Île de La Réunion : après 70 ans de départementalisation24/03/20162016Presse/static/common/img/contenu-min.jpg

Article de presse

Lutte Ouvrière

Île de La Réunion : après 70 ans de départementalisation

Il y a soixante-dix ans, les députés des quatre « vieilles » colonies, dont le Réunionnais Raymond Vergès et le Martiniquais Aimé Césaire, présentèrent devant l’Assemblée constituante française le projet de loi pour faire de La Réunion, de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane des départements français. Ils disaient espérer que ce changement de statut pourrait faire sortir ces petits territoires de la misère effroyable et de l’état sanitaire catastrophique dans lesquels se trouvait au sortir de la Deuxième Guerre mondiale l’écrasante majorité de leur population.

À La Réunion, l’absence de structures médicales et de médecins faisait qu’un enfant sur quatre mourait avant l’âge de un an. La plupart des élèves quittaient les bancs de l’école à 12 ans, après avoir suivi les cours dans des classes pouvant atteindre jusqu’à cent élèves, faute d’écoles et d’enseignants en nombre suffisant. Seule une minorité de privilégiés allait au lycée. L’illettrisme touchait la majorité de la population. L’insalubrité des logements et des quartiers, l’absence de politique prophylactique offraient un terrain favorable aux maladies telles que le paludisme, la tuberculose ou la lèpre.

Bien que la loi de départementalisation promulguée le 19 mars 1946 ait prévu que les lois et décrets en vigueur dans la France métropolitaine le seraient dans les nouveaux départements d’outre-mer (DOM) avant le 1er janvier 1947, beaucoup de temps s’écoula avant qu’on applique certaines lois à La Réunion, comme dans les autres nouveaux DOM d’ailleurs.

Les promesses faites à l’époque se sont vite transformées en « un marché de dupes » pour reprendre l’expression d’Aimé Césaire, si bien que la départementalisation ne fut qu’une nouvelle forme de domination.

Ce n’est, en effet, qu’en 1996 que le smic réunionnais a rattrapé celui de France et il a fallu attendre quatorze ans après sa création pour que le RMI soit en totalité appliqué. Dans les faits, de nombreuses luttes et de fortes mobilisations ont été nécessaires pour que le rattrapage se fasse, et encore, par étapes et sur plusieurs décennies.

Les gouvernements successifs et la plupart de leurs relais locaux justifièrent ces atermoiements en matière d’alignement des salaires par la nécessité de ne pas mettre les entreprises des DOM en difficulté. Ils refusèrent également l’alignement des allocations familiales au prétexte qu’il existait déjà une parité globale, en fait un fonds d’action sanitaire et sociale obligatoire, le Fasso, loin d’offrir les mêmes prestations que la CAF.

Si ces différences de traitement ont fini par disparaître, il persiste aujourd’hui un chômage trois fois plus important que celui, déjà élevé, de métropole, une perspective d’emploi fermée pour deux jeunes sur trois, un illettrisme qui touche près de 120 000 Réunionnais, des dizaines de milliers de personnes mal logées, et des transports en commun notoirement insuffisants.

Cet anniversaire de la départementalisation a été l’occasion pour nombre de politiciens bourgeois, de droite comme de gauche, de proclamer que « la départementalisation a atteint ses limites » et qu’il faut changer de cap. Mais les mesures réclamées ont toutes pour objectif de favoriser le patronat en lui donnant, par exemple, plus de moyens pour développer les échanges économiques avec les pays de la zone océan Indien ou en le libérant de toute cotisation sociale. C’est la « charge zéro » proposée par Lurel, ancien ministre de l’Outre-mer. Le monde patronal voudrait aussi que La Réunion devienne une zone franche globale où les entreprises seraient exonérées de cotisations sociales et fiscales et pourraient appliquer a minima un droit du travail que le gouvernement socialiste s’escrime d’ailleurs à démolir. Autre changement espéré : obtenir de nouvelles aides pour investir dans les pays à bas coût salarial, ce que réclamait Gattaz, le président du Medef, lors sa venue à La Réunion en novembre 2015.

Pour les travailleurs, il n’y a rien à attendre de tous les discours qui se tiennent en ce soixante-dixième anniversaire. Pour eux, plus que la départementalisation c’est la société bourgeoise qui a atteint ses limites, et ce depuis plus de soixante-dix ans.

Émile GRONDIN

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