait exprimé bien souvent l’idée que « la crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire ». Cette « crise de la direction révolutionnaire » n’a pas été surmontée du vivant de Trotsky. Elle n’a pas été surmontée depuis. Les trahisons répétées de la direction du prolétariat, suivies de sa décomposition, ont pourri les organisations du mouvement ouvrier lui-même. Le mouvement organisé s’est cassé la figure, mais le prolétariat est toujours là et son rôle irremplaçable dans la société, aussi. Et c’est au prolétariat que nous faisons confiance et pas aux différentes moutures de ses organisations. Et puis les échéances historiques ne se mesurent pas à l’échelle d’une vie humaine.

Mais, dans le paragraphe où Trotsky insiste le plus sur cette crise de direction, il le fait en s’élevant contre « les bavardages de toutes sortes selon lesquels les conditions historiques ne seraient pas encore mûres, ne sont que le produit de l’ignorance ou des tromperies conscientes », pour insister : « Les prémisses objectives de la révolution prolétarienne ne sont pas seulement mûres, elles ont même commencé à pourrir. »

Cela est et reste encore et toujours une profession de foi en faveur de l’avenir socialiste. Oh, non pas le socialisme à la Staline ou à la ribambelle de ses imitateurs ! Mais celui en faveur du renversement du pouvoir de la bourgeoisie par le prolétariat.

L’histoire est passée par là. Elle a connu des reculs cata­strophiques. La seule révolution victorieuse pendant un certain temps s’est transformée en une infamie, avant même d’être balayée de la scène de l’histoire. Il ne reste plus rien ou presque rien de ses réalisations.

La révolution prolétarienne a eu lieu. Les idées, les raisonnements de Marx se sont incarnés. Et cela, même le stalinisme ne peut pas revenir dessus. Le prolétariat a montré qu’il était un candidat à la tête du pouvoir, à la direction de la société. Cela va au-delà de la défense d’un idéal ou d’une position humaniste : le prolétariat a posé, historiquement, sa candidature au pouvoir et montré qu’il était capable de s’emparer du pouvoir pendant assez de temps pour montrer sa légitimité pour l’avenir. Il ne reste plus de ce passé que des idées, des prises de position politiques, et c’est à partir de là qu’il faut recommencer la tentative. Cette première tentative est restée sans lendemain. Mais combien de révoltes tentées sans succès pendant les différentes phases de la société de classe ? Combien de tentatives de la bourgeoisie elle-même avant de parvenir au pouvoir ? Et tout cela pour arriver au monde tel qu’il est sous les Trump ou sous les Macron et, derrière eux, sous d’innombrables représentants de la classe capitaliste.

Nous n’avons pas de révélations particulières pour cet avenir fait de guerres et de destructions, sinon que, comme nous le répétons depuis des années, la société capitaliste ne peut pas être l’avenir de l’humanité. La période à venir sera plus difficile et la guerre nous atteindra sans doute, car le prolétariat n’est pas du tout en mesure de s’en défendre. Rappelons-nous que même un prolétariat autrement plus organisé et fort politiquement n’a pu empêcher la Première Guerre mondiale! Alors la période sera ce qu’elle sera mais nous, nous sommes censés rester ce que nous sommes : des communistes révolutionnaires, c’est-à-dire des gens convaincus que le prolétariat, qui a déjà pris le pouvoir auparavant, a l’avenir entre les mains.

Un programme à préserver à tout prix

Il faudra que nos perspectives, notre programme, survivent au sens le plus matériel du terme. Mais « survivre », c’est de nos idées, de notre programme et, bien au-delà, de notre volonté de créer une société qui devienne véritablement humaine, qu’il s’agit.

Survivre avec notre conviction fondamentale que la société capitaliste ne peut pas représenter l’avenir de l’humanité, c’est poursuivre un combat que la majorité opprimée, exploitée de la population a toujours mené et qu’elle continuera à mener jusqu’à ce que ce combat perde son objet.

Un auteur scientifique a dit en substance que les dinosaures ont été pendant 160 millions d’années les représentants les plus évolués du vivant. Et, pendant ce long règne sur la planète, les dinosaures n’ont jamais fait ce que l’humanité, dont l’histoire est bien plus courte, a réalisé et envisage, comme se lancer dans l’espace et aller sur Mars. Bien sûr, nous sommes solidaires du vivant en général, mais nous établissons quand même une hiérarchie : les dinosaures ont disparu et l’humanité, avec sa capacité d’avancer, de raisonner, de progresser, pas encore. Elle a l’avenir devant elle… encore faut-il y arriver !

Nos analyses après la mort de Trotsky

Qu’entendons-nous par trotskysme aujourd’hui ? Pour le résumer en quelques phrases, c’est d’abord la compréhension par Trotsky de la politique bolchevique après la révolution d’Octobre 1917. Insistons sur ce point : ce n’est pas ce que Trotsky a mis en avant au début de sa vie militante, où il avait tort. C’est évidemment tout ce qui a été l’apport du bolchevisme, y compris sur des questions comme la bureaucratisation et le fascisme qui sont dans une large mesure les apports personnels de Trotsky. Notre trotskysme, c’est aussi notre solidarité avec les prises de position de Trotsky chassé d’URSS de son vivant, comme la critique des fronts populaires. Mais Trotsky a été assassiné en 1940, et la vie politique et la vie tout court ne se sont pas arrêtées à sa mort.

