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- Lutte de Classe n°17
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La faucille et le marteau
L'action des paysans, loin de faiblir s'étend à tout le territoire. Partout, tracteurs, chariots et charrettes font mouvement pour barrer les routes et embouteiller les villes. Le gouvernement, loin de sévir, ne peut ni s'opposer à ces actions, ni même se permettre de condamner les dirigeants paysans emprisonnés.
Bien sûr jusqu'à présent les paysans n'ont pas obtenu grand-chose, hors un discours de Debré. Celui-ci a promis des mesures pour sauvegarder l'avenir et a affirmé que les paysans ne réclamaient jamais que ce que le gouvernement se proposait déjà de faire. A défaut de pouvoir « sauver l'agriculture », on essaie au moins de sauver la face. Cependant, pendant ce temps, les paysans rossent ses ministres. Et ce n'est pas avec des arguments aussi subtils que la phrase « chaque français verse déjà par an 5 000 anciens francs pour soutenir l'agriculture » que Debré arrivera à dresser l'ensemble de la population contre les paysans. D'abord ces subventions intéressent en majeure partie l'agriculture industrialisée aux mains des sociétés financières (sucre, blé, vin) et, ensuite, c'est au moins cinq fois plus, que chacun débourse par an pour payer uniquement les dépenses matérielles de l'armée d'Algérie. Mais surtout le problème n'est pas là. Le problème est que ceux qui produisent tout, ouvriers et paysans, vivent mal alors que les industriels et les banquiers s'enrichissent. Car la production comme la productivité a augmenté et il y a bien quelqu'un qui en profite.
Au-delà de la diversité des revendications posées par les paysans des diverses régions, une leur est commune : l'amélioration et la garantie de leur niveau de vie. La garantie de ne pas être une année appauvris et endettés par une mauvaise récolte, et l'année d'après encore plus endettés et encore plus appauvris par une trop bonne récolte. La garantie de n'être plus soumis et livrés sans défense aux margoulins, aux trafiquants et aux intermédiaires.
Le gouvernement en offrant 35 milliards de plus pour soutenir le prix des denrées agricoles ne répond pas à cette préoccupation. Il offrirait le double ou le triple il n'y répondrait pas plus, même si cela peut satisfaire les paysans en les trompant. Cela ne résoudra leurs problèmes que momentanément, d'autant plus que ce ne sont pas ceux qui en ont le plus besoin qui bénéficieront le plus de cet argent.
Mais, les travailleurs des villes ont non seulement le même exploiteur, le capital, qu'il soit industriel, financier ou les deux à la fois, mais aussi la même préoccupation majeure : l'amélioration et la garantie de leur niveau de vie face à la hausse des prix et au sous-emploi.
C'est pourquoi il est plus que criminel de la part des organisations de la classe ouvrière de ne pas se lier autrement qu'en paroles à la lutte des paysans. Cela peut même être à la longue une forme raffinée de suicide. Une manifestation commune, comme celle qui a réuni à Saint-Nazaire les travailleurs des Chantiers de l'Atlantique et de Sud-Aviation et les paysans de la Brière, est une bonne chose. Mais elle ne correspond pas, absolument pas, à la situation. Les paysans sont dans la rue, les travailleurs, et en particulier ceux de Saint-Nazaire, sont en lutte depuis des mois pour leurs salaires. Ce n'est pas à des discours qu'il faut les convier. Et dans le cas cité ce n'est pas le mardi qu'il fallait faire une manifestation commune mais le vendredi le jour où Gourvennec et Léon, les deux leaders paysans incarcérés à la suite de la prise de la sous-préfecture de Morlaix, passaient en jugement. C'est à appuyer, matériellement et physiquement, les paysans qu'il faut convier les travailleurs des villes.
Dans la lutte pour la garantie de leur niveau de vie, les travailleurs des villes et des champs ont nécessairement un programme commun :
- Contre la « surproduction », c'est-à-dire le chômage pour les uns, la mévente pour les autres, tandis que les deux tiers de l'humanité crèvent de faim : salaire mensuel garanti pour les ouvriers, contrats d'achat annuels pour les paysans.
- Garantie contre l'inflation, résultat des dépenses militaires ou parasitaires de l'État, garantie contre la hausse des prix industriels :
- Echelle Mobile des Salaires pour les ouvriers
- Echelle Mobile des prix agricoles, c'est-à-dire des contrats pour les paysans.
Et si ouvriers et paysans réussissaient à mener une telle lutte en commun il ne faudrait pas oublier que c'est souvent qu'on arrive à les diviser, et il ne faut pas laisser les financiers et leur État libres d'appliquer ou ne pas appliquer ces mesures. Aussi, un objectif complémentaire et indispensable des deux précédents, c'est le contrôle des ouvriers et des paysans sur les entreprises commerciales et industrielles ainsi que sur les Banques. Tous ces objectifs sont accessibles à l'heure actuelle, Les ouvriers comme les paysans en ont conscience. Leur offrir des coopératives comme cela a été fait au meeting de Saint-Nazaire, c'est les leurrer.
Mais si les paysans n'ont affaire qu'à l'État bourgeois et à ses CRS, les travailleurs eux ne peuvent entrer en lutte car ils ont affaire aux bureaucraties ouvrières, aux appareils syndicaux qui sont depuis 17 ans non seulement les plus fidèles, mais encore les seuls véritables soutiens de l'État bourgeois. Les paysans sont forts car ils ont su et pu s'organiser eux-mêmes. Les ouvriers, travailleurs des villes, qui sont en France plus nombreux que les paysans, s'ils en faisaient autant, seraient encore plus puissants. L'alliance des deux serait invincible...