Nathalie Arthaud: «Nous n’obtiendrons rien si nous ne nous battons pas»28/04/20192019Presse/medias/articlepresse/images/2019/04/Nathalie_Amiens.jpg.420x236_q85_box-0%2C0%2C1350%2C759_crop_detail.jpg

Article de presse

Courrier picard

Nathalie Arthaud: «Nous n’obtiendrons rien si nous ne nous battons pas»

Illustration - Nathalie Arthaud: «Nous n’obtiendrons rien si nous ne nous battons pas»

Nathalie Arthaud, après être passée à Creil, Beauvais et Compiègne, vous êtes à Amiens ce jeudi pour une réunion publique. Comment se passe votre campagne ?

 

Nous faisons une campagne militante, comme à notre habitude, nous n’attendons pas après les médias. Nous allons discuter devant les entreprises, nous faisons des réunions publiques. Je mène cette liste avec Jean-Pierre Mercier (délégué central CGT de groupe PSA), pour appeler les travailleurs, ceux qui sont au chômage, les retraités, à exprimer ce qui s’exprime depuis quatre mois au travers du mouvement des Gilets jaunes. La nécessité de vivre mieux. Parce que la réalité, c’est une dégradation des conditions de travail d’une écrasante majorité. Nous les appelons donc à se saisir de cette élection pour exprimer leurs revendications.

 

Les élections européennes vous paraissent être le bon vecteur pour exprimer ces revendications ?

L’Union européenne est dominée par les grands groupes capitalistes, c’est certain. Mais c’est toute la société qui l’est. On a une poignée de privilégiés qui domine avec son argent, ses milliards, qui est assise sur une montagne d’or et qui met la société en coupe réglée. Le problème il est à l’échelle européenne, comme à l’échelle de la France. Nous, nous appelons donc les travailleurs à exprimer leurs revendications et leur conscience d’avoir à se battre pour vivre dignement, avec un emploi, un salaire, une retraite.

Vous dites que l’Europe, est dominée par le grand capital. Mais en participant à ces élections, vous légitimez finalement l’institution…

Sûrement pas. À Lutte ouvrière, nous défendons les intérêts des travailleurs en leur disant qu’ils n’ont rien à attendre d’en haut, ni des institutions européennes, ni même des institutions françaises. Vous croyez que le parlement européen ou le gouvernement français se soucient du sort des plus pauvres ? Vous croyez que la Banque de France est au service des travailleurs, des ouvriers ? Les institutions nationales, exactement comme les institutions européennes ou internationales, servent à la grande bourgeoisie. Elles sont sous les ordres du grand capital. Il y a des élections ; pourquoi ne pas s’en servir pour dénoncer ce pouvoir de l’argent ? À l’inverse de toutes les autres listes, nous ne faisons pas de promesses électorales. Le programme que nous mettons en avant, c’est un programme pour les luttes des travailleurs, pour affirmer cette conscience qu’on n’obtiendra pas le droit de vivre dignement dans cette société si nous ne nous battons pas. Il n’y a donc aucune raison de ne pas dire notre colère, d’affirmer qu’il y a encore camp qui est prêt à se battre pour ses intérêts, contre cette couche parasite qui met la société en coupe réglée, qui détruit la planète, qui jette les peuples et les travailleurs les uns contre les autres. Certains disent qu’il faut qu’on se protège contre les étrangers, les émigrés, d’autres travailleurs, y compris les plus pauvres. Nous disons non. Les travailleurs doivent se battre ensemble, contre cette minorité de privilégiés qui nous condamne à la concurrence, à la misère, au chômage de masse, aux bas salaires.

Le NPA, un mouvement frère de Lutte ouvrière, vous avait proposé de faire liste commune, comme ce fut le cas dans le passé, pour essayer de peser plus. Qu’est ce qui vous a empêché de le faire ?

La dernière fois que nous nous sommes présentés ensemble, c’était en 1999 et ce n’était pas le NPA, mais la Ligue communiste révolutionnaire. Nous nous sommes vus, le NPA nous a expliqué qu’il voulait mener une campagne sur le terrain social, mais aussi écologique, celui de l’égalité homme-femme et pour dénoncer les traités européens. Nous avons exposé le fait que nous voulions axer notre campagne sur les intérêts des travailleurs, qu’il ne s’agit pas de dénoncer tel ou tel traité parce que tous les traités européens, toutes les institutions, relaient les intérêts des plus puissants, des plus riches. Le problème, c’est de mener une campagne contre le grand capital. Nous avons eu une discussion, nous avons constaté que nous ne voulions pas faire la même campagne. Faisons chacun la nôtre sans être en concurrence.