Pour un certain nombre d’événements majeurs comme, par exemple, la révolution chinoise au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, Trotsky nous a donné des clés politiques pour comprendre cette révolution qui a conduit au régime maoïste, qu’il n’a pas connu de son vivant. Pas plus qu’il n’a connu personnellement les démocraties populaires, imposées aux pays de l’Est européen dans la foulée de la Deuxième Guerre mondiale, c’est-à-dire des régimes pseudo-communistes, imposés par une armée de conquête, sans que la population s’en mêle, voire contre elle.

Trotsky n’a pas pu écrire là-dessus et guider notre compréhension. Il n’a pas non plus connu le titisme ou par la suite le Vietnam ou Cuba. Certains de ces événements ont eu une signification et une portée mondiales, plus ou moins grandes. Par exemple, entre le titisme et le maoïsme, ce n’était pas la même portée. Sauf pour les militants de la IVe Internationale, qui partaient construire le socialisme en Yougoslavie, qui leur apparaissait alors moins moche que l’URSS. Comme souvent, ce que la révolution prolétarienne ne leur a pas donné, ils sont allés l’inventer ailleurs.

Reste qu’il fallait comprendre et interpréter ces bouleversements et il fallait se débrouiller seuls, avec nos propres têtes et sans que Trotsky nous tienne la main. Nous l’avons fait et nous avons éprouvé le besoin de mettre nos raisonnements par écrit : sur la nature des démocraties populaires, sur la Chine, etc., car comprendre ce qui s’est réellement passé dans des révolutions comme celles de Cuba ou de la Chine, cela a son importance pour comprendre ce qu’on veut construire.

Nous avons donc écrit sur ces analyses avant même de les intégrer complètement dans notre programme, dans les années 1970-1971. Nous avons maintenu nos analyses de la nature de l’État soviétique, même après la Deuxième Guerre mondiale, menée et gagnée conjointement par l’impérialisme américain et l’Union soviétique, malgré Yalta et la division du monde en deux camps. Ces écrits font partie de notre programme, il faut les diffuser et les utiliser.

Nous n’avons pas fait nôtres les positions capitalistes d’État, même dans leurs variantes d’après-guerre. Et pour ce qui est de notre courant, sans avoir vraiment et complètement compris la nature des démocraties populaires dès le début, nos ancêtres avaient réclamé le retrait de l’armée soviétique de ces démocraties populaires.

Avant même que les États constitués sous le patronage de la bureaucratie soviétique deviennent le glacis contre lequel se battaient les ouvriers de la Stalinallee à Berlin, en 1953, de Pologne et de la révolution hongroise en 1956, nos camarades de l’époque avaient pris une position cohérente avec celle qu’ils allaient défendre lors de la révolte de « ceux de la Stalinallee ». Soit dit en passant, contrairement à l’idée que l’après-guerre n’a pas connu de période révolutionnaire, jusqu’au milieu des années cinquante, l’Europe de l’Est a connu une période d’agitation révolutionnaire. Des ouvriers de Berlin aux ouvriers hongrois, ce sont quand même trois années de révolution prolétarienne.

Nos positions étaient cohérentes et d’une certaine manière celles des autres organisations trotskystes, aussi, mais leur cohérence les a menées à soutenir les staliniens ! La cohérence de nos positions, c’est cette idée simple qui est la nôtre que seule une révolution menée par la classe ouvrière, plus ou moins contrôlée par elle, mérite d’être considérée comme une révolution prolétarienne. Et pas telle ou telle de ses mesures et conséquences, comme le degré de nationalisation, d’étatisation ou la nature de ses décisions économiques comme la planification.

C’est l’ensemble de ces textes qui constitue notre programme. Par exemple, sous le titre « Le cas des pays sous-développés en rupture politique avec l’impérialisme », nous discutions de la possibilité pour des mouvements nationalistes de réussir à prendre le pouvoir pour rompre avec l’impérialisme, mais pas pour le mettre par terre, ce n’était pas leur objectif. Mais cette analyse aurait pu être interprétée comme une rupture avec le trotskysme, avec l’idée exprimée dans La Révolution permanente selon laquelle, à l’époque impérialiste, seule une révolution prolétarienne pourrait même réaliser les tâches de la bourgeoisie nationale et la dégager de l’emprise impérialiste. Ce n’était pas le cas. C’est aussi ces situations et les contradictions qu’elles pouvaient porter qu’il a fallu analyser et comprendre.

Alors, transmettre et défendre nos positions, y compris et surtout dans notre programme, est notre façon de continuer à défendre le marxisme. Si la guerre se rapproche, il faut que nous nous protégions. Certes, pour faire la révolution, il faut commencer par survivre. Mais pas à n’importe quel prix et n’importe comment : pour survivre, il faut que nous conservions notre programme et nos idées.

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