Turquie : le parti d’Erdogan désavoué03/04/20242024Journal/medias/journalnumero/images/2024/04/une_2905-c.jpg.445x577_q85_box-2%2C0%2C713%2C922_crop_detail.jpg

Dans le monde

Turquie

le parti d’Erdogan désavoué

« La démocratie a gagné ». C’était curieusement le grand titre du quotidien pro-Erdogan Sabah au lendemain des élections municipales en Turquie, le 1er avril. En fait, le parti du président, l’AKP, a connu un véritable revers.

Après sa réélection avec près de 52 % des voix en mai 2023, Recep Tayyip Erdogan espérait sans doute, par une victoire de son parti, conforter sa position en vue d’une échéance encore lointaine, l’élection présidentielle de 2028. Mais nombre d’électeurs ne l’ont pas entendu ainsi. Ayant appelé à donner Istanbul à l’AKP et non plus au parti kémaliste CHP, Erdogan a été largement désavoué. Avec plus d’un million de voix d’écart, l’ancien maire CHP Imamoglu a été réélu, arrachant douze arrondissements supplémentaires à l’AKP. La capitale, Ankara, est restée aux mains du CHP, ainsi qu’Izmir, auxquelles s’ajoute désormais la grande ville industrielle de Bursa. Des dizaines de villes, y compris dans des fiefs AKP d’Anatolie centrale ou de la mer Noire, ont également tourné le dos au parti d’Erdogan. Près des deux tiers des habitants du pays ont désormais un maire CHP et, en nombre de voix, le parti kémaliste, avec 37,7 % des suffrages, dépasse de deux points l’AKP. Même la ville d’Adiyaman, dirigée depuis des années par l’AKP et qui a été durement frappée par le tremblement de terre de 2023, a placé le candidat du CHP très largement en tête du scrutin.

Malgré la presse muselée, la campagne acharnée d’Erdogan et ses meetings quotidiens tenus à Istanbul, 14 millions d’électeurs, dont vraisemblablement une grande partie de ceux de l’AKP, ne sont pas allés voter. D’autre part, un petit parti islamiste, l’YRP, dont le leader Ferhat Erbakan soutenait auparavant l’AKP, s’est présenté séparément et pourrait avoir rassemblé les voix d’électeurs choqués par le double discours d’Erdogan, qui s’affiche comme un soutien des Gazaouis massacrés tout en poursuivant parallèlement ses affaires avec le gouvernement de Netanyahou. De son côté, la gauche kurde, dont le principal dirigeant Selahattin Demirtas est emprisonné depuis huit ans, auparavant représentée par le parti HDP, désormais DEM, est passée de 4,2 % des suffrages à 5,7 %. Elle remporte une dizaine de villes de la région kurde, dont Batman, Diyarbakir et Van.

Erdogan est au pouvoir depuis 2003 comme Premier ministre, puis depuis 2014 comme président. Lui et son parti, qui aurait perdu plus de 200 000 membres en quelque temps, payent cette fois leur politique économique de soutien aux grandes fortunes du pays et d’ailleurs, puis l’inflation violente qui écrase depuis deux ans et demi le niveau de vie d’une grande partie des 85 millions d’habitants. En février dernier, toujours en hausse, celle-ci était évaluée officiellement à 67 %, et même à 71 % pour l’alimentation sur un an. Tout s’en ressent évidemment. Les loyers, à Istanbul, ont augmenté de 75 % en un an. Et, malgré la hausse récente de 50 % du salaire minimum, les familles ouvrières ne parviennent à finir le mois qu’en se privant. À présent, le gouvernement a augmenté les taux du crédit à la consommation et les dettes des ménages s’accumulent.

Le rejet de l’AKP traduit le mécontentement et permet une progression du parti CHP, présenté comme social-démocrate. Il permet à celui-ci de reprendre la gestion des villes. Mais le CHP a montré dans le passé qu’il était capable de la même corruption que celle dont l’AKP donne aujourd’hui le spectacle. Il reste pour l’instant dans l’opposition, mais il a lui aussi tenu les rênes du pouvoir pendant des années et a ses responsabilités dans l’arrivée de l’AKP au pouvoir. Autant dire que, pour défendre leur droit à une vie digne, les travailleurs de Turquie devront compter avant tout sur leurs propres luttes.

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