Vous considérez que l’Union européenne est totalement irréformable, qu’elle ne peut en aucun cas être réorientée vers une Europe sociale ?

Nous refusons de mettre en avant des boucs émissaires. J’entends la France Insoumise et le Rassemblement national nous expliquer que tout est la faute de l’Union européenne, que c’est elle qui empêche les gouvernements d’améliorer le sort du monde du travail. C’est faux. C’est le grand capital, la bourgeoisie qui impose sa loi. Et elle l’impose y compris sur des régions où il n’y a pas d’Union européenne. Ce qui se passe en Afrique, en Asie, en Amérique latine, c’est de la faute de l’UE ? Regardez comment les travailleurs sont traités ! On peut sortir des institutions européennes – d’ailleurs regardez ce qui se passe en Grande-Bretagne – sans pour autant que l’exploitation cesse, sans sortir de la rapacité du capitalisme. Nous, nous voulons désigner les véritables responsables du recul de la condition ouvrière. C’est la grande bourgeoise, ces grands groupes capitalistes qui sont capables de mettre des milliards sur la table quand il s’agit de reconstruire Notre-Dame de Paris, juste pour se faire mousser, pour se faire passer pour des grands philanthropes. Mais quand il s’agit de payer correctement les travailleurs, de payer pour leurs retraites, pour qu’il y ait des embauches, là, il n’y a plus personne. Précisément parce que c’est comme cela qu’ils font leur fortune, en mettant le monde du travail en coupe réglée. Toute la situation exige qu’on s’affronte à ces grands groupes parce qu’ils nous mènent à la catastrophe ; écologique, économique. Tous les experts économiques nous prédisent un nouveau crack. Ça viendra des bulles immobilières, de la bulle de l’endettement. Au-delà de la politique anti-ouvrière de Macron, il y a cette classe capitaliste qu’il faut mettre en cause et ne pas s’arrêter à la façade. Ils peuvent défaire les traités européens, peu importe parce que leur pouvoir n’est pas bâti sur les traités mais sur l’argent.

Vous voyez dans le mouvement des Gilets jaune, qui dure depuis 4 mois et qui a fait l’objet d’une répression inédite sous la Ve République, les prémisses d’une révolution ?

Bien sûr ! C’est un réveil social qui est salutaire et qui est mille fois légitime. Il montre qu’il y a des centaines de milliers d’hommes et de femmes qui sont prêts à se battre. Et ce combat, il va falloir le mener non seulement sur les ronds-points ou les samedis après-midi, mais dans les grands groupes industriels et financiers qui détiennent les clés de l’économie, qui dominent la société. C’est normal aujourd’hui d’être un ouvrier, un employé et d’avoir peur de ne pas boucler ses fins de mois ? De ne pas pouvoir payer des études à ses enfants ? Ce n’est pas qu’un combat pour baisser les impôts parce que cette baisse on la paiera par moins d’écoles, moins d’hôpitaux, moins de transports publics. Le combat qui doit être mené, c’est pour que les profits servent aux emplois, aux salaires, aux retraites, à se soigner, à s’éduquer et à se loger. Se loger dignement, pas à des centaines de kilomètres de son travail, dans des taudis.

Vous appelez donc à déplacer le combat dans les entreprises ?

Les travailleurs manquent de confiance dans leurs propres forces. Les mêmes qui se font passer pour des philanthropes, pour des gens généreux, s’attaquent aux conditions de travail, aux salaires, augmentent les cadences. Les travailleurs sont confrontés à cette offensive en permanence. Il faut qu’ils trouvent la force de s’y opposer, collectivement. Nous pensons qu’ils l’ont cette force. C’est une question de confiance.

L’élection européenne est traditionnellement celle qui passionne le moins les électeurs. Vous percevez une attente parmi ceux que vous rencontrez ?

Les élections sont un élément parmi d’autres dans le combat pour faire entendre notre voix. S’il n’y avait pas eu le mouvement des Gilets jaunes, on ne parlerait pas des salaires, du pouvoir d’achat, du problème du logement. Les travailleurs n’obtiendront rien si eux-mêmes ne prennent pas la parole, s’ils ne mènent pas le combat. Tous les autres veulent dévier le débat sur la question des traités, sur plus ou moins d’Europe. Il faut donc que les travailleurs s’invitent dans cette campagne pour dire leurs revendications. Et ce que je perçois, c’est une vraie volonté de refaire le monde.

Propos recueillis par

PHILIPPE FLUCKIGER

